Poésie et vérité
Poésie et vérité, poésie et hermétisme
J'écris parce que je ne sais pas
Conférence-causerie prononcée au lycée Charles François Le Brun de Coutances (50) en 1992
Guy ALLIX
J'écris sans moi
Souvent je sens me prendre
Les mots par le corps
Jusqu'au délire de n'être là
L'imprononçable silence
Guy Allix
Lèvres de peu, éd, Rougerie, 1993.
Guy Allix s'est fait connaître, dès 1974, en tant que praticien de l'écriture poétique1 et c'est bien comme « artisan des mot s» qu'il vient nous apporter son témoignage. Professeur de Lettres modernes au Collège Lavalley de Saint-Lô puis au Lycée Sivard de Beaulieu à Carentan, il poursuit des expériences pédagogiques originales grâce auxquelles ses élèves ont pu découvrir la poésie contemporaine, la pratiquer eux-mêmes, et rencontrer quelques-uns de ses auteurs les plus prestigieux.
Bien qu'il ait écrit de nombreux articles critiques sur la poésie du vingtième siècle - il est l’auteur d’un D.E.A consacré à jean FOLLAIN et a rédigé les chroniques littéraires de plusieurs journaux - il s’abstient ici de parler de la poésie en termes théoriques. C'est de son propre travail d'écriture qu'il nous invite à devenir les témoins, à la faveur d'une description très concrète, qui entend démystifier le moment de la création. On trouvera dans ses propos la confirmation de ses vives réserves à l'égard des notions de vérité ou de science poétique développées peu de temps auparavant par le poète Luc Macé.
Pourtant, dans la préface du dernier recueil de poèmes de Guy Allix, Lèvres de peu, Pierre Dhainautécrit : « Peu de livres et pour chacun d'eux très peu de mots, qu'est-ce qui rend les livres et les mots de Guy Allix immédiatement reconnaissables, et bien davantage, d'où vient qu'ils nous saisissent, qu'ils nous interrogent aussi intensément ? » Or, Bergson ne parlait pas en d'autres tenues de la vérité de la peinture... Si nous cherchons pourquoi nous disons de certains tableaux qu'ils sont vrais « c’est que nous avions déjà perçu quelque chose de ce qu'ils nous montrent », déclarait-il dans sa conférence sur la Perception du changement.
Se tenir, dans la « mouvance des mots » et la « vassalité de l'errance », auprès de la claudication et de l'inachèvement, de la précarité d'une existence quotidienne livrée à l'arbitraire du désir et de la mort, n'est-ce pas vouloir dire - même lorsqu'on s'en défend - la vérité de la condition humaine et peut-être de la poésie ?
Bien sûr, toutes les explications que je peux donner sur mon « œuvre » risquent d'être fort modestes. Ce que je puis dire tout d'abord, c'est qu'à travers mes deux derniers recueils je n'ai pas voulu délivrer de « message », mais j'ai voulu simplement me tenir comme un vassal de l'écriture, comme un vassal du langage. Ceci est clairement dit par le titre de mon avant-dernier recueil : Mouvance mes mots. Le mot « mouvance » est à lire ici dans les deux sens, mais surtout, me semble-t-il, dans son sens originel, médiéval. C’est-à-dire qu’il indique une certaine vassalité par rapport aux mots, par rapport à l'écriture.
J'essaierai de répondre à cette « déroute » du lecteur devant mon écriture en témoignant simplement. Par ailleurs j'aborderai bien sûr cette question qui nous rassemble tous ici : les rapports de l'art et de la vérité - et, plus précisément pour ce qui me concerne, les rapports de la poésie et de la vérité.
Il se trouve en effet que voilà une question que j'ai souvent abordée dans mes articles comme dans mon cheminement autour de la poésie, même si ce fut souvent de façon un peu biaisée. Aussi quand Jean Cabon a pris contact avec moi il y a quelque temps, j'étais très heureux du thème de ce débat, et il s'est tout de suite posé pour moi la question de savoir comment j'allais intervenir ; en tant que critique ou en tant que praticien ?
J’ai d'abord pensé mener un travail rigoureux de réflexion critique comme j'essaie de le faire dans mes autres articles, et puis j'ai abandonné, et j'ai préféré venir dans une espèce de nudité essentielle afin de cerner le pourquoi et le comment de ce que j'ai pu faire simplement jusqu'à maintenant. Je voudrais seulement atteindre une certaine humilité. C'est que, comme René-Guy Cadou - dont je suis peut-être bien loin par ailleurs – « Je ne conçois pas la poésie sans un miracle d'humilité à la base ». Ce sera, je crois, dans cette nudité, dans cette humilité que je pourrai apporter les meilleures réponses à des questions de lecture autour de mes poèmes.
Je ne vais donc pas résumer un message, je ne vais pas vous offrir ce qui serait la vérité de ma poésie.
D’ailleurs vous comprendrez, d'après les prochaines citations, que je considère que j'en suis le dernier capable. Simplement je vais rendre compte d'une expérience que j'ai menée, expérience qui peut s'appeler « poésie » ou autrement. Ce n'est pas à moi d'en décider.
Je commencerai donc par rappeler quelques citations qui permettront d'éclairer, je pense, un propos volontairement très décousu.
Première citation de Christian Rivot : « C'est la tête vide que l'on entre en poésie. Vide, c'est-à-dire pleine d’un bourdonnement de ruche. »
Confucius : « Savoir que l'on sait ce que l'on sait, et que l'on ne sait pas ce que l'on ne sait pas, voilà le vrai savoir. »
Cioran : « Assez naïf pour me mettre en quête de la Vérité, j'avais fait jadis en pure perte le tour bien des disciplines. Je commentais à m’affermir dans le scepticisme lorsque l'idée me vint de consulter, ultime recours, la poésie. Qui sait ? Peut-être me serait-elle profitable ? Peut-être cache-t-elle sous son arbitraire quelque révélation définitive. Recours illusoire, elle était allée plus avant que moi dans la négation. Elle me fit perdre jusqu'à mes incertitudes. »
Platon : « Les poètes ne comprennent rien à ce qu'ils disent. »
Cette dernière citation peut paraître bien paradoxale dans la bouche d'un poète. Mais sans doute ne suis-je pas à un paradoxe2 ou à une contradiction près, et c'est pourquoi je m'en tiendrai volontiers à ce qu’écrivait Platon. Non, je n'essaierai pas de vous dire ce que j'ai pu « vouloir dire », car là n'est pas la question. Pourquoi traduire/trahir le poème ? Sachons nous en tenir à ce faire du poème. « Ce qui est dit est dit ».
Il se trouve donc que j'écris des textes que l'on veut bien appeler poèmes. Un premier constat d'abord : à une autre époque, dans une autre civilisation, on aurait pu appeler ça autrement. Il est vrai que si l’on se met à parler de la poésie avec un grand P, ma « poésie » n'a que très peu de rapports avec Homère - pour citer un grand exemple - et bien sûr tout cela est très relatif. Toujours est-il qu'il se trouve qu'on peut appeler ces textes aujourd'hui « poèmes ». On les appellera donc ainsi, faute de mieux, peut-être.
Il se trouve au demeurant que j'ai voulu moi-même - pour de bonnes ou de mauvaises raisons nommer poésie cette pratique alors que pourtant je ne sais pas vraiment - et je crois que c'est bien mieux – ce que veut dire le mot poésie. Avant, je croyais le savoir de façon ferme et définitive, et aujourd'hui il faut bien avouer que je me sens bien plus démuni pour définir la poésie que lorsque j'étais sur les bancs du collège. Du reste, si je savais définir ce mot, je pense que je n'écrirais plus.
Au fond, j'écris parce que ça échappe, j'écris parce ce que je ne sais pas et c'est sur ce nœud-là, je pense que peuvent s’opérer certaines distinctions quant à l'intention de d’écriture. L intention de mon écriture est tout à fait autre, c'est-à-dire que je tiens à me mettre, comme je l'ai déjà dit, dans la vassalité de mes mots, dans la vassalité de l'errance. Donc, écrire parce que ça échappe. Ecrire ainsi, dans le dénuement et la précarité, ces choses qu'on appelle poésie.
Pourtant je dois vous dire que ce n'est pas ainsi que tout a commencé. Quand j'avais dix-huit ans, lors de mes premiers balbutiements littéraires, mes armoires aussi étaient vides, comme celles d’Annie ERNAUX, et alors mes premiers poètes s'appelaient BREL, BRASSENS, PRÉVERT. Aussi, quand j'ai commence à écrire, je voulais tout simplement faire comme eux, et j'ai donc commencé par écrire surtout des chansons. Puis il y a eu d'autres rencontres et, avec elles, beaucoup de mimétisme. Comme tous les autres auteurs, je crois, j'ai commencé par imiter mes « devanciers » et ceux-ci n'étaient peut-être pas toujours des poètes au sens où je l'entends aujourd'hui. Puis, peu à peu, il y a eu ce que j'appellerais une « transformation interne » de mon écriture. Une transformation lente et profonde dont je n'étais pas toujours conscient. C'est ainsi que les textes qui intéressaient le plus mon premier éditeur étaient aussi souvent ceux dont j'étais le moins convaincu... Je les avais écrits comme « sous la dictée », avec des exigences certaines cependant quant à la forme - des exigences qui s'imposaient plus que je ne les imposais - mais je ne les « possédais » pas comme certains autres textes qui ont pu être refusés. Je dirais même plutôt que ces textes me possédaient.
Il me semble que, quand on travaille dans l'imaginaire, dans l'art, on ne sait pas ce qu'on va écrire, ce qu'on va créer. Nous ne sommes plus vraiment le sujet de notre création. Nous sommes son objet. Comme l'écrivait Paul ELUARD, « les poètes sont ceux qui parlent sans avoir rien à dire ». On a peu de choses : un incipit, un vers nous est parfois donné. Mais à partir de là c'est le langage qui, avec le poète, va travailler - comme une planche travaille. Comme le disait VALÉRY, le premier vers nous est donné. Ensuite Le poème, même quand il est court, demande beaucoup de patience.
Il y a donc de la part du poète un travail aussi, mais un travail qui n'obéit pas aux lois du discours conceptuel. Ce n'est pas pour autant que je tiens à opposer de façon trop mécanique d'une part ce qui appartiendrait au domaine de l'émotion et au travail sur le langage que peut faire le poète et, d'autre part,la pensée conceptuelle, la pensée intellectuelle. Ici je ferai référence à Ferdinand ALQUIE (La conscience affective) qui opère ces distinctions, mais qui dit bien lui-même qu'il y a des allers-retours entre la conscience affective et la conscience intellectuelle et que, même dans l'acte de création artistique, ces deux formes de l’esprit se complètent. Ainsi, quand je travaille mes textes, même si je n'ai pas une intention délibérée au niveau du sens, je travaille aussi avec la « conscience intellectuelle ».
On ne travaille pas qu'avec l'émotion. Ceci dit, c'est vrai que l'émotion est - qu'on me permettece jeu sur l'origine du mot - un élément moteur dans la pratique de l'écriture : c'est bien souvent à partir du l'émotion que « ça vient », que « ça bouge ». Mais il n'y a pas que de l'émotion. Il ne faut pas, je pense, enfermer la spécificité de la poésie dans le langage de l'émotion, ainsi qu'a pu le faire jean COHEN dans Structures du langage poétique.
Il y a donc au départ un premier vers, un incipit, une émotion. Mais, après, c'est tout un travail sur le langage qui attend le poète; c'est un travail d'artisan. Ce n'est pas là de la fausse modestie, c'est une réalité. Donc il y a cette fabrication, et c'est pourquoi je préfère parler ici en tant qu'artisan. Même si dans la pratique que je peux mener et dans l'interrogation que je peux développer face à un texte, ces questions de vérité et de rapport à la vérité peuvent se poser.
Il faut remettre les choses en place et nous renvoyer à une certaine modestie. Nous étudions, de la littérature, nous étudions de l'imaginaire, alors ne cherchons pas, surtout quand nous ne sommes pas des spécialistes de ces questions, à y voir autre chose que de la littérature, que le jeu sur les structures, sur le langage. Les poètes travaillent avec du langage, avec des mots, avec des règles, car il y a toujours des règles et elles sont, comme le disait Francis PONGE, bien plus impérieuses de nos jours que dans le passé.
Oui, c'est vrai, il faudrait aussi que les poètes d'aujourd'hui se souviennent que « la poésie, c’est avant tout de la belle ouvrage », nous disait-on tout à l'heure. C'est vrai que nous n'écrivons plus de sonnet. Mais nous essayons toujours de faire de « la belle ouvrage ». Bien sûr, ce n'est pas à nous de décider si c’est de la « belle ouvrage ». Nous travaillons, toujours dans ce que j'appellerai l'heureuse et nécessaire incertitude, avecnos modestes moyens. Au lecteur de juger. Au temps de faire son œuvre et ses choix.
Revenons donc maintenant à cette question du rapport de la poésie et de la vérité. On a pu sentirpar mes citations, que je ne me place pas du tout sur le terrain de la Vérité. Je pense que la poésie participe pour beaucoup d'une « conscience affective », pour reprendre les termes de Ferdinand ALQUIE, et que cette conscience affective est, si l'on s'en tient à ce thème de la Vérité, fortement « déceptive » si l’on veut me permettre ce néologisme. J'entends que, sur ce plan, c'est l'échec. Et je tenterai plus loin de montrer comment les difficultés de lecture sont à interroger au regard de cet échec.
Je n'ai pas à donner de Vérité. Ca se passe autrement. Ca se passe autre part. La seule vérité que j'aurais à donner est justement cette acceptation d'une absence de Vérité. C'est vrai que la poésie a souvent été donnée comme moyen de connaissance. Je pense à RIMBAUD, à certains surréalistes... Il y a là comme une vision prométhéenne de la poésie. Mais à l'opposé de ce prométhéisme rimbaldien, il y a l'inachèvement, la fragilité, la précarité, la claudication verlainienne. Je parle bien sûr du Verlaine de la Chanson grise, celui qui ne joue pas à la sagesse - l'hypocrisie de Sagesse comme de ses poèmes à Mathilde !- qui ne délivre pas de message définitif, et place vraiment la musique avant toute chose.
La grande « vérité du poème » n'est pour moi que la mesquine vanité du poète. Oui à la Vérité dans le discours philosophique, parce que cette vérité-là est définie, conceptualisée, elle est le pivot du discours philosophique, tandis que la vérité poétique dont on nous a rebattu les oreilles n'est que la pire des prétentions.
De même pour le mot science. Et loin de moi de vouloir réduire ce mot au domaine limité, et illusoire, des sciences dites exactes. Je dis simplement qu'on ne peut pas comparer la définition d'une loi astronomique à l'écriture d'un poème. Il y a là ce que j'appellerais un abus d'autorité, voire, pour parler plus simplement, de la « publicité mensongère ». La « science poétique » n'est qu'une nouvelle pseudo-science occulte pour poètes modernes en mal de prestige3.
La noblesse du poète, sa dignité, ne vient pas en effet d'un quelconque don de voyance qui en ferait un « suprême savant » et qui l'amènerait ainsi à La Vérité. Toute la dignité du poète consisterait plutôt à affronter pleinement l'errance humaine.
La poésie comme « moyen de connaissance »... Je préfère dire avec Gil JOUANARD que la poésie est « le lieu d'une reconnaissance ». A l'approche de la Vérité, je préfère dire l'approche du singulier. Là, Jean Follain m'a beaucoup aidé, ainsi que Clément ROSSET ou Pierre ALFERI lisant Guillaume d'OCKHAM (cf. Guillaume d'OCKHAM le singulier). Ce que la poésie a à nous apporter, ce n'est donc pas une vérité avec un grand V. On travaille dans le discontinu, comme le disait Luc MACÉ. On travaille dans l'instant, dans « l'intuition de l'instant » (BACHELARD). Ce que l'on a à apporter, c'est donc aussi du discontinu. C'est l'instant, c’est la chose. C'est cela que l'on a à faire, et c'est très modeste : montrer du doigt. Voilà ce que fait la poésie de FOLLAIN : elle montre du doigt. Vous êtes passé cent fois près de ce verre ; ce n'est rien, ce n'est qu’un verre. Vous êtes passé cent fois près de cet objet rouillé ; ce n'est rien. C'est un objet rouillé, c'est insignifiant. Et vous ne l'avez vraiment jamais vu. Et soudain vous avez un texte qui vous montre du doigt cet objet rouillé et qui vous dit simplement : « Cela est ». Il ya ici cet objet inscrit dans tout un réseau de relations. Et cet objet, on le voit, on le découvre. Et on peut dire la même chose dans le temps : on montre un instant du doigt. C'est cela « apprendre à voir » (RILKE).
Jean FOLLAIN dit quelque chose de fondamental, de capital, si l'on veut lire un peu la poésie moderne : « la poésie, si elle est connaissance, n'est que la connaissance d'une impossibilité de connaissance ». Et c'est là que la poésie est vraiment « déceptive ». C'est là qu'elle devient, pour le lecteur en quête de sécurité « hermétique ».
Bien sûr, on est toujours un peu blessé quand on vous dit : « Eh bien, nous ne comprenons pas ce que vous avez voulu dire ! » Quand j'étais élève, quand j'avais votre âge, je n'avais pas lu, pour ainsi dire, de recueil de poésie contemporaine, et moi aussi j'avais du mal à lire, à comprendre, à aimer l'art et la poésie. J’étais d’ailleurs issu d'un milieu très modeste, et la littérature n'entrait pas chez nous. Aussi, quand j'écris, j’ai envie d'être compris par tous. Bien sûr, à lire mes poèmes, on ne me taxera pas de populisme, mais c'est vrai que c'est pourtant aussi ce désir d'être lu et compris qui m'anime.
Donc l’incompréhension de l'autre me touche forcément, et je serais bien stupide de ne pas l’avouer. Mais, en même temps, cette façon de buter sur mes textes me rassure aussi ; je me dis en effet : « Là, je n ai pas adressé simplement un message, une idée, une opinion ; il y a autre chose ». Il appartient à chacun de juger si c’est important ou pas. Je crois qu'il faut être infiniment modeste. Chaque créateur agit dans son monde avec des moyens parfois dérisoires. Par ailleurs, il me semble que l'on n'est plus à l'époque des grands poètes. Les créateurs ont quelque chose de plus modeste à apporter, quelque chose qui se passe dans l'ordre du quotidien, qui se passe dans l'ordre de relations privilégiées avec ce quotidien.
Il ne s'agit donc pas de juger de l'importance de ce qui est fait, mais de convenir, en toute franchise, d'une certaine déception. Parce que c'est vrai, comme tout créateur, j'ai mis dans mes poèmes quelque chose qui me semble particulièrement concret et évident : je dirais mon sang, ma sueur, mon sperme. Pour moi tout cela est bien concret, mais c'est vrai que l'abstraction, c'est toujours l'abstraction de l'autre.
Ce qui caractérise aussi un poème, c'est qu’on peut le lire de multiples fois et ne jamais le lire de la même façon. Le poème se donne comme quelque chose de singulier et tout à la fois comme quelque chose de multiple. C'est un singulier inséré dans un réseau de relations, et donc on peut le lire de multiples manières. Le problème qui m'a le plus préoccupé avec ce rapport de la poésie et de la vérité, c'est le problème de l'hermétisme de la poésie moderne. C'est vrai que c'est une question fondamentale. Mais on a toujours une certaine vision de la poésie qui précède et guide notre lecture. Pour certains, le poète c'est « le doux rêveur », pour d'autres, le poète c'est « celui qui complique à plaisir ». On n'essaie pas de voir tout le cheminement qu'il peut y avoir derrière tel texte de Mallarmé, par exemple même si ce n’est pas un auteur que j’affectionne. Le mot « hermétisme » pourrait signifier que le poème est fermé. Or j'ai l'impression que, très souvent, on déçoit le lecteur parce qu'on ne lui apporte pas un message, on ne lui apporte pas une vérité. J'ai l'impression que ce n'est pas le poème qui est fermé, mais le lecteur.
En clair, s'il y a une difficulté de lecture de la poésie moderne, ce n'est pas forcément sur le plan du sens ou des multiples sens du poème. S'il y a difficulté, c'est que le lecteur est déçu dans son attente. Il est déçu dans son attente parce qu'il voudrait effectivement un message, quelque chose qui le rassure, qui lui donne une assise en ce monde, une prise sur cet univers qui nous échappe. Le lecteur attend bien une vérité. Le lecteur n'accepte pas le jeu du poème, son ouverture, son insécurité.
Je reprends ce que disait CHAR : « le poète est le magicien de l'insécurité. » Oui, le poète travaille dans l'insécurité. C'est là qu'est pour lui le seul lieu. Il faut risquer dans la vassalité des mots. Il faut accepter cette mouvance et cette vassalité et ce risque. Cette aventure du poème. Il faut accepter cela pour écrire. Il faut accepter cela aussi pour lire le poème4.
Je peux enfin parler simplement de la façon dont j'écris un recueil. Je m'intéresserai pour cela surtout à mes deux derniers ouvrages. Mes deux premiers recueils étant des recueils de jeunesse, avec différents essais qui n'étaient pas tous concluants. Ainsi La tête des songes comprenait des poèmes à la manière de PRÉVERT, de BRASSENS ou d'ELUARD. Ils comportaient néanmoins aussi un autre mouvement, très proche de mes derniers textes.
Maintenant j'écris des poèmes courts. Des poèmes très courts. On a rapproché mes poèmes des haïkus. C'est une comparaison qui revient souvent devant les textes courts qu'écrivent les poètes contemporains. Et c'est, je pense, un abus. En effet le haïku était quelque chose de très formaliste et de très différent du poème bref tel que nous pouvons l'écrire en France aujourd'hui.
Alors, j'écris comme « sous la dictée » des choses très brèves, des choses qui sont de l'ordre de l'instant. Maintenant c'est sur un petit carnet, que je garde toujours sur moi, que je prends ces « notes ». Avant, j’écrivais sur des feuilles dispersées, ce qui occasionnait de nombreux problèmes, parce que je perdais mes textes. Il m'est même arrivé, quand je n'avais pas d'autre papier sous la main, de griffonner mes notes sur mes chéquiers : voilà enfin des poèmes qui peuvent valoir de l'argent... FOLLAIN, lui, écrivait au dos de procès-verbaux. J'utilise donc maintenant ce carnet, car j'ai peur de perdre ce que j'ai écrit. Je peux écrire mes « notes » n'importe où, mais généralement pas à mon bureau. D'ailleurs, le plus souvent, j'écris en marchant, j’ai besoin du rythme de la marche pour retrouver le rythme du poème. Mais il m'est aussi arrivé d'écrire dans !e bruit, dans l'ambiance enfumée d'un café, ou de me relever en pleine nuit comme sous la pression de cette « dictée ». Ce sont donc là de simples notes. C'est un premier jet. Après, je rassemble toutes ces notes sur une feuille, et là je rature énormément. J'ajoute aussi, je module, et enfin il m'arrive de rassembler des choses qui étaient disjointes au début, car je m'aperçois qu'au niveau des exigences du langage ou du poème il y a besoin de rassembler ici, en ce lieu là, ces notes éparses. Je rassemble donc et je dépouille jusqu'à ce que j'aie un objet, une épure, qui tienne vraiment. Un « poème » au sens où je l'entends.
Et je fais un peu la même chose pour le recueil, car je travaille beaucoup sur la structure du livre. Pour moi un recueil n'est pas qu'un ensemble de textes que l'on va juxtaposer dans n'importe quelle condition comme un jeu de cartes. Il y a là une continuité ou une cohésion que l'on essaie de réinstaurer, de réinsuffler, et qui est peut-être une espèce de reprise en main, de retour de ce que j'appellerai la rationalité. Ouplutôt il me semble qu'un recueil est aussi un poème. Il obéit aux mêmes lois, aux mêmes exigences que le poème. Ainsi il y a des rapprochements à faire entre certains textes comme entre certains mots. Le recueil doit participer tout à la fois d'une poétique de l'inachèvement et en même temps il doit retrouver la forme pure de la boucle.
Mais, comme on ne saurait écrire pour soi seul, on n'écrit jamais seul. C'est vrai que, quand on publie un recueil, on reçoit par la suite quelques coupures de presse, et c'est parfois très difficile pour le poète de « gérer » ces articles. En effet, le bon article c'est celui qui découvre des images, des procédés, des liens, une rhétorique dont le poète lui-même n'avait pas forcément conscience. En effet, on écrit contraint par les mots, par l'émotion, par le langage, par son expérience, et on ne maîtrise pas tout. C'est ainsi que, très souvent, la réponse des poètes au discours critique c'est : « Ah, je ne savais pas que j'avais dit ça ». Il y a donc un danger, parce que l'on découvre ses ficelles. C'est-à-dire, pour reprendre les distinctions de Ferdinand ALQUIÉ, que tout ce qui était de l'ordre de la « conscience affective » - et qui permettait d'exprimer quelque chose que l'on n'aurait jamais pu exprimer autrement - devient de l'ordre de la « conscience intellectuelle ». Et là : ou bien l'écriture devient impossible, ou bien on écrit des choses sans intérêt, parce tout simplement on « tire les ficelles » (thématiques, structurelles...).
Je peux aussi essayer d'expliquer ce qui m'a conduit par exemple à placer à l'initiale de Mouvance mes mots quelque chose qui serait de l'ordre de la fatalité - et cela, sans exclure bien sûr d'autres lectures :
Tout cela finira par de la terre, même ton cri
C'est que pour moi comme pour ClORAN, « Toute poésie commence par l'expérience de la fatalité ». L'expérience fondamentale, fondatrice, c'est l'expérience de la mort, l'expérience de l'échec. J'ai toujours considéré que la pensée commençait à la mort. C'est la mort qui vient en premier. La mort qui nous inscrit dans une espèce de minéralité - la terre, l'argile - ou de liquidité - le sang, le sperme, la sueur - qui noie l'homme, qui le noie jusqu'au silence, jusqu'à dissoudre sa parole, son cri même. D'où la chute du recueil :
Et tu ramasses ta fuite sous toi
et le titre du recueil suivant : Fragments des fuites. Mais en même temps, ce cri lui-même, ces mots sur la page, procèdent de la mort.
On le voit, ce sont souvent des choses très attachées au corps - très attachées aussi à la terre. C'est que je n'écris pas à partir d'un lieu : je ne suis pas enraciné. Simplement j'écris à partir de ce ventre de questions. Je n'écris pas sur le corps, parce que ça ne veut rien dire. J'écris à partir de l'expérience que j'ai de mon corps. Et c'est, je crois, très concret.
Il y a des moments heureux et des moments moins heureux, qu'il n'y a pas lieu d'opposer. On accouche d'un texte comme une femme accouche d'un enfant : tout à la fois dans la douleur et dans la joie. C'est comme toute mise au monde.
J'ai donc essayé, le plus simplement possible, de me situer par rapport au débat sur la philosophie de l'art. J'ai abordé ainsi cette question concernant les rapports de l'art et de la vérité, de la poésie et de la vérité. Je peux parler du travail que j'ai réalisé, ou de la façon dont je crée, mais je ne peux dire - et ce n'est surtout pas à moi de le faire - ce que «ça veut dire», si tant est que cette question ait un sens devant l'art (ce dont je suis loin d'être convaincu, vous le comprenez bien...). Je peux dire comment je crée, et pourquoi peut-être je travaille ainsi, mais je ne peux pas répondre à la question : « Qu'est-ce que ça veut dire ? » Voilà pour moi une question qui ne veut rien dire, justement5, devant un poème comme devant une œuvre d'art en général. Ce qui n'interdit pas, bien sûr, le commentaire, mais nul n'est plus mal placé que le poète pour faire ce commentaire. Je ne peux donc analyser vraiment ce que j'écris. La seule chose que je puis faire c'est dire : « mes mots sont là, mes mots parlent de ce lieu-là, mes mots partent du corps, mes mots partent de la peur, de la fragilité, de la fatalité... ». Ce n'est pas gai, sans doute, mais je revendique ce pessimisme. Il y a place aussi pour ce pessimisme jubilatoire que suggère Clément ROSSET.
Finalement, on ne va pas bâtir une vérité, on constate notre échec, on constate que tout ce qu'on peut approcher, c'est « l'objet singulier ». Ce n'est rien, mais c'est capital. C'est comme l'air qu'on respire, c'est comme l'eau que l'on boit. Ce n'est rien - ce n'est qu'un rien, une chose - et c'est pourtant ainsi que l'on peut vivre tout simplement. Ce n'est donc pas parce que l'on écrit des choses tragiques que l'on ne vit pas ou que l’on doit être un personnage d'exception. J'avoue ne guère aimer la mythologie du poète maudit. Simplement, je suis un artisan des mots et, dans la vie de tous les jours, je reste un homme très ordinaire avec ses joies, ses peines, ses faiblesses aussi.
Il faut savoir démythifier la poésie et, pour cela, rien de mieux que de retourner à l'origine. A 1origine du mot poème. Sil'on veut donner une définition du poème malgré tout, il faut retourner à la Grèce : le poème est un faire, c'est une fabrication. Une création. Et comme le rappelait MALLARMÉ à DEGAS, Cettecréation ne se fait pas « avec des idées, mais avec des mots ». C'est tout, mais, quand tout notre rapport au monde dépend aussi de notre langage, c'est peut-être très important.
Cela finira par de la terre
Même ton cri
***
Oser cette limite entre elle et elle-même
Au moment de se défaire
Chaque page de son nom
***
L'eau nocturne
Tout s'est resserré comme une crampe
Baillant d'étoffe la nuit
La faille s'enrichit et dépasse
La peau vient de loin
***
Au creux d'un seul abri
Un caillou martèle des correspondances inouïes
Le flanc offert à tous les sourcillements
J'écoute l'étreinte
Sous les volutes d'une femme
Dehors, la pluie rêve d'un autre ciel.
Guy ALLIX
Extraits de Mouvance mes mots, éd. Rougerie, 1984
DISCUSSION
l'insécurité
Arnaud JEUNEMAÎTRE : J'aimerais revenir sur ce problème de l'insécurité que vous évoquiez tout à l’heure. Dans l'écriture des mots, ne retrouvez-vous pas cette sécurité que vous redoutez, et peut-être même une vérité qui serait liée à la recherche de l'amour ?
Guy ALLIX : Je n'ai vraiment pas l'impression de fonder une nouvelle sécurité, car les sécurités m’ennuient Profondément. Les discours sécurisants, qui érigent une vérité comme un rempart - et ce n'est pas du tout lediscours philosophique qui est en cause - m'ennuient fortement, et je n'ai pas du tout envie de créer une nouvelle sécurité.
Si vous me demandez de donner du plaisir, je veux bien. Donner du plaisir, oui. Si vous me demandez de mettre ma pratique d'artisan des mots dans une relation d'amour à l'autre, je dis oui, tout à fait. Et je pense que l'amour participe aussi de l'insécurité. Je pense que l'amour, pour reprendre le mot de RILKE est << la chose la plus difficile du monde. » Il faut accepter ça.
l'hermétisme
Jean LECANNELLIER : Monsieur ALLIX, je voudrais vous féliciter tout particulièrement de votre exposé. En tout cas moi je l'ai ressenti, peut-être, parmi tous les exposés qui nous ont été faits par des artistes, comme celui qui s'est approché le plus près de certains problèmes fondamentaux de la création artistique. A cette occasion, vous avez parlé du corps, en soulevant tout le problème énorme de la sensibilité et de la sensation - et VALÉRY a écrit des pages remarquables là-dessus - et vous avez évoqué également la crainte, la peur d'une certaine réalité, et là c'est le domaine émotif, c'est une autre dimension de la perception humaine.
En vous écoutant, je revenais à une question que je me suis souvent posée : d'où est parti l'art ? Parce que faire la philosophie de l'art, c'est juger ou gloser sur les aboutissements de l'art. Mais l'art ? l'artiste ? Et finalement, moi j'en arriverai à dire : l'art, c'est un langage, c'est un langage pour décrire une certaine réalité. Il est d'autant plus difficile que la perception de la réalité est plus complexe et que la réalité est plus riche, et sous cet angle-là, j'aurais tendance à dire que l'artiste est le voleur de feu. Et une fois qu'il a eu l'étincelle, que s'est révélée à lui une certaine réalité, il faut qu'il la transmette, et il faut qu'il trouve, soit par la peinture, soit par la musique, soit par l'écriture, le moyen de la communiquer. D'où la difficulté du langage, l'obscurité du langage, et souvent - je pense à la peinture abstraite moderne - la difficulté de la lecture.
Et je voudrais dire aux jeunes lycéens et lycéennes qui pourraient avoir tendance à se décourager quand on leur montre des textes contemporains difficiles à lire : Ne vous étonnez pas ! l'art n'est pas quelque chose qui se lit comme le journal quotidien. Il faut le mériter, c'est une initiation, il y faut des années ! Vous ne pouvez pas prétendre lire, déchiffrer, apprécier et comprendre un poème un peu dense, un peu compliqué, traduisant des réalités très riches, comme vous lisez, dans votre journal, l'exposé de la situation politique à l'Assemblée nationale. C'est ça l'erreur moderne : il y a eu tout un courant de pensée - notamment dans les années 50, l'époque de ma démobilisation - qui a considéré que l'art était fait pour le peuple, que le peuple devait pouvoir le comprendre, sous prétexte que dans les cathédrales on a fait les sculptures et les vitraux pour que le peuple puisse comprendre ce qu'était la divinité, ou la religion.
J'ai, moi, une position tout à fait opposée. L'art est un exercice spirituel de très haut niveau; il y faut une initiation, et ce n'est pas quelque chose qui est à la portée de tous. Il faut le mériter. Vous avez évoqué tout à l'heure le fait que le lecteur lui-même s'enfermait quelquefois dans une espèce de fatalité de la facilité de lecture, et vous avez eu tout à fait raison. Et la modestie du créateur, que vous avez revendiquée, vient de ce qu'il cherche un vocabulaire, et n'est pas du tout sûr de le trouver. Devant cette réalité très riche qu'il s'efforce d'exprimer, il y a plusieurs interprétations, il y a plusieurs lectures, et c'est tout le problème de la création artistique qui est soumise au jugement ou à l'appréciation du lecteur ou du spectateur. Et c'est un des processus les plus difficiles qui soient. Il ne faut pas s'étonner que dans certains cas, on reste devant la porte et qu'elle ne s'ouvre pas. Elle s'ouvrira plus tard.
Guy ALLIX : Je vous remercie beaucoup de votre intervention, et je voudrais la compléter avec deux remarques qui contredisent peut-être un peu, d'une certaine façon, ce que vous venez d'avancer et qui pourtant me touche beaucoup; et là je vais faire référence à mon expérience de pédagogue concernant cette difficulté de la poésie contemporaine.
Vous dites : « ça se mérite, il faut être initié ». Eh bien, je suis désolé. Faites lire du CHAR à un adulte : c'est difficile, c'est difficile... Faites lire du René CHAR à des enfants de sixième : ils comprennent, ils s'y reconnaissent. Là, je crois qu'il y a peut-être beaucoup de choses à dire. Il y a une tradition de lecture, une tradition scolaire aussi, dont il faudrait parler.
Mais je voudrais citer une deuxième anecdote : dans ma famille, j'ai eu souvent des discussions avec quelqu'un qui aimait beaucoup la poésie... mais qui ne comprenait pas ce que j'écrivais. Par contre RIMBAUD... ah, RIMBAUD ! Comme je suis un peu facétieux, j'ai recopié un jour sur mes feuillets habituels quelques extraits de RIMBAUD, j'en ai cassé un peu la structure, et j'ai fait lire ces textes à cet admirateur de RIMBAUD, qui trouvait ma poésie hermétique. Sa réaction fut... très claire : « Non, vraiment, je ne comprends pas ce que tu écris... ».
Il y a des choses étonnantes à dire sur l'hermétisme de la poésie contemporaine... Mais je pense que notre tradition intellectuelle de lecture brise peut-être beaucoup de choses et permet cet enfermement, non pas du poème, mais du lecteur. Ce qui n'exclut pas qu'il peut y avoir des créateurs contemporains qui recherchent systématiquement l'ambiguïté, je ne dis pas le contraire. Je peux seulement affirmer que ce n'est pas mon cas.
Jean LECANNELLIER : Vous avez dit : des élèves de sixième ; je suis d'accord avec vous. Mais certainement pas des élèves de première, que l'éducation a coupés de certaines perceptions instinctives.
Guy ALLIX : Non, c'est bien ce que j'ai dit.
Claude GOIGOUX-BECKER : Il ya d'ailleurs une confirmation de ce que vous disiez des enfants de sixième qui comprennent très bien René CHAR : c'est qu'à Coutances, un service pédagogique travaille actuellement à faire découvrir à des enfants de C.M.1 et de C.M.2 le fond d'art abstrait - ou conceptuel - du Musée. Eh bien, ces enfants comprennent parfaitement l'art abstrait. Ils le saisissent, ils en profitent je dirai même qu’ils en discourent, et je crois que la plupart des adultes, devant ces mêmes œuvres, lorsqu'ils ne sont pas, initiés, ne sont plus en mesure de les comprendre. Alors oui, il y a cette merveilleuse liberté, cette ouverture de la jeunesse, qu'hélas la civilisation nous fait perdre petit à petit.
Concernant votre œuvre, c'est peut-être l'effet de l'âge, ou celui de l'initiation, mais c'est la première fois que j'entends vos poèmes, et contrairement à vos élèves de terminale, pour moi ils étaient clairs. Evidemment, je ne saurais expliquer pourquoi, mais j'ai très bien compris, et notamment ce poème de 1’acte d’amour entre l'homme et la femme, qui est absolument merveilleux6 parce que c'est tout ce que vous avez expliqué par la suite : ce mélange de la joie, de la souffrance, de l'espoir et de la déception, de la vie et du l’amour. Ce n'est peut-être pas vous en tant qu'homme de tous les jours, mais je crois que là vous avez exprimé exactement ce que c'est que la vie.
vérité de la poésie
La vie, c'est ça, c'est à la fois la joie et la tristesse, la vie et la mort, l'élan et la rigidité. Alors, vos poèmes sont merveilleux, merci.
Guy ALLIX : Je vous remercie beaucoup, mais je ne tiens pas non plus à ce qu'on dise, après la lecture de mon poème : « Guy ALLIX dit : La vie, c'est ça ». Je crois que là encore, on donnerait une espèce de dernier mot, et pour moi - c'est une image que j'ai utilisée une fois, dans une conférence - pour moi, le dernier mot erre. C'est ma façon d'écrire le mot modernité. C'est l'anagramme du mot modernité. Et je tiens à ce que le dernier mot erre, et qu'on n'arrête pas l'œuvre en disant : « la vie, c'est ça ».
Claude GOIGOUX-BECKER : Effectivement, ce terme «erre» que vous employez rejoint la notion de cycle, de boucle, cette image que vous avez évoquée tout à l'heure. C'est-à-dire qu'à la fois vous revenez, pas pour fermer, mais pour repartir. Et c'est ça l'histoire de l'homme ; c'est une perpétuelle boucle, qui ne s’arrête jamais, mais repart.
Jean CABON : En somme, vous semblez réticent vis-à-vis des propos de Monsieur GOIGOUX-BECKER, dans la mesure où vous ressentez peut-être cette peur qu'on puisse interpréter votre discours comme l'énoncé dune vérité, comme prétention au dévoilement du réel.
De même, vous avez dit votre réserve à l'égard de la notion de science, et vous avez fait connaitre votre accord seulement partiel avec les propos de Luc MACÉ, dans la mesure où vous avez approuvé, au fond, qu'il « mette les pieds dans le plat », mais vous avez souligné qu'il y avait tout un monde entre l'énoncé cl un théorème mathématique, ou d'une loi physique, et un propos poétique.
poésie et science
Permettez-moi de préciser le point de vue que j'ai essayé d'évoquer brièvement tout à l’heure à propos de la science. Ce que j'ai voulu dire, c'est qu'aucune discipline ni aucune démarche ne peut prétendre à la science - c'est-à-dire au niveau le plus élevé de la connaissance - si elle ignore selon quels principes elle fonctionne. Par exemple, Christophe DELECROIX disait il y a quelques jours que ce que l'on appelle bien souvent la science, c'est une série de disciplines qui prennent le monde comme déjà donné, qui ne s’interrogent pas sur sa nature, qui décrivent, certes, les phénomènes, qui essayent de déployer les lois qui les régissent, mais qui n'entreprennent ni réflexion sur la nature d'un objet, ni réflexion sur la nature du monde, ni, encore moins, de réflexion sur la nature de la pensée.
Ce que j'accepterais volontiers de nommer science, c'est une connaissance qui envelopperait à la fois, ce qu'on peut appeler l'objet de cette description et le processus de la connaissance qui la rend possible. Et c'est d'ailleurs ce que PLATON nous apprend, et que nous avons trop tendance à oublier. Je crois que le terme de science est galvaudé s'il s'applique à une discipline qui ne connaît pas les principes qui autorisent son propre fonctionnement.
Christophe DELECROIX : Je voudrais juste prolonger tout cela avec une petite citation de BAUDELAIRE , tirée de L'Art romantique : « La poésie doit marcher main dans la main avec la philosophie et la science ». Voilà : je crois qu'on est d'accord là-dessus.
Guy ALLIX : Avec la philosophie, ça ne me pose pas trop de problèmes, mais, bien que je ne circonscrive pas la science aux sciences exactes - loin s'en faut - je me méfie quand même de certaines utilisations un peu abusives et galvaudées du mot science. Et ce sur quoi je reprenais Lue MACE tout à l'heure, c'est qu'on ne peut pas comparer l'incomparable.
Je rappellerai ici une citation du Professeur jean BERNARD, qui m'avait parlé de cette comparaison entre la création scientifique et de la création littéraire, et il disait : «Avant BAUDELAIRE, les Fleurs du mal n'existaient pas ; avant la découverte de la loi de la gravitation, la gravitation existait déjà ». Bien sûr la loi scientifique ne peut être enfermée dans une formulation définitive. Elle ne peut être que provisoire - les sciences dites exactes sont elles-mêmes soumises à l'erreur et à la rupture - mais peut-on pour cela comparer l'incomparable et affirmer de façon péremptoire, ainsi que Luc le faisait tout à l'heure : les sciences se trompent, le poème ne se trompe pas ? Le poème, il existe, point. Il n'a pas à se tromper ou à ne pas se tromper. C'est pourquoi le poème n'a pas besoin de preuve, ainsi que le disait CHAR.
Jean CABON : Le poète ne risque pas d'être démenti par l'expérience, il ne soumet pas ses énoncés à un protocole expérimental susceptible de le démentir.
Guy ALLIX : Oui,tout à fait, et c'est justement pourquoi on ne peut pas comparer, parce que le discours n'a pas du tout le même statut. La poésie se donne, justement, comme n'ayant pas besoin de preuve.
Jean CABON : Alors, excusez-moi, mais si le Professeur jean BERNARD vous a dit que la gravitation existait avantqu'on en parle, je ne serai pas d'accord avec lui. Personnellement, je crois que la gravitation n'existe qu'à partir du moment où on la pense. Mais c'est peut-être là une différence de position que je dirai métaphysique.
Christophe DELECROIX : A propos de ce qu'a dit Monsieur Luc MACE, tout à l'heure, je ne sais pas s'il tenait à opposer la science à la poésie...
Guy ALLIX : Non, ce n'était pas fondamental dans son discours, et d'ailleurs il a bien parlé, effectivement, de physiciens qui étaient poètes, et il a cité EINSTEIN. Je disais simplement : attention à ne pas comparer des disciplines qui ne sont pas comparables, parce qu'elles n'ont pas du tout les mêmes présupposés, ni les mêmes fondements, ni la même démarche.
Christophe DELECROIX : Ce qui m'avait frappé dans son discours et qui, je crois, est de l'ordre de la vérité, et de la vérité philosophique, c'est que la poésie était la base des sciences, c'est-à-dire que sans la poésie, nous ne saurions pas qu'il y a du monde. Et cela rejoint ce que disait Monsieur GOIGOUX-BECKER sur les enfants qui entrent admirablement dans la poésie de CHAR, comme vous nous en donniez l'exemple, pour une raison qui me paraît assez simple : c'est que les enfants ne sont pas encore habitués au monde, qu'ils ne croient pas déjà savoir, et qu'ils ont cette faculté d'écoute, dont parlait JACCOTTET, qui fait qu'ils sont sensibles à ce qu'il y a d'originel et d'originaire dans les choses, ce qui nous échappe complètement dès lors que nous ne faisons que les utiliser, c'est-à-dire les supposer déjà là.
l'ordre du monde
Jean LECANNELLIER : Je suis d'accord sur l'analyse de la réaction des enfants devant une certaine réalité, mais pas du tout d'accord sur le fait que la loi de la gravitation n'existait pas avant qu'on la découvre. L'univers est là, dans l'univers il y a des tas de lois, des multitudes de lois, que nous n'avons pas découvertes encore, que nous n'avons pas analysées, et nous le faisons avec un système de pensée qui est le système de pensée humain qui est bien infirme par rapport à la connaissance qu'il faudrait avoir pour saisir l’univers,mais cet univers il est là, il existe, un jour on le découvrira. Mais dire qu'on le fait naître à l'existence parce qu'on l'a nommé ou parce qu'on l'a conceptualisé, je m'excuse, je ne peux pas suivre sur ce plan philosophique.
Par ailleurs, l'art est justement le domaine et l'instrument par lequel, avec un vocabulaire qui n’est ni scientifique ni usuel, mais qui s'invente à chaque fois, on essaie de saisir certains aspects de la réalité. Alors c’est une création, c'est vrai, mais c'est une création dans le contexte des moyens de perception de l’homme pour découvrir le monde qui l'entoure, ce n'est pas une création sur le plan métaphysique, car ça existe déjà avant que l'homme l'ait reconnu, l'ait nommé, étiqueté, ou en ait déduit telle ou telle chose.
Denise TROUET : Vous avez parlé à juste titre d'artisanat. Et vous avez cité la phrase de Péguy sur l’ouvrage bien faite, et il disait ça pour sa mère, qui était rempailleuse de chaises. Donc, vous ne niez pas le travail que vous effectuez, tout de même, alors qu'à vous entendre, au début : « tout est spontané. Je ne cherche à rien prouver... »
Guy ALLIX : Ah, non ! je ne défends pas du tout le spontanéisme : le poème est un faire, donc un travail.
Denise TROUET: Ah ! la spontanéité, ah ? au tout début ? Ah non ! Et puis après, en effet, « je rature et je… »
Guy, ALLIX : Ah ça, non, je ne pense pas, ou je me suis mal exprimé, c'est possible. Pour moi, il ne s’agit pas de spontanéité, et j'ai bien parlé de travail. Au niveau de ma communication, aujourd'hui, c'est vrai qu’elle est un peu décousue, spontanée, c'est peut-être difficile d'y mettre un peu d'ordre, mais au niveau de ma pratique, je parle bien d'artisanat, d'artisanat des mots, et comme le disait très bien GUILLEVIC : « mon père travaillait avec des planches, et moi je travaille avec des mots », j'assemble des mots, et c'est tout.
Et je crois qu'on gagne, quand même, quand on parle de poésie, à remettre un peu les choses en place, à retrouver l'humilité essentielle dont n'auraient jamais dû se départir les poètes. C'est pourquoi j’étais gêné face à l'intervention de Luc MACE, que j'approuvais sur bien des points, mais qui pour moi présentait le danger de remythifier à nouveau la poésie et le poète. Oui, la poésie est chose sérieuse, car c'est poétiquement - par le langage - que nous habitons le monde. Mais n'est-ce pas aussi justement quand le poète manque d’humilité qu'il n'est plus pris au sérieux ?
Denise TROUET : Vous ne vouliez pas être prétentieux, donc : «j e ne cherche pas à jouer au poète... »
Jean CABON : J'ai eu l'impression qu'en vous écoutant, Monsieur ALLIX, nous avions mieux compris ce qui pouvait opposer le père et le fils, Luc et Arnaud MACE. Arnaud qui est beaucoup plus proche de vous en ce qu’il développait aussi le thème de l'échec de la poésie, et Luc qui a une vision beaucoup plus « métaphysique », qui conçoit la poésie comme un passage vers l'absolu.
Je ne voudrais pas abuser de mon temps de parole, mais je dois répondre à Monsieur LECANNELLIER à propos des lois de la nature.
Qu'est-ce qu'une loi ? C'est l'énoncé d'un rapport constant entre des phénomènes. Et ce rapport n’existe pas tant qu'il n'est pas pensé. Et par conséquent, à supposer qu'il y ait un monde indépendant de l’activité intellectuelle, comme vous le disiez vous-même, l'infirmité de notre connaissance nous condamne à exprimer ou à traduire ce monde avec des outils conceptuels qui sont les nôtres, que nous appelons des lois, et ces lois changent, d'ailleurs, la science ne cesse de modifier les modèles par lesquels elle tente de s’approcher d'un réel supposé, mais je me refuse à dire qu'il existe des lois, et de multiples lois, tant que nous ne les avons pas énoncées. Je crois que la loi est de l'ordre du langage.
Qu'il y ait un réel hors de ces énonciations, c'est vraisemblable, et je dirai même qu'il faut le postuler afin de ne pas décourager toute entreprise de recherche scientifique - c'est ce que certains ont appelé le principe d'objectivité - mais encore faudrait-il pouvoir répondre à la question : quelle est la nature du de ce réel ? Je me suis permis ce matin de citer une formule de Bernard d'ESPAGNAT, qui dit que le réel est inconnaissable. Je ne veux pas me réfugier derrière l'autorité de ce physicien -j'ai horreur du principe d'autorité - mais c'est un scientifique très sincère, et qui soutient la thèse suivante : certes, il y a du réel, dit-il. Mais il est voilé, et nous ne pouvons pas garantir qu'il comporte en lui-même des réalités absolues, séparées les unes des autres, ni qu'il soit tel que nous nous représentons le monde avec nos notions habituelles de l'espace et du temps.
Il dit que les objets ne commencent à exister scientifiquement qu'à partir du moment où nous pouvons, en quelque sorte, les exhumer du magma de ce réel voilé. En d'autres termes, c'est dans la mesure où nous pensons l'objet, et seulement au moment où il devient objet de perception ou de science, qu'il se met à exister, c'est-à-dire qu'il se sépare du chaos. Auparavant, on pourrait dire des « objet s» qu'ils sont tous les mêmes, qu'ils sont comme fondus dans une réalité indistincte, et c'est le processus de la nomination, le processus de la parole et de la pensée qui sépare les objets de ce monde chaotique et les fait exister.
Eh bien, je rejoins tout à fait cette vision de Bernard d'ESPAGNAT, qui est d'ailleurs très proche de celle de KANT, et il faut simplement s'étonner que beaucoup de scientifiques aient attendu deux cents ans pour retrouver la perspective kantienne.
Jean LECANNELLIER : Je suis d'accord avec votre analyse, mais là où je ne suis pas d'accord avec vous, c'est que là où vous employez le mot existence, moi je mets le mot connaissance. Quand nous énumérons les lois physiques ou découvrons des œuvres d'art, nous amenons cette réalité à la réalité de la connaissance. Pour moi, là où je ne peux pas suivre certains philosophes, c'est qu'ils assimilent connaissance et existence. Pour moi ces choses, ou ce magma, existent, et dire que parce qu'on identifie une loi ou un objet, parce qu'on trouve une expression heureuse pour traduire une réalité, on l'amène à l'existence, non ! On l'amène à notre connaissance. Mais elle existait avant, elle était antérieure à cette connaissance ; c'est-à-dire que pour moi c'est réductionniste, parce que ça ramène tout à la connaissance humaine.
Christophe DELECROIX: Je crois que dire « magma », dire « existence déjà là », c'est déjà dire quelque chose qui est de l'ordre de la connaissance. Enfin, c'est une connaissance de dire magma ! c'est une connaissance de dire univers ! J'aimerais beaucoup qu'on me dise ce qu'on entend par univers, parce qu'univers, quand on y pense, c'est d'abord un mot ! je ne crois pas à l'ineffable, absolument pas, je crois que lorsqu'on dit « l'univers existe », ce qu'on appelle univers, ce n'est rien d'autre que le fait de le postuler comme toujours déjà là, je crois qu'il n'y a d'univers que pour autant que nous le postulons, et que, s'il y a quelque chose que l'art nous apprend, c'est que précisément les choses ne vont pas de soi.
Quand je disais que l'art nous apprend à penser, nous donne à penser, ou qu'il est le commencement de la pensée, c'est bien par le fait d'un étonnement primitif, originel, cet étonnement des enfants qui fait que lorsqu'ils sont en face d'une chose, ils ne croient pas toujours la connaître. DESCARTES a commencé à penser par le doute ; je crois que le doute n'est pas seulement la condition psychologique de la pensée, mais la description même du processus de penser, c'est-à-dire d'un penser qui est vivant, qui n'admet aucune certitude comme allant de soi. Je crois que l'existence du monde est, de toutes ces certitudes, l'une des plus difficiles à extirper, ou du moins l'existence du monde comme une réalité séparée de la phrase dans laquelle on l'énonce. Or, il me semble qu'on ne peut pas la postuler autrement qu'en l'énonçant.
Jean LECANNELLIER : Moi je suis pour le postulat d'existence, et pour le fait que la connaissance nous permet de découvrir cette existence, mais je maintiens que ce n'est pas parce que je prononce le mot « existence » que je crée par là même l'existence.
Ma conviction profonde - qu'on l'appelle comme on voudra, Dieu ou univers - c'est qu'il y a quelque chose qui nous dépasse, qui nous précède, qui nous a précédés, qui nous suivra après notre disparition, et qui est une certaine existence. Mais la connaissance est autre chose ; la connaissance est un phénomène humain, qui nous permet de cataloguer, de comprendre, de manipuler, de calculer, etc., mais avant ça il y avait une existence - et on est presque dans le domaine de la foi - une existence qui est très vague, qui est indéfinissable, qui est un chaos - qui est ce que vous voudrez - et j'ai le sentiment que cette existence, elle est là, et ce que l'art arrache, justement, par morceaux, par petits ou gros morceaux, c'est une parcelle de cette chose qui est là, qui n'a rien à voir avec la science, d'ailleurs, parce que c'est une approche parallèle mais totalement différente, mais c'est aussi une forme de connaissance, et on est toujours dans le domaine de la connaissance.
Mais avec l'art, on est dans la domaine de la connaissance magique, le magique étant ce qui n’est pas défini, ce qui est susceptible de toutes les surprises, de toutes les innovations, qui s'oppose à la science, qui est le domaine du calcul et de la mesure.
Finalement, je crois que nous ne sommes pas très loin l'un de l'autre...
Christophe DELECROIX : Je crois que nous ne sommes pas loin du tout ; surtout que ce que vous appelez existence, ouDieu, ou, comme vous dites, « mettez le nom qui conviendra », moi je l'appelle pensée. C’est-à-dire exactement le fait de présupposer. Et je crois que l'acte de présupposer, c'est la tendance fondamentale de la pensée, et c'est pourquoi on croit toujours que l'univers nous précède - à tort à mon avis - parce que l'univers n'est rien d'autre que l'acte d'avoir été présupposé. A la fin de l'exposé sur PIERO DELLA FRANCESCA, j'avais cité cette phrase de HEGEL selon laquelle nous sommes toujours dans le maintenant, que même lu passé est une forme particulière du maintenant, le souvenir, mais que tout existe seulement dans un maintenantqui est celui de la pensée.
le dernier mot
Jean CABON : J'ai l'impression que nous sommes en train de priver Monsieur ALLIX de sa conclusion, que nous nous écartons de notre sujet, même si tout est englobé dans ce type de question, et je voudrais lui redonner la parole...
Guy ALLIX : En fait, je n'ai pas de conclusion; je crois avoir conclu tout à l'heure à ma façon, c'est-à-dire àla façon de quelqu'un qui n'aime guère tout ce que peut comporter de péremptoire et de prétentieux le fait même de vouloir conclure.
Jean CABON : Il est vrai que le dernier mot doit errer, et je crois que vous préférez laisser devant vous un espace disponible pour la création ou la lecture...
Guy ALLIX : C'est cela. Je vous remercie.
Notes
1. Premiers recueils de poèmes de Guy ALLIX : La tête des songes, 1974 et 1975 ; L'éveil des forge, 1976 aux éditions de l'Athanor.
2. Le poète est aussi celui qui affronte les paradoxes et les contradictions.
3. Chez les surréalistes, par exemple, la science et la « Vérité poétique » ont souvent été de pair avec différentes pratiques touchant la voyance et la divination.
4. Du reste le lecteur, comme il refuse l'aventure du poème, refuse la nouveauté qui lui est associée parce qu’elle est nouveauté. Pendant longtemps René CHAR a fait figure de « poète obscur ». Bertrand POIROT-DELPECH titrait sa chronique consacréeà l'édition des œuvres complètes de René CHAR dans La Pléïade : Eloge de l'illisible. Lors de la mort du l’auteur des Matinaux, les invités des quelques émissions télévisées qui lui étaient consacrées s'extasiaient devant sa clarté, sa limpidité...
5. Francis PONGE l'explique assez bien dans Méthodes en reprenant le discours de Socrate sur les poètes.
6. Guy ALLIX, Mouvance mes mots, avec une préface d'Hubert JUIN, éd. Rougerie, 1984. Derniers recueils, publiés chez le même éditeur : Fragments des fuites, 1987 ; Lèvres de peu, avec une préface de Pierre DHAINAUT, 1993. Récompensé par le Prix Théophile Gautier 1994, décerné par l'Académie Française.
Causerie-conférence prononcée au lycée Charles-François Le Brun de Coutances en 1992, publiée dans Vérité et jubilation, entretiens sur la philosophie de l'art, Editions Normandie terre des arts