Michel Baglin. Quatre ans déjà.
Michel Baglin, quatre ans déjà
Il y a quatre ans, le 8 juillet 2019, Michel disparaissait. Il avait été hospitalisé une dernière fois quelques jours plus tôt juste après avoir découvert notre Je suis... Georges Brassens (Jacques André éditeur) qui venait juste de paraître. C'est lors de notre première rencontre, quelques années plus tôt, au printemps des poètes de Durcet dans l'Orne que nous avions eu cette idée d'écrire un livre sur Brassens ensemble (au départ plutôt un livre sur la morale libertaire du maître). En 2017 à Sète, ce projet rebondira sous une autre forme grâce à Jacques André lors d'une soirée mémorable. Michel était enthousiaste et, en bon journaliste, il était "pressé" (peut-être pressé aussi par un pressentiment...) : dans le mois suivant, alors que le livre était prévu pour l'été 2019, il m'envoyait un brouillon du premier chapitre.
Il a énormément travaillé sur ce projet et avec une efficacité terrible... Jusqu'à ce que en février 2019, il m'annonce sa maladie et me charge de la rédaction des derniers passages (le projet était très bien avancé). Par la suite il a lutté avec un grand courage. Lors de notre dernière communication téléphonique, il me disait assez clcairemnt qu'il n'y croyait plus mais il luttait encore, pour la poésie, pour les amis, pour Jackie et leurs enfants. Et il écrivit encore ce merveilleux texte pour Jackie qu'on lira plus loin à la fin de ce message.
Michel était un vrai poète, d'une générosité exceptionnelle. Un amoureux de la poésie, un amoureux de la justice, un amoureux de l'amitié. C'était une vraie présence loin de ces ego surdimensionnés, professionnnels ou fonctionnaires de la poésie, qui posent, manoeuvrent et tuent la poésie même.
Il faut le lire et le relire encore. Il faut le donner à lire, partager son oeuvre, la répandre comme une trainée de poudre, comme un immense amour très contagieux. Faire de son oeuvre un souvenir vivant ici-même, maintenant. Michel Baglin, ici, vivant toujours dans les coeurs éveillés.
L'encore présence
à Michel Baglin
Ton absence qui nous engloutit
Mais pourtant ce franc soleil
Comme un dernier sourire
Sur le cimetière de Seilh
Nous parlait tant de toi
un après-midi de juillet
Il était toute ta présence
Quand tu ne semblais que cette poussière
Au fond d'une urne
Le ciel nous débordait
Et tes mots collaient à nos bouches closes
Et à nos poings gorgés de larmes
Guy Allix, Précaire, à paraître
L'amoureux de l'amitié
Comme je regrette de n'avoir pas assez donné à l'amitié ! Pendant de longues années je fus séparé d'amis qui avaient tant compté pour moi. J'aurai toujours honte d'avoir accepté ce diktat. Qui vous sépare de vos amis ne vous aime pas et n'est pas digne d'être aimé.
Par la suite, enfin, j'ai pu retrouver mes anciens amis et en rencontrer de nouveaux dont... Michel, cet amoureux de l'amitié. .
Je me souviens d'un midi, lors du festival de Sète. Ce devait être en 2017 je crois. Michel et moi prenions un café sur la place des livres. Il aimait organiser des repas le soir et il invitait des poètes qu'il connaissait, des poètes qui se connaissaient et des poètes... qui ne se connaissaient pas. Et il pouvait prendre du temps pour cela car l'amitié ne compte pas le temps donné. Il me demanda les numéro de téléphone de ceux ou celles que je connaissais. Je me souviens qu'il a demandé le n° de mes amies Catherine Jarrett, Colette Gibelin, Brigitte Broc. Nous étions une quinzaine le soir. Ce fut une soirée magique et nous avons tous entonné du... Brassens bien sûr. Et bu force vin perlé. Je fis la connaissance de Jacques André, de Marie Rouannet, de Jean Poncet...
Un jeune couple inconnu vint même se joindre à nous. Des amis encore... Le temps d'une soirée.
Soirée magique, La magie opérait toujours avec Michel et sa légendaire générosité. Un peu d'éternité, du temps gagné sur... la mort !
J'écris ce texte alors que je viens de perdre un autre grand ami : Roger Dautais, landartiste, dessinateur, poète.
Voir un ami mourir c'est mourir soi-même : on est alors amputé d'une part essentielle de soi .
Guy Allix, à paraître dans Texture n° 4
Notre planète
Tant de mêmes paysages peuplent nos regards !
Depuis plus d’un demi-siècle ensemble nous jouons les balanciers sur la crête des jours traversés, craignant pour l’autre, se tenant du bout des yeux, nos pieds sur la corde raide
comme nos cœurs cherchant l’équilibre, s’inventant les gestes simples de la confiance trouvant l’appui à demi-mot.
Sous la poussière retombée des années,
nos vies ont composé une planète familière
une géographie de lieux conquis et de pays inventés où nos deux enfants poussent leur chemin.
Cette terre nous est commune,
elle nous nourrit
tandis que notre mémoire frémit
au murmure des mêmes sources,
et l’on partage l’un et l’autre les sentiers d’alpage qui nous conduisent encore par la pensée
sur l’épaule nue de la montagne,
les ravines et les passages d’éboulis
et l’éblouissement de la mer scintillant à nos pieds. Depuis plus d’un demi-siècle l’amour
nous a mis en route ensemble tant de fois,
tant de fois nous a dessiné derrière l’horizon du quotidien des gares de campagne, des terminus d’utopie,
un môle, un phare, un bout de terre, une île
et les petits enfants de l’avenir.
Des champs de lavande aussi pour baigner nos caresses, des chambres de pénombre pour enrober l’été.
Nos corps se connaissent et s’épellent du bout des doigts. Ils ont toujours crainte de se perdre
et se cherchent la nuit comme nos sourires devinés.
Ils ont toujours crainte de se perdre
pour s’être un peu perdus naguère
en des courants contraires
sans cesser de se connaître pourtant
ni de retrouver leurs formes dans le moule de nos mains. Plus d’un demi-siècle d’amitié ont arrondi nos angles,
le miel de la complicité étale sa douce lumière
sur les blessures et les angoisses de nos âges.
Un printemps toujours soulève nos terres
de ses pousses neuves,
de sa verdeur de promesse.
Et le gros coton gris des ciels de novembre n’y peut rien.
© Michel Baglin, Les mots nous manquent, Rhubarbe, 2019