Ce texte a été écrit en février 2003 pour une parution dans le cadre du Printemps des poètes.

 

La gare du Havre

En partance...

 

 

 

Une gare dans un havre... Havre de grâce. Havre de paix. Gare fluviale presque. Et pourtant, en sourdine, le lecteur entend comme un tambourinement terrible de train fou, abandonné. Gare ! Gare à la Lison qui tire l’express Paris-Le Havre.

Gare, lieu toujours inquiétant comme celle de Saint-Lazare - où partait aussi la Lison - peinte par Monet et où les êtres se réduisent à de simples taches, écrasées par un vacarme de feu et de fumée.

Celle du Havre, aujourd’hui, se veut rassurante. Feue depuis longtemps déjà la gare de La Bête humaine. Celle-ci peut s’ouvrir –mais n’est-ce pas le cas pour toutes les gares ?- comme un oiseau vers un ciel bleu. Vers l’aventure, l’avenir, l’avenue.

       Il faut, comme aurait pu dire Rilke, avoir vu un grand nombre de gares, pour être poète. L’homme s’y découvre. Dans la force toujours renouvelée de sa quête et de sa soif. Il s’y découvre aussi dans toute sa fragilité quand les départs annoncent d’autres départs, quand les amours se sont brisées et ont tant peiné malgré tout à dire cette force de l’amour qui les portait, à augurer de cet ailleurs indépassable qui nous était pourtant promis au bout du quai. Quand les amours nous laissent meurtris à jamais loin du havre de ces bras, de cette juste et douce clémence, qui nous étaient destinés tout au long du rail.

Oui, une gare est toujours, par delà l’aspect réglé de ses horaires et de son trafic, par delà cette architecture proprette qui rompt aujourd’hui avec les édifices industrieux du XIXème siècle, par delà son cadastre assagi, un lieu grouillant et instable. Et il faut lui faire face et il faut même s’y plonger, s’y risquer, comme dans les remugles de la vie même. Lieu de retrouvailles et d’abandon. Lieu d’amour, d’échanges furtifs, d’intimité nauséeuse. Lieu de basculement et de déchirement. Lieu de vie et de mort donc.

Ici, le hasard aussi suit son chemin de fer. Nous emporte...

Comme d’autres effluves... Car enfin la mer ici appelle en sourdine depuis le bassin Vauban et le bassin de l’Eure. Depuis le bassin de la Manche où la gare du Havre semble devoir se jeter. La mer appelle, appelle, bat le rappel de l’espoir, comme un cœur, comme un train.

Gare océane !

14 février 2003