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Guy Allix, poète
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Coups de coeur


Les chemins de Gérard Bayo

Chemins vers la terre, Gérard Bayo, Le Taillis pré

J'ai présenté il y a peu Gérard Bayo qui est un vrai poète dans l'antho subjective où le visiteur pourra le retrouver et lire ses textes. Je disais de lui :

"C’est bien l’émotion et la pudeur devant celle-ci (la poésie) qui travaillent ainsi la syntaxe, la bouge, l’émeut justement. Et Antoine Emaz a raison de signaler encore qu’il ne s’agit en rien de dérouter ici le lecteur. Tout au contraire, il s’agit de le mettre en route sur ce chemin de l'humilité et du sens retrouvé contre les leurres et les mirages de cette ombre de monde. Au final c’est une poésie essentielle et singulière, sans un mot de trop et dont l’énigme retrouve notre propre mystère d’exister. "Et si le terme du chemin/ était regagné sans fin" . Chemins vers la terre est un des plus beaux recueils qu'il m'a été donné de lire ces derniers temps. Voilà un poète qui sait écouter "la rumeur/ liturgique du temps" et qui sait que "le silence en sait long". C'est loin des logorrhées imbues d'elles-mêmes de cette triste époque que le poète avance en ses chemins, armé de cette seule humilité reconquise. A lire avec le recueil de Max Pons Vers le silence dont je parlerai plus loin.

"Le souffle

au souffle va s'unir. Des corps, deux gardent

les yeux ouverts. Qu'il t'a fallu de temps pour inventer

que toi aussi tu vas mourir !

[...]

Qu'il t'a fallu de temps pour apprendre

en qui demeure

ce qui vit !"

Je citerai encore ce poème pour finir et sans autre commentaire car ici les mots manquent :

"DIRE QU'IL FAUDRA se mettre à nu,

qu'il fallait

aurait fallu,

depuis longtemps. Et les choses

qui nous entourent les rendre

à la liberté. Dire

qu'il sera trop tard,

était, à cet instant

l'est encore.

(...)

Dire

à quel point

nous aurions pu

nous entendre."

Un livre de sagesse.

 

Le poète Loïc Herry

Crise de manque, Dumerchez.

Les visiteurs réguliers du site connaissent aussi Loïc Herry que l'on trouve dans la rubrique "Hommages". J'ai toujours, depuis que je connais sa poésie, ce regret amer de ne pas l'avoir rencontré alors qu'il habitait à une heure de chez moi et que nous nous sommes peut-être croisés sur les bancs de la faculté de lettres de Caen. Je tente comme je peux depuis de rattraper cette terrible erreur de ma vie. Ainsi dès la fin des années 90 je le donnais à découvrir aux lecteurs de "Normandie-magazine" puis je lui consacrais un long article dans les "Cahiers du Sens" en 2001. J'y écrivais "Certaines oeuvres font corps à jamais avec le destin de celui qui les grave dans la pierre et le sang", saluant en lui "une singulière et forte présence". D'autres avaient commencé ce travail de reconnaissance bien avant moi, ainsi l'ami François David qui fut le seul éditeur du poète.

1958-1994. Entre ces deux dates, Loïc n'aura en effet publié qu'un seul recueil : Eclats (éditions Motus). Misère de la poésie ! Misère d'un temps capable d'ignorer si longtemps de tels poètes quand tant d'usurpateurs occupent toute la place.

Avec Crise de manque c'est l'oeuvre des parents de Loïc qui s'achève. Tout ce qui a été retrouvé par eux en 1995 dans le ventre de l'ordinateur de leur fils est disponible pour notre bonheur. Ce fut un long et beau combat.

Et voilà que le recueil traîne sur mon bureau, comme un nouveau reproche, depuis plus d'un an que je l'ai lu. J'y redécouvre avec une grande émotion la dédicace de Nelly et Guy. Il y est dit notamment "Il te ressemblait". Que voilà un compliment qui me touche !

L'ensemble s'ouvre sur un superbe préface de Hubert Haddad : "Loïc Herry, le seul vivant". Le préfacier évoque l'"usage critique des bruits du monde" fait par le poète dans les parties 1, 2 et 3 du recueil. Il dit très justement que "le poète a fait son choix de l'impossible" comme Antigone "soeur cachée du poète".

Les trois premières parties captent en effet les bruits du monde, les mettent en perspective dans de mystérieux collages où l'on sent finalement un autre murmure s'élever peu à peu. Les plus grands poètes peuvent y côtoyer même "l'étiquette de mon pantalon". Et tout cela inquiète sourdement comme toute vraie poésie.

Dans la quatrième partie du recueil se retrouve "l'heure d'Antigone - L'instant clair". On y lit l'urgence et "la voix maintenue sous la rumeur" dans le jour même de la fin où "on mure la caverne".

C'est la voix d'Antigone, la voix du refus, la voix de ceux qui disent "non" contre cette rumeur du monde qui opprime et emmure les âmes :

"Je sais que tu es ici, ma vivante. Ou au bout du monde. ta peau blanche et grenue sous la lumière de toujours. Le rythme de ton coeur et de tes hanches."

"Mon amour, tu es ici, tu es au bout du monde - en moi, dans mes doigts et mes rêves. tu me manques, et dans ce recreusement se déposent un à un les pétales d'une voix lente et qui pèse."

C'est la voix d'Antigone qui déchire les voiles et les mensonges :

"Le réel prétendu est un os qui nous rend à la faim et à l'hébétude - fracas, fausse urgence, fausse importance."

C'est la voix d'Antigone qui perçait déjà derrière cette terrible rumeur du monde, c'est la voix d'Antigone qui nous remet à l'heure exacte du poème :

"Antigone, debout dans la rumeur. L'heure est venue. L'heure n'a jamais cessé de venir, parmi les ruines de toujours."

C'est la voix d'Antigone qui nous apprend que "Nul n'est jamais au bout" et que "les possibles sont ouverts" quand "un fleuve de feu traverse tout à coup ton corps."

Voilà "une parole qui ne se vend pas" et qui nous change de toute cette rumeur barbare qui se travestit même parfois sous le nom de "poésie".

En postface, Arlette Albert-Birot nous relate l'histoire Crise de manque dont une première version est achevée en 1993, juste avant que Loïc ne soit opéré de cette tumeur cancéreuse qui va l'emporter un an plus tard et très justement elle évoque en perspective du recueil l'amour de Loïc pour Christel : "Je ne sais comment expliquer ces choses-là - Disons que tes doigts ou tes hanches ont changé la couleur de mon imagination" (lettre à Christel, 15 septembre 1993).

On revient à la préface (avant de relire ce qui n'a pas de fin et ne cesse de prendre sens) : "- L'humain en son point d'extrême acuité n'étant que cette liberté du manque, cet état de défaillance altière -" affirme Haddad en une incise avant de nous conter le vrai miracle : "La postérité de Loïc Herry tient à ce miracle : il nous rend vie à le lire."

 

Quelques méchancetés...

Françoise Coulmin, Quelques méchancetés moins une, L'Harmattan.

Non , je ne dirai pas de méchanceté sur ce petit livre. Bien au contraire. C'est un petit livre salutaire pour le petit monde de la poésie. Un ensemble de 35 portraits qui sont d'une précision et d'une lucidité remarquables. C'est souvent féroce même si, ici ou là, affleure malgré tout une certaine tendresse pour quelque "chouetpoète" par exemple. On reconnaît sans mal telle veuve ("L'art et les mariés") et nombre de "démolichieurs", d'"absconversitaires" ou encore de théorichiens". Le livre devient ainsi un immense jeu où l'on finit par rire enfin de tous ces Trissotins qui nous entourent... voire nous cernent. On pourrait, il est vrai, en pleurer tant la vraie poésie semble loin de ce vaste cirque que décrit Françoise. Et l'on se dit aussi que toutes ces petites mesquineries et ces vanités ne sont pas pour rien non plus dans la désaffection du grand public pour la poésie. A lire d'urgence même si l'on peut regretter que l'auteur ait omis une méchanceté.

 

Les Trissotins

Le palmarès des Trissotins 2010, Académie Trissotin Hôtel du Jondura, 00999 Logophile-sur-Cataglotte.

Voilà un petit opuscule un peu dans la même veine, un petit livre où l'on dénonce les Trissotins justement. J'ai reçu l'ouvrage au printemps et j'avoue que je l'ai dégusté. Bon, on peut bien sûr ne pas partager les jugements terribles et iconoclastes de l'ouvrage, n'approuver que partiellement le palmarès, mais enfin j'ose dire que dans ce petit monde de la poésie où tout le monde se congratule par crainte d'être exclu, de pas être publié, de n'avoir pas droit à une note de lecture etc., cet opuscule est salutaire lui aussi. Certes cela sent incontestablement le règlement de compte (jusque dans la fausse adresse de l'académie Trissotin...) mais près tout pourquoi pas ? Il fut un temps où les poètes et écrivains étaient moins frileux, où ils n'hésitaient pas à aller jusqu'au coup de poing. On peut être non-violent comme moi et regretter malgré tout cette authenticité-là. Et puis voici un peu d'humour, cela ne fait pas de mal dans ce monde de pesante gravité.

Je n'ai qu'un regret : que ceci reste trop... caché puisque finalement anonyme (les adresses et numéro de téléphone sont factices...). Alors c'est un peu la devinette depuis : Qui est donc l'auteur ou qui sont les auteurs ? Parfois l'on entend autour d'une table : "Eh l'auteur des Trissotins, c'est toi ? - Ah, non, je croyais que c'était toi ! - Non, c'est pas moi. Ce doit être Machin alors... - Ah ! moi je pense plutôt à Bidule...". Après tout, il me semble que les cadavres étaient signés, eux. Et cet anonymat risque d'entraîner une méfiance généralisée de la part des têtes de turcs de l'Académie Trissotin alors que le petit livre dûment signé aurait pu tout au contraire être salutaire.

 

Alain Goulet

La vie d’une femme à des messieurs sans compréhension, Alain Goulet, MJW Fédition.

J’ai eu le plaisir de retrouver mon ancien professeur Alain Goulet au Salon du livre de Caen en mai dernier. Apparemment il ne me tenait pas trop rigueur d’avoir abandonné le travail de thèse sur Follain, travail qu’il dirigeait.

Il venait de publier ce premier roman qui rompt complètement avec son travail universitaire. Spécialiste de Gide, de Robbe-Grillet et plus récemment de la merveilleuse Sylvie Germain, Alain Goulet se tourne cette fois vers son histoire familiale, dans ce qu’il appelle une chronique.

On pourra trouver le titre un peu long, voire un peu lourd, mais il est simplement emprunté au manuscrit laissé par sa grand-mère, Lise, manuscrit qui sert de fond à ce roman et que l’on peut lire in extenso à la fin de l’ouvrage.

« Elle s’appelait Lise et c’était ma grand-mère », ainsi débute le livre et on sait tout de suite que l’auteur abandonne entièrement ici ses oripeaux universitaires pour reconquérir cette généreuse candeur qui va permettre à la vie de cette femme de s’écrire devant nous.

Pour retrouver la grand-mère que la famille a dissimulée, l’auteur emprunte tout à tour le « tu », le « elle », et ce « je » qui permet de redessiner de l’intérieur le personnage et de découvrir de son point de vue le monde qui l’entourait et l’étouffait. Ce jeu des pronoms rend compte de l’appropriation progressive de l’héroïne par l’auteur. Mais quand la fin de Lise se dessine plus clairement et que sa raison chavire, Alain Goulet revient au « elle » avant de donner en annexe la transcription du  manuscrit laissé par Lise avant son suicide.

On pourrait se dire qu’après tout il n’y a rien d’exceptionnel dans cette vie d’une petite paysanne née à la fin du XIXème siècle. Et pourtant… Ce livre, qui se base d’abord sur un document et un témoignage authentique, est aussi lui-même, dans son ensemble, un document et un témoignage sur la femme et son statut au début du XXème siècle. Alors que l’ouvrage se place sous l’exergue d’une citation extraite de La tentation de Pénélope de Belinda Cannone « A ma grand-mère petite fille, on enseignait la sagesse, la retenue et les tâches domestiques », Alain Goulet commente plus loin : « Tu as vécu à un époque où il était bien difficile d’être femme, surtout lorsqu’on naissait à la campagne, dans un foyer sans fortune, et qu’on n’avait que sa force de travail à vendre et son corps à offrir à celui qui vous épouserait. » La femme n’est alors selon le mot de l’auteur qu’une « éternelle mineure ».

Et c’est en cela que finalement le destin de Lise est exceptionnel : avec un courage rare, le personnage va se battre sa vie durant contre ce diktat, pour tenter de s'affranchir du carcan qui l'enserre et conquérir son indépendance et sa dignité. C’est pourquoi la société et la famille ne pourront que la broyer et, plus tard, l’ignorer ; ce qui est une façon de la tuer une seconde fois.

Entre autre chose, Lise – qui a sûrement, encore presque enfant, été abusée par le fermier chez qui elle travaillait - a osé aimer, a osé la liberté d’aimer, o osé les amours adultères, ce dès la guerre de quatorze alors que son mari est parti au combat (épisode contemporain et proche par certains aspects de l’histoire du Diable au corps de Radiguet). Elle a même connu alors un Allemand - ce qui sera « puni » une guerre plus tard de la façon ignoble et imbécile que l’on sait. Cela ne sera pas pour rien dans la condamnation dont elle est l’objet et on comprend la juste citation de Hugo en épigraphe au livre : « La liberté d’aimer n’est pas moins sacrée que la liberté de penser. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’adultère est identique à ce que l’on appelait autrefois l’hérésie. »

Et on se dit, à voir la longue descente vers ce que l’entourage appelle la folie, qu’il s’agit bien là dans le contexte de l’époque d’une « hérésie » qui ne sera pas excusée. La liberté cela ne se pardonne pas surtout quand il s’agit de la liberté d’une femme.

La vie de Lise est un long combat. La vie de Lise est une tragédie car il est clair que dès le début les jeux sont faits, que la fatalité est là.

Alain Goulet n’a pas connu cette grand-mère qui lui a été cachée. Mais il l’a retrouvée et l’a faite revivre contre l’omerta familiale, contre la « conspiration » qui tenait son fantôme enfermé dans une crypte, et cela ne se fera pas bien sûr sans heurt…

On sent qu’il s’agit là aussi de bien plus qu’un témoignage. Une sorte de d’exploration patiente vers le nœud, le cœur, de ce qui a proprement « agi » l’auteur : un questionnement de l’identité. Alain n’a pas pu rencontrer sa grand-mère, mais le peu qu’il a tardivement perçu du personnage, entre les silences familiaux eux-mêmes, a suffi à le conduire à mener ses recherches sur elle. Au bout de cette enquête en réhabilitation on trouve comme une véritable déclaration d’amour, tant l’auteur est subjugué par Lise, quand bien même il relève ses errements, voire ses délires tardifs. On trouve aussi le sens pour Alain Goulet d’une carrière entièrement vouée à la littérature, et plus encore le sens de cette aventure de « liseur » où il allait porter en quelque sorte au devant de lui et comme une injonction, chaque jour, le prénom de cette grand-mère qui sans instruction avait cependant « la passion des mots » ; de celle qui selon ses propres mots « l’habitait ». 

J’avoue que cette évocation n’a pas été sans me rappeler ma propre mère qui a, elle aussi, été méjugée et broyée par les hommes dans une époque encore si rude pour les femmes. D’où mon émotion intense et comme une complicité nouvelle avec l’auteur.

Le témoignage d’Alain Goulet s’achève sur ces mots particulièrement choisis et qui éclairent l’ensemble de sa démarche : « On se constitue toujours à travers autrui, par transmission ou élection. Grande loi universelle de la sympathie et de l’amour ».

Une chronique d’une rare authenticité.

 

 

L’autre fille

L’autre fille, Annie Ernaux, NIL

En littérature tout se joue le plus souvent au-delà des limites de la littérature, frontières sans cesse reculées vers d’autres espaces encore inexplorés. Au fond le vrai livre a partie liée avec l’impossible. C’est sur de telles réflexions que m’entraîne la lecture du dernier opus d’Annie Ernaux. En 2008, elle nous avait donné un superbe cadeau avec Les Années, excédant alors son format habituel et sondant avec une troisième personne (si rare chez elle depuis Les Armoires vides) ses souvenirs pour retrouver la mémoire sociale de tous (voir l’article sur le livre dans les archives du site). Aujourd’hui elle revient à cette écriture limite qui était à l’œuvre dès La Place. 78 pages dans un très petit format. Le livre (de fort belle facture dans cette nouvelle collection qui promet) se lit en 20 minutes…

Non et non, car on ne le quitte pas, on est étreint par cette longue lettre que l’auteur écrit à sa sœur, morte avant qu’elle-même ne vienne au monde. « Tu es une forme vide impossible à remplir d’écriture. », affirme Annie Ernaux. Elle écrit encore : « Je ne fais ici que courir après une ombre. » Et pourtant, cette ombre venue du royaume des ombres prend bel et bien forme devant nous. Et c’est plus qu’une sœur absente qui est ici évoquée. C’est celle dont la mort a permis que non seulement ce livre mais son auteur même vienne à l’existence : « Je suis venue au monde parce que tu es morte et que je t’ai remplacée. » Car c’est ainsi : les parents, par « nécessité économique », avaient décidé qu’ils n’auraient qu’un seul enfant : « il fallait donc que tu meures à six ans pour que je vienne au monde et que je sois sauvée. » Le mort de celle dont on a caché même le prénom, Ginette, a permis à Annie de vivre.

On ne trouve nul pathos ici, rien que des phrases épurées, écrites au scalpel, marquées au front de l’exactitude, d’une superbe et inquiétante précision. Le résultat est là : c’est proprement bouleversant.

L’évocation de la sœur absente se fait à travers le « tu » de la correspondance, dont l’auteur sait pourtant qu’il est « un piège », jusqu’à une présence-absence terrible. Est-ce une sœur du reste puisque « D’un certain point de vue, considérable, celui du temps, nous n’avons pas eu les mêmes parents. » ?

Plutôt ce que l’on pourrait appeler une « opposée ». La mort de la petite « sainte » a permis au démon de survivre, démon pourtant « très tôt … mal parti » aussi et qui, selon la mère, sera sauvé du tétanos par de l’eau de Lourdes. La rebelle a pris la place de la « gentille ». Définitivement. Et l’histoire alors de s’écrire d’une autre façon, dans un renversement étrange : « Je n’écris pas parce que tu es morte. Tu es morte pour que j’écrive, ça fait une grande différence. »

Car c’est l’écriture qui est ici le personnage central : « Je ne dois pas éviter cette question : si je n’avais pas eu envie d’écrire au plus près de la réalité dans ce livre-là, La Place, serais-tu remontée de la nuit intérieure où je t’ai maintenue pendant des années ? ».  

Tout au long du livre on n’échappe pas à ce sentiment angoissant de l’impossible. « Lutter contre la longue vie des morts. », « faire le tour de (l’) absence. »… Au bout du compte il y a ce terrible aveu : « Je ne peux pas te mettre là où j’ai été. Remplacer mon existence par la tienne. Il y a la mort et il y a la vie. Toi et moi. Pour être, il a fallu que je te nie. » Ce terrible aveu de qui en même temps vient pourtant de faire revivre une ombre. De qui par ailleurs écrit à un destinataire définitivement absent. Et donc impossible lui aussi. Et justement nié.

Le dernier paragraphe de L’Autre fille interroge cette nouvelle limite et avoue « un fond de pensée magique ». Peut-être au fond de toute véritable écriture.

L’Autre fille est un livre arraché à l’impossible, un miracle d’écriture.

Rarement l’expression « coup de cœur » aura été si vraie.

 

"Rarement, un coup de coeur aura reçu expression aussi profonde, bouleversante pour moi, puis-je écrire à mon tour. La phrase qui ouvre votre texte est de toute essentialité. Et la seconde. Je crois en effet que certains livres, à l'instar de la poésie, ont partie liée avec le franchissement de l'impossible. Du moins est-ce ainsi que j'ai ressenti l'écriture de L'autre fille et je vous sais infiniment gré  de l'avoir mis au jour dans ce beau texte." Annie Ernaux, lettre 


 

 
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