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Guy Allix, poète
Guy Allix, poète
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Transfiguration de Janladrou

Transfiguration

ou

le bonheur d’un regard

 

 

 

Catalogue d'exposition, Le Havre, 2001-2002
 

 

Devant l’oeuvre de Janladrou, on ne saurait se payer simplement de mots et particulièrement de ces mots dont elle se nourrit. « Les yeux échangent leur lumière contre la nuit des mots » lit-on dans un tableau de Janladrou. Et certes, si les mots sont ici très présents et nous convoquent, ils contaminent aussi toutes ces autres traces invitées, forcées à la signifiance. Tout réside dans cette « alchimie verbale » où la forme se fait verbe soudain, où toute forme et tout chromatisme sont inspirés d’un souffle (mais un souffle nocturne…) qui les traverses et les excède. Qui nous traverse et nous étonne. Qui nous transcende et nous prend sur le fait même. Les tableaux de Janladrou mettent au monde notre regard qui n’en croit pas ses yeux, ne sait plus où s’arrêtent les mots, où commence le monde. Et c’est ce monde, dans son évidence, et en dehors de toute véritable figuration, qui est alors regardé, partagé. On n’a pllus que cette évidence quand les signes, tout à la fois, s’affirment et se délitent, quand les formes à leur tour se jouent de signes et les invitent à un plus grand mystère.

 

 C’est à cette expérience d’altération-révélation que convie Janladrou sitôt qu’il s’empare de ce que nous avons inscrit finalement comme par mégarde (savons-nous bien ce que nous écrivons ?). Oui, il s’empare de ces signes et cette parure qui les habille et les habite, et les recouvre et les efface, ne cesse de nous interpeller vers plu de sens, ne cesse de sonder l’insoutenable profondeur. Par son travail, Janladrou déshabitue les mots, les transfigure. Tel fragment retrouvé, approprié par le support, n’est plus poème, n’est pus cet « à-soi » immobilisé, figé à jamais. Il s’imprime dans un mouvement vertigineux, acquiert une profonde et inquiétante étrangeté, une énergie renouvelée vers un autre jour. Il n’y a plus de leurre mais une présence tellement réelle, tellement heureuse, tellement libérée.

 

 Ainsi on pourrait dire que Janladrou fait œuvre « critique » -mais c’est là une critique jubilatoire qui aurait laissé ses oripeaux de pesante gravité- sitôt qu’il prend à son compte, donne à voir, à lire tel extrait, tel fragment. Le texte, pourtant si érodé, si retravaillé –jusqu’à l’illisible parfois-, ne fait pas ici de la figuration. Il acquiert une présence nouvelle, un relief insoupçonné. Il s’abstrait, s’«insoumet », se libère de notre tutelle, de cette volonté de le figer dans ce qui serait un sens définitif. Le chromatisme de cet encadrement salvalteur sont comme un autre discours qui, nous dépossédant de telle poussière de poème, de ces bribes arrachées, torturées et remodelées, nous rend au vertige d’une parole soudaine devenue inouïe, et qu’il convient simplement d’étreindre. D’une parole de matin du monde quand le regard est enfin convoqué à l’œuvre.

 

 Car Janladrou, effaçant le signe tout autant qu’il le montre, ne se tient bien finalement que cette dimension purement plastique. Dans cette pure forme et le plaisir qu’elle engendre. Dans cette joie, cette foi, ce bonheur d’un bricolage toujours recommencé, toujours neuf, où ce n’est pas tant l’esprit que le corps de la lettre qui atteint la présence. Le corps de la lettre, autant dire le corps lui-même, notre corps : « J’ai vraiment besoin de la fabrication des objets, avec tout ce qu’elle a de physique et parfois de plaisir, de l’expérimentation des médiums, et de supports différents, en un mot d’une pratique relevant plus du corps que de l’esprit » (Catalogue 1993, Centre Culturel de Saint-Lô, interview de Bruno Sourdin) Pratique d’artisan donc dans toute sa force. Travail du corps qui rumine la matière, digère la lumière à sa guise et la transfigure. Travail du plaisir, de la jouissance. Peinture physique qui surprend, retourne autant l’artiste « labourant son champ » que le voyeur exposé finalement lui aussi.

 

 Oui, on ne saurait ici se payer simplement de mots. C’est dire alors, que les mots mêmes qui voudraient circonscrire cette œuvre sont eux aussi, au plus profond de leur nuit, frappés d’inanité, fondus, confondus, dans cette lave, dans ce vertige chromatique dont ils croyaient pouvoir justement rendre compte. Parole vaine que celle qui tente de cadre qui la cerne. Ne reste alors que cette énergie indéchiffrable, inaliénable, qui explose au grand jour et nous recouvre. Cette liberté qui a pris soudain toute sa « couleur d’homme » et nous rend au bonheur d’un regard.

 

 

Guy Allix

 

 Né en 1935, Janladrou (de son vrai nom Jean Ladroue tout simplement…) travaille et expose depuis 35 ans. Plusieurs expositions à l’étranger, notamment en République Tchèque.

Coordonnées : Janladrou, 1, rue des Hauts Vents, Gavray 50450

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