Une exigence
Une exigence
C’est ainsi toujours chez moi : je ne sais pas. Un tic de pensée ? peut-être. Et de ce fait après en avoir lu quand même pas mal, en avoir tant fait lire aussi, après en avoir finalement écrit, moi qui ne m’en pensais pas capable, je ne peux dire que cela : je ne sais pas ce que c’est qu’un poème pour enfants. Non vraiment pas ! Pour parodier Socrate je sais que je ne sais pas ce qu’est un poème pour enfants.
Non ce n’est pas une dérobade de plus. Je ne sais pas. Vrai de vrai. Tout au plus puis-je sentir cette inflexion si juste, mais intraduisible et inexplicable, qui me dit que tel poème (qui peut être écrit pour un adulte aussi… nous y reviendrons) n’a pas laissé les enfants à la porte.
Ou alors je sais peut-être… ce que n’est pas la poésie pour les enfants. Oui, la poésie pour les enfants ce n’est pas, ce ne peut être ces misérables mièvreries qui humilient l’enfance même. Et crétinisent les enfants quand le but de la poésie est d’abord, pour moi, d’élever et « d’apprendre à voir »
Je me souviens de l’ami Jean-Pierre Siméon intervenant au début des années 90 devant les élèves de mon club poésie au collège Lavalley de Saint-Lô. Je me souviens de sa grande lucidité. Il avait fait un tabac ce jour-là en montrant comment à force de ne parler que de choses bien gentillettes, on finissait par ne plus rien dire du tout. Il affirmait aux enfants que, a contrario, la poésie qui leur était destinée vraiment devait avant tout être le fruit d’une exigence.
Oui, La poésie « pour les enfants » me semble, hélas, le plus souvent la forme la plus censurée qui soit. Parce que, enfin, il ne faudrait, parait-il, ne parler que de choses « gaies », « mignonnes ». Ne jamais évoquer de choses graves ou douloureuses. Adieu la mort (ça traumatiserait nos petits !), la solitude. On ne va pas parler non plus de souffrance, de séparation, d’injustice, ni de sexualité bien sûr. C’est le règne du divertissement dénoncé par un Pascal, ce divertissement qui crétinise aussi toute notre société. En gros la poésie revue par Walt Disney comme il a revu les contes !!! Ah Le Petit chaperon rouge, qui renait miraculeusement du ventre du loup, niant ainsi entièrement le message d’un Perrault !!!
Il conviendrait donc de maintenir les enfants dans l’ignorance. Je dis ici que cette fausse poésie est la forme la plus censurée qui soit et je ne peux m’empêcher de penser au fameux monologue de Figaro :
« … pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j'annonce un écrit périodique, et, croyant n'aller sur les brisées d'aucun autre, je le nomme Journal inutile. »
Ainsi je pense savoir quand même un peu que la poésie pour les enfants est sûrement autre chose que ce « journal inutile » qu’on leur annone pour en faire de petits ânes, voire… de futurs moutons.
La poésie « pour les enfants » me semble aussi le plus souvent la forme la plus lexicalement pauvre qui soit. Il convient de n’employer que des mots simples, voire très simples. Les auteurs se devraient de limiter leur lexique à 200 mots peut-être. Car enfin il est dit que les enfants ont peu de vocabulaire… et les poètes pour rester à leur portée devraient s’interdire cette noble ambition de les enrichir de ces petites billes multicolores que sont les vocables nouveaux, voire les termes rares. Je ferai ici un détour, une nouvelle fois, par Le Petit chaperon rouge. Un conte et pas un poème certes, quoique, mais qui nous en dit long sur l’utilisation qu’on peut faire des mots dans la littérature enfantine. Je me souviens de mon maître de CE2 nous lisant le conte de Perrault sans en rien changer. C’était une classe de garçons à l’heure où les écoles n’étaient pas toutes mixtes et sans doute ne percevions pas tous le sens de la mort du Petit chaperon quand bien même la morale de Perrault fut sans doute aussi énoncée. Et tous les mots étaient là… Même cette phrase qui est restée dans la mémoire de beaucoup : « Tire la bobinette et la chevillette cherra » ! Ah ce merveilleux petit sac de billes ! Je ne sais pas même si le maître l’ouvrit au tableau pour nous montrer le sens de chacune de ces agates. Je ne m’en souviens plus mais leur petite musique est restée gravée dans ma tête plus de cinquante ans plus tard. Et si j’ose faire référence ici non à une citation de poète mais à un conte, c’est que l’on aura bien compris toute la puissance poétique de ce passage avec ses jeux de rimes et ses allitérations. Le petit enfant que j’étais, et que je veux rester mais sans fausse niaiserie envers et contre tout, a retenu de ce conte la malheureuse mort du chaperon trop candide mais aussi ce vers de poète.
Je me souviens aussi avoir lu un article de Michel Tournier dans le « Magazine Littéraire » où il affirmait qu’écrire pour les enfants est bien plus difficile, exigeant, qu’écrire pour les adultes ! Et nous devrions écrire à hauteur de cette exigence même. Je parlais tout à l’heure de cette poésie « qui ne laisse pas à la porte les enfants » et je crois que la vraie poésie enfantine, comme la vraie littérature enfantine, ne laisse pas non plus les adultes à la porte. Comme Le Petit Prince, le poème « Les mouettes » d’Andrée Chedid invite petits et grands. De même ce « Tu dis » de Joseph-Paul Schneider. Anne Herbaults dans Sans début ni fin ou Sofie Vinel dans Les petites affaires de Marie-Louise ne laissent pas les adultes à la porte. Je pense encore aux poèmes pleins d’une merveilleuse densité de Marie-Josée Christien dans Conversation de l’arbre et du vent. A contrario un Guillevic a pu écrire des niaiseries pour les enfants… qui préfèrent ses poèmes « pour adultes ».
Pour ma part, je l’ai dit, je me suis longtemps cru incapable d’écrire pour le jeune public. J’avais ainsi décliné l’offre de mon ami François David de faire partie d’une anthologie sur le clown qu’il lui destinait. Et quand enfin j’ai écrit des contes ou des poèmes pour les enfants, ce ne fut pas sur une décision de ma part mais poussé simplement par la vie, par l’amour, voire par la douleur, et mes rapport avec eux qu’ils soient présents ou effroyablement absents. Sans vouloir me poser pour autant en modèle, loin s’en faut, je pense qu’écrire à destination des enfants ce devrait être cela : une expérience et non, surtout pas, cet exercice de style bêtifiant et vain.
Je ne sais si, écrivant mes Poèmes pour Robinson, j’ai « fait œuvre » et après tout peu m’importe si simplement quelques tout jeunes copains très loin de moi, dont peut-être un jour un petit-fils inconnu, sont émus un soir et rêvent de tenir la main d’un grand-père orphelin. Mais j’ai été très touché quand des amis parfois plus âgés que moi, ont pu me dire, qu’ils avaient aimé ces poèmes et que « ce n’était pas que pour les enfants ». Un peu comme quand une petite pousse vient nous dire qu’elle a aimé tel texte qu’on ne lui croyait pas destiné, et ce sans avoir eu pour autant à tirer la bobinette et à faire choir la chevillette spécialement pour elle.
Guy Allix
article paru dans Les Cahiers du CRILJ
n° 8- novembre 2016
Le CRILJ est à Montreuil du mercredi 29 novembre au lundi 4 décembre 2017 du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis (Métro : Robespierre) en voisin de la Bibliothèque nationale de France et du Ministère de la Culture. Venez nous rencontrer sur le stand H18.
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