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Guy Allix, poète
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10 octobre 2022

Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022 : un bonheur pour ses lecteurs et pour la littérature

Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022

Un bonheur

 

 

J'ai abordé l'oeuvre d'Annie Ernaux à partir de La Place (1984), un grand livre déjà et qui me parlait particulièrement. J'ai ensuite lu toute son oeuvre, capitale. Une oeuvre forte, engagée dans le combat des femmes et dans le combat social. Une oeuvre authentique et courageuse au carrefour de l'intime et du social, du corps et du monde. Une oeuvre sans fard et sans ornement car la beauté du vrai lui suffit. 

J'ai dit, depuis longtemps et plusieurs fois, mon admiration pour Annie Ernaux, j'oserais dire mon amour pour son oeuvre et sa franchise, tant je me sens proche par mes racines et ma propre écriture. J'ai aussi défendu cette oeuvre, en compagnie de ma collègue Martine Margueritte, dans un projet pédagogique au lycée de Carentan dans la Manche avec un projet de correspondance de deux classes de seconde avec Annie...

"Quand je pense que mon prof de lycée m'a fait découvrir et a permis à ma classe de correspondre avec le prix Nobel de Littérature 2022... Merci pour ça mon capitaine". Marie, devenue prof de lettres et qui fait découvrir aussi Annie Ernaux à ses élèves... 

 

Annie avait alors répondu aux questions avec une immense générosité et beaucoup de rigueur en développant pour eux son art d'écrire, son exigence. 

Wikipedia fait encore référence, dans les notes de l'article consacré à NOTRE Nobel, à cet entretien vingt-cinq ans plus tard.

 

L'obtention de ce prix, si mérité, est un bonheur pour moi !

Commande Autour de La place avec Annie Ernaux

Petit ajout, plusieurs jours après la publication de cette page, sur mon site et avant diffusion :

Simplement je viens du même monde qu'Annie Ernaux, ce monde des sans-voix et je suis, comme elle mais avec beaucoup moins de classe un "transfuge" et, comme elle, un transfuge qui n'a pas renié son monde, sa classe, d'origine.  Annie Ernaux témoigne, avec rigueur et justesse, de ce monde, lui donne voix justement. Et nous sommes très nombreux et très nombreuses à vivre ce Nobel avec bonheur. Quant au torrent de haine qui s'est abattu sur elle et sur ses combats après l'obtention de son prix, il montre d'une part l'hypocrisie de l'extrême droite, "populiste", qui manipule le peuple mais ne consent pas bien sûr à lui donner voix. Et il confirme d'autre part ce terrible mépris de classe de nantis qui ne supportent pas qu'on puisse évoquer simplement la misère sociale. "Ce n'est pas décent" selon eux, "c'est du misérabilisme" - ce mot "misérabilisme" est à lui seul une censure - Une grande amie m'avait raconté que, jeune étudiante à Rennes, elle avait un soir commencé à évoquer son enfance modeste et un  "ami" l'avait interrompu : "Arrête de faire ta Cosette"... Cela se passe de commentaire car on ne commente pas la bêtise ! Ne pas témoigner, ne pas évoquer cela, ne pas dénoncer cette misère sociale en la rapportant avec rigueur c'est accepter l'injustice révoltante de ce monde. On voit clairement de quel côté sont ceux qui dénigrent l'oeuvre d'Annie Ernaux, de ceux qui, en quelque sorte, voudraient censurer cette écriture - et son combat pour les femmes et la justice - en la dévalorisant.   

 

Merci Annie. Chacun de vos lecteurs vous remercie avec moi. Vous, "la scandaleuse", ainsi que vous le rapportez à un moment, vous êtes l'honneur de la littérature de ce temps.

En fraternité de classe. 

 

 

Je me permets de joindre simplement un des articles que j'ai écrits sur les livres d'Annie, qui a toujours su aussi répondre avec beaucoup de générosité à mes envois. Il s'agit là d'un livre moins connu : L'autre fille publié chez un bel éditeur mais plus confidentiel que Gallimard. L'article était paru dans la revue Spered gouez en Bretagne.

L’autre fille, Annie Ernaux, NIL

Je ne cache pas mon admiration pour l’auteur de La Place et ce depuis de nombreuses années. Et ce « petit » livre ne fait que conforter ce sentiment qu’Annie Ernaux est l’un des grands auteurs de ce temps.

En littérature tout se joue le plus souvent au-delà des limites de la littérature, frontières sans cesse reculées vers d’autres espaces encore inexplorés. Au fond le vrai livre, le grand livre, a partie liée avec l’impossible. C’est sur de telles réflexions que m’entraîne la lecture du dernier opus d’Annie Ernaux. En 2008, elle nous avait donné un superbe cadeau avec Les Années, excédant alors son format habituel et sondant avec une troisième personne (si rare chez elle depuis Les Armoires vides) ses souvenirs pour retrouver la mémoire sociale de tous. Aujourd’hui elle revient à cette écriture limite qui était à l’œuvre justement dès La Place. 78 pages dans un très petit format. Le livre (de fort belle facture dans cette nouvelle collection qui promet) se lit en 20 minutes…

Non et non, car on ne le quitte pas, on est étreint par cette longue lettre que l’auteur écrit à sa sœur, morte avant qu’elle-même ne vienne au monde. « Tu es une forme vide impossible à remplir d’écriture. », affirme Annie Ernaux. Elle écrit encore : « Je ne fais ici que courir après une ombre. » Et pourtant, cette ombre venue du royaume des ombres prend bel et bien forme devant nous. Et c’est plus qu’une sœur absente qui est ici évoquée. C’est celle dont la mort a permis que non seulement ce livre mais son auteur même vienne à l’existence : « Je suis venue au monde parce que tu es morte et que je t’ai remplacée. » Car c’est ainsi : les parents, par « nécessité économique », avaient décidé qu’ils n’auraient qu’un seul enfant : « il fallait donc que tu meures à six ans pour que je vienne au monde et que je sois sauvée. » Le mort de celle dont on a caché même le prénom, Ginette, a permis à Annie de vivre.

On ne trouve nul pathos ici, rien que des phrases épurées, écrites au scalpel, marquées au front de l’exactitude, d’une superbe et inquiétante précision. Le résultat est là : c’est proprement bouleversant.

L’évocation de la sœur absente se fait à travers le « tu » de la correspondance, dont l’auteur sait pourtant qu’il est « un piège », jusqu’à une présence-absence terrible. Est-ce une sœur du reste puisque « D’un certain point de vue, considérable, celui du temps, nous n’avons pas eu les mêmes parents. » ?

Plutôt ce que l’on pourrait appeler une « opposée ». La mort de la petite « sainte » a permis au démon de survivre, démon pourtant « très tôt … mal parti » aussi et qui, selon la mère, sera sauvé du tétanos par de l’eau de Lourdes. La rebelle a pris la place de la « gentille ». Définitivement. Et l’histoire alors de s’écrire d’une autre façon, dans un renversement étrange : « Je n’écris pas parce que tu es morte. Tu es morte pour que j’écrive, ça fait une grande différence. »

Car c’est l’écriture qui est ici le personnage central : « Je ne dois pas éviter cette question : si je n’avais pas eu envie d’écrire au plus près de la réalité dans ce livre-là, La Place, serais-tu remontée de la nuit intérieure où je t’ai maintenue pendant des années ? ».

Tout au long du livre on n’échappe pas à ce sentiment angoissant de l’impossible. « Lutter contre la longue vie des morts. », « faire le tour de (l’) absence. »… Au bout du compte il y a ce terrible aveu : « Je ne peux pas te mettre là où j’ai été. Remplacer mon existence par la tienne. Il y a la mort et il y a la vie. Toi et moi. Pour être, il a fallu que je te nie. » Ce terrible aveu de qui en même temps vient pourtant de faire revivre une ombre. De qui par ailleurs écrit à un destinataire définitivement absent. Et donc impossible lui aussi. Et justement nié.

Le dernier paragraphe de L’Autre fille interroge cette nouvelle limite et avoue « un fond de pensée magique ». Peut-être au fond de toute véritable écriture.

L’Autre fille est un livre arraché à l’impossible, un véritable miracle d’écriture.

Rarement l’expression « coup de cœur » aura été si vraie.

Guy Allix, article paru dans la revue "Spered gouez"

 

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"Si tu veux bien,, félicite-la pour moi et dis-lui que la petite lycéenne en moi a tellement aimé la lire qu'elle transmet aujourd'hui ses textes avec plaisir auprès de ses 3e." Marie, professeure de lettres au collège Barbey d’Aurevilly à Saint-Sauveur-le Vicomte (50) 

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