Poèmes de Guy Allix
Choix de textes (1974-2011)
De Guy Allix
La Tête des songes
1974, 1975
****
PAYSAGE DERRIÈRE LA VUE
Entre les gîtes
S'élève la lumière
Plus forte que nature
Les cadavres
A la recherche des couleurs
Poussent une plainte
Comme s'ils étaient la nuit même
Et les maisons pâlissent
De ne pouvoir respirer
Autre chose que des hommes
Il faudra au moins
Les cris d'un vagabond
Pour tout remettre
En désordre
***
Qui m'aidera à TRANSPERCEVOIR ?
J'aimerais ces stores déchirés
Par l'opium peut-être
Par l'amour sûrement
Une main gantée d'orgasme et de foudre
Les mots seront ces vagabonds de ma tête
Rien que des vagabonds
Je les voudrais plus nus
Que le premier jour du monde
Plus semblables à la foudre
Sur la tête des hommes
Je les voudrais surtout
Terrassiers
Qui m'aidera à TRANSPERCEVOIR ?
****
VIN FOU
Je suis l'interprétation de la souffrance
Et je torture mon corps
Pour pouvoir survivre
L'alcool devient ma logique
Au creuset de mon désespoir
et le sperme
Mon unique but
L'alcool cherche une âme
Vers l'éternelle jouissance
Je corrige mes fautes
J'intensifie mon espace
JE M'ENTRAÎNE POUR L'IMMORTALITÉ
****
FRAGMENTS
1
Qui pouvait penser
Que cette bouteille
Si fragile
Abriterait toutes les nuits
A REGAGNER
De mon être
2
Je ne serais jamais
Qu'un grand lit
Rouillé par l'insomnie
Un grand lit de matin
Attendant toujours la nuit
3
Vie en forme de fer rouge
Vie de cri à quatre pattes...
... Je n'écrirai que sous l'empire du feu
4
Tant pis si je mens
Mes parloirs sont d'ardents somnambules
****
LE VENTRE BIEN REMPLI
Enlacé par l'incertitude
J'ai vu deux ouragans se lever
Dans un même espace vert
Deux ouragans
Déchaînés dans leurs draps
Et leurs empreintes digitales
J'avais le mal de vivre
Et le mal à penser qui ne s’écrit pas
Mon cafard s'est levé
Comme l'entonnoir de mon sang
Jean-Pierre Duprey courait
L'été pris dans un bac de ciment
La foudre se levait aussi
C'était une prostituée fragile
Qui réclamait son dû
On m'a marqué au fer rouge
Mon troupeau était choisi
Mon abattoir était taillé dans la même dent
Que les rayons du soleil sur la soif
Les infirmes de l'amour
S'agglutinaient sur des vitres épaisses
Assis sur des chaises titubantes
J'ai cru qu'il n'y avait plus
Rien d'autre à chanter
Que l'impossible
L'hiver passait son chemin
Sur ma route
Il n'y avait ni manteaux
Ni tickets de vestiaire
Le cercle perdit sa couleur de paix
Il prit celle du nœud coulant
Et servit le charité
On m'ordonna de mettre à nu
Ma mémoire d'enfant
Et de la rouer de coups
On m'ordonna aussi de briser les verres
Qu'avait connus ma bouche
J'allais oublier de dire
Qu'il fallait fermer boutique
Au rêve et au pain d'épice
A l'heure du vagabond
Maintenant sur ma feuille froide
Où mes mains se glacent
Qu'irais-je chanter ?
Si je ne vais pas boire
A l'origine des louves
Irais-je
Chanter ce vin aux yeux fermés par le silence ?
****
DÉCLARATION
Je prends sur moi de vivre et de mourir à ma guise
Sur moi sur ma fatigue des mauvais jours
Jours tristes sans individualité
Jours de prison d'âme
Je prends sur moi de vivre et de rêver
De vivre fou
Puisque la folie est de vos bêtes féroces
De vivre enfant
Puisque l'enfance est de vos os
Jetés à la poubelle
Folie
Je t'ai déterrée
Avec tout ton sang sur les épaules
Liberté
Je te braille de mon berceau
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L’éveil des forges
1976
****
LA GRANDE FORGE
C’était toujours l'exploitation des forges
Avec des tenailles à faire l'amour
Des bras essoufflés d'orgasme
Et la chair de la compréhension
C’était toujours le réveil du délire
Et des brasiers en gerbes sanglantes
De grands brasiers inventés
C’était une vie à défendre
Contre la racine du gel
Contre la plaie des sacrifices
Un long message cellulaire...
… Puis d’autres venaient
Qui nous accusaient de vivre
****
Avancé dans la clairière de l’indicible
Presqu'à fleur de rêve
Comme une étoile perchée du silence
Comme la fièvre tamisée de l'amour
Comme un regard qui s'ouvre enfin
Avancé dans la clairière de l'indicible
Le doigt posé De l'éternité
Et cet homme qui l'a vu
Ne s'en remettra jamais
A la loi des hommes
****
POÈME D'UNE NUIT PASSÉE A LA QUESTION
1
A l'instant d'éclater
Usons de notre solitude
Ce rayon d'ombre
Où tout s'agite
Où je me lève
2
De corps à corps vers l’Être
La parole semée était unique
Une foule obscure portait sa voix
S’avançait au dedans de lui
L’immense solitude d’un cri
Et son embrassement du monde
3
La foudre ramène son butin d'images
La foudre rie déchire pas le ciel
Mais son mensonge
Des yeux d'enfants vont habiter
Les orbites des vieillards
****
Toute vie est à saisir pas la branche
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Mouvance mes mots
1984
****
LAVE FORMELLE
1
Tu recevais la trace du hasard
Le peu de mots qu'il fallait
Pour te perdre à tous les vents
Au plus chaos
2
... La peur à chaque mot
Pressant le flux
Liquide la parole qui te boit
3
Tous les regards de ton aveu...
La chambre bourdonne encore
D'échos et de luttes
... Crispé de mots ton poème déchiré
****
TANIÈRE
C’est des mots vers le dedans
L'heure te monte à la tête
Et tu retraces l'indigence
A pas de sperme à pas de ventre
Tu comprimes la peur dans l'habitude...
... Tu te souviens de la fragilité
Comme une mère
****
Au creux d'un seul abri
Un caillou martèle
Des correspondances inouïes
Le flanc offert
A tous les sourcillements
J'écoute l'étreinte
Sous les volutes d'une femme...
… Dehors la pluie rêve d'un autre ciel
****
MURMURE
Comme la ville faisait des pas d'angoisse
Je me suis demandé
Quel était ce silence de poing brisé
Qui voltigeait entre les algues des enfants
Toutes ces vérités que l'on garde au secret
Dans des bas de soie
J’ai joint mon pas à la foule
Pour briser l'harmonie des tambours
Et j'ai beau porter des sacs de sang
Pareils à des loups affamés sur mes épaules
JE N’EN SUIS PAS CRUCIFIĖ POUR AUTANT
****
Dernier souffle
Toujours sous le mot
Et dévide le dire au plus juste
L’échéance au fond du corps
Invente les lèvres d’un cri
****
CRIANT D'AVEUX
1
L'ombre plus que boire
La mémoire bat des rythmes
Sur nous comme des tenailles
Le magma et le vin
Ont la forme d'un baiser
2
C'est l'abîme qui nous perçait...
Les murs nous serraient
Comme des pieuvres
3
Depuis mon ventre
Je te demandais de boire
Au cœur des loups
Toi tu t’écartais pour mieux m’enfouir
4
Une nuit comme toutes les autres femmes
Les vitres se taisaient
5
Quelques tessons s'abritaient encore
Derrière mes yeux
Augmentant cette mort au ventre
Et ce cri plus que muet
6
Lanterne ou givre et peau dedans
Nous confondions nos nuits
En un seul lit
7
Á l'aube le temps venait
Un peu plus vieux
Oui me croquait les chevilles
****
Quand tout s'est soudain séparé et lutte
Nos gestes le soir
Refluent vers d'autres rives
Je te donne un instant
Je t'accroche ma peau
Aux griffes de tendresse
Nous aimons par la franchise d'une mort
****
LA MISE A NU
Les vitrines agenouillaient les femmes en troupeaux
La ville repassait son linge
Tu venais d'un pays de froid clans le dos
Ton enfance comme un trou de ver
Ta tendresse recroquevillée dans ta chair à vif
Il y avait à vrai dire peu de mots pour ton corps
Peu de mots pour abriter la sueur
Tu descendais la rue béante comme une horloge
Tu n'avais, plus rien à croire qu'une peau de bête
Ce ventre sourd où se tramait la peur
Lorsque tu défaisais les vêtements humides
MÊME TES FLEURS ETAIENT CRISPĖES
****
La bougie s'est éteinte…
Quelques caresses d'heures
A peine quelques mots
et
Le vin s'étire dans les ventres
La nuit s'insinue
Nous encercle de ciment...
IL FAUDRA COURIR OU SE TAIRE
****
On n'économise pas
C'est l'abondance du sperme
Ce lieu qui s'expose
Ce lieu qui dit vrai
Cette tendresse d'argile
Qui fuse
Depuis le point obscur de la sueur
Ta main pleine de nous
****
La rue plus loin de non corps
Ca tire sur le côté de l'eau
Des femmes boivent avachies les formes
Les ouvriers sont au frais sous le linge
La viande clouée au lit la soif
Ce goût qui prend bas
Près de la fuite et de la bière
Parfois un mot sous le gant
Qui s’installe en creux et rêve
La terre à deux doigts d’exister
****
L'EAU MOURANTE
1
Brèches retours sur l'os
Rêve de peau le départ
La peur tordant le linge
2
Le verbe écarquillé
Sur l'herbe et sur la bave
Tu t'arrêtes
Tout prêt du non dire
A l'entre-deux
Dans une étendue de secousses
3
Tu voles de la parole sur la mort
****
Passé les saignements d'humeur
1a maison s'ouvre sur ma tête
Comme un lit sauvage
La tanière respire du fauve
A pleines mains
Sous les sonneries d'écorces
… Fulgurance sévère
MENTIR termine ma raison
****
TERREUSE
La peau parfois devient plus pâle
L'odeur plus blanche
Plus rien ne passe dans la nuit
C'est à peine plus de salive
Que ton ombre
Les mots la bière
Les jambes à ton cou
Le reste à quatre pattes
****
Confusion les phalanges se disloquent
Une forme éthérée
Hiver de ronces et de griffes
Parcourt la coïncidence
... Fenêtre au ventre de l'eau
La morsure du charbon sur les lèvres...
Un scalpel fauve dicte l'empreinte digitale
****
Tension le verre brisé
La rancœur s'étale d'un seul trait
Le sperme s'étouffe aux jets du fleuve
Multiple la naissance
Parvient à déchirer le rire
Un seul nom écouterait ce vacarme
des bouches
… Le sang se blottit dans un coin de la mort
****
LA PLUPART D'UN CRI
1
Hanter les fleuves...
Cette femme étrange là-bas
Tes rêves n'ont plus qu'à bien se tenir
2
Le corps rétréci dans la prière
On nourrit le silence
Un peu de mots comme du sel
3
Demain ou le rêve d'écrire
Tout le rien de mes dédales
La mâchoire crispée comme un aveu
4
…Rétréci le silence
Au plus loin…
5
A bout de mots l’heure pèse sur les bras
Les cercles ont des couleurs
Qui coulent comme toi
6
Sur la paille l'haleine d'un ventre
Trop de mots ou pas assez...
La vie comme une langue à genoux
***
Et tu ramasses ta fuite sous toi...
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Fragments des fuites
1987
****
FEMME
1
Elle s'écoulait devant
Et n'avait plus de souffle
Que cette envie au fond
... Presqu'à bout
2
Il faut disait-il
Et la vie venait vite brève
Et prenait le sang
Comme pour autre chose
3
Elle n'était qu'une goutte
Elle vibrait de peu
...Au fond des larmes
Presque vrai
4
...Main comme déjà geste
Et plus...
5
Seule son image disait plus qu'elle
Et faisait battre le sang
A hauteur d'écorce
6
ll y a des jours pourtant où les mots coïncident
****
Toucher une peau de femme jusqu'au bout dit monde tendrait-il le chemin perdu ?
****
URGENCE
à Gilles Perrault.
Comme à revers le rêve
Les pas qui crispent le silence
Et course vide
Une horloge de sang le temps de fuite
Et d'arranger les mots dans la cohue
Il y faut la main au ventre
Et déborder de sueur
Rien qu'un cri pour terminer la bouche
****
Geste friand de mâcher
Les mots desséchés
Aux portes vides
Le sperme se perd parfois
Me prend au ventre
Et source
Il n'y a qu'un pas pour dire l'abrupte fièvre
****
Un instant au monde
Comme à la fenêtre du désir
S’ébattre le rumeur
Qui court au loin
Mourir ce flot qui couche
Dans les syllabes de ton ventre
****
LE NOM ENTĖNĖBRĖ
A Raphaëlle Georges
Comme à peine le rêve s'efforce
Les peaux se frayant un passage
à l'entre-dire
Ici l'ensorcellement de ta voix
Quand tout au bout
L'heure s'explique l'immobile
Comme elle peut
Comme un souffle d'étonnement
Qui mordrait la rumeur
L'horloge éreinte le bord de ton cri
****
DESTINÉS DU VIDE
à Christian Rivot
1
Etreinte s'accroupir le verbe
Et laisser au feuillage la part impossible...
...Ce geste de refermer sur soi
Les bras
Et qui appelle au large
2
A regarder les mots sous la terre
Le sang s'étonne
Et grave plus loin les nervures
3
Seul ton nom trace ici de rien ton passage
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Lèvres de peu
1993
****
S'éperdre. Retenir l'instant de rigueur, la trace indistincte de vivre, quand la bouche reste nouée de terre, quand l'image finale s'impose et couche ton corps, déjà lui-même.
Tu oublies ce qui tenait. Tu n'as plus d'origine que ces mots qui coulent de toi et qui retrouvent cette posture initiale du mort.
Tu redécouvres ton masque, ce gisant, plus vrai que nature. Plus vrai que toi...
...Ta belle fatalité à l'œuvre.
****
RECOURS
Ecrire dans la faiblesse et le dénuement
Parfois jusque sur les bords de l'irréparable
Tendre ici simplement
Cette main perdue qui saigne
****
à Ghislain Gondouin
Mémoire
Rester là
A regarder vivre
Entre les portes des mots
L'instant du souffle
Oserais-je dire ce qui n'a pas de nom ?
***
Seule une forme que j'attends
S'insinue vient me tremble
Mémoire de ma mort
Une forme sans fin là
****
PROPICES
1
C'est quand le monde s'égare
Sous les pas de l'insomnie
C'est quand la solitude pousse
Au ventre de la terre
2
Ces pas qui caressent la mémoire
Et crispent le silence
A deux mots du monde
Tu retiens ton attente
Dans le creux d'un désir
3
Il y faudrait la main de vivre
Un regard d'enfant donné au monde
Parfois il s'en faut de peu
Qu'on touche à même le sang
****
LE SOUFFLE AVIDE
Ici levée la déchirure qui couvre ton nom
Les morceaux de glaise de ton ventre
Qui couraient jusqu'au fond de la terre
S'affermir d'un nœud de feu
... Retrouver la grande patience de la parole
L'ivresse de la pierre
****
CHEMINEMENTS
1
Le calme pose son épaule sur ta nuit
Le silence goutte à goutte
Etonne le souffle
Ta voix s'agrippe à l'orbe d'un geste
Courbe le monde
...A peine le mot qui s'émiette dans la main
Dans la mort...
2
Un sourire parfois
Pour élargir l'horizon
Et porter sa sueur plus loin
Au bout de soi
3
Tu t'accroches à la terre ultime
Tu ramasses comme un fruit
Le souffle de l'arbre dans ta main
Ce goût de sueur et de sang
Qui imprègne l'origine
Sur l'étendue nacreuse du désir
Tu te soumets à la question de vivre
****
PARTAGES
Un peu de silence
Et tu te retrouves sur le lieu de ton ventre
Dans cette jungle féroce de l'amour
Où tu partages le sang
DÉSORDRE DE SANG
Courir jusqu'à la terreur de la gorge
Remonter le sang aux tempes
Aller dans la forge d'un nom battre les rappels
... Ton corps s'effrite aux quatre coins du souffle
****
URGENCE
Il faut parfois que cesse le visage
Que s'insurge le nœud
C'est l'heure du vêtement mouillé
Qui crie la faim et la peur
Tu arraches ton élan
Tu couvres la bête tu t'y enroules
Comme pour mourir
Et depuis l'espace lacéré de ton haleine
Tu réécris le pacte de vivre
Le nom de ta peau
Ton poème tendu de questions
****
SIGNES DE PEAU
Dentelles d'arbres sous l'hiver
Et le souffle qui saigne
A ne savoir comment
...Une voix qui s'obstine
La terre qui craquelle sous les mots...
Le temps précipite sur la peau du monde
****
TERRE UN APPEL
1
Terre qui s'imprègne s'imprime
S'imbibe de sang
Terre chargée et tendre
Terre mémoire et ventre
Cri porté de l'espace
2
Les mots arrachés un à un
A la posture du corps
Feuilles éparpillées dans la nuit impossible
...O l'ombre à demi moi pressée sur le dedans
3
Ces échos qui te cernent
Inscrivent malgré toi
Ton ombre ta belle défaite
Ta parole blottie dans le creux du silence
Ta parole de glaise
4
Démuni tu dis la course vide
Les mots nus
Où s'épuise l'amour
5
Page après page
Le poème qui te déchire
La voix qui t'expire
...Tu enfiles ta mort
Comme un vêtement familier
6
Tout au ventre de l'eau qui s'écarte
Affleurent le nœud
La courbe patiente
Et l'aveu
... L'instant sonore d'une promesse
****
à Charles Juliet
Se retrouver sur le bord d'une voix
Dérive rêveuse des mots nus
Surtout ne pas perdre le nom qui s'effeuille
Le souffle qui se dérobe
...Le monde toujours à l'instant de n'être plus
****
Mouvement d'une femme dans le soir
Qui plie sa peine
Déploie son ombre
Eau partagée
Ogive pour la sueur
La fragilité à l'œuvre de ta voix
****
Le vent murmure ta sueur
Quelque part entre les os et la peau
Ton impatience de vivre
Dans ce pays si loin de toi
****
FRAGILE
C'est sur le bord d'un avènement
Au plus devant de toi
Fragile de la chair
L'effluve conspire
Ménage l'entrouverture
Ca se passe où tu ne sais pas
****
TANIÈRE
Un arbre retient l'espace
Comme un souffle
S'abrite de silence
...Vient l'heure de croire encore
Au sang qui se blottit
****
C'est vrai que tu respires. Que ton corps se bat pour la vie, pour cette chaleur de la nuque. Cette chaleur donnée. A chaque instant le monde à naître : le sourire d'une fille, un instant de ciel bleu, une croupe pleine de caresses, le rire d'un enfant. Tout cet amour fragile qui demande l'amour... Tout ce dont tu ne sauras jamais rien que des mots -tout à la fois infirmes et essentiels-. Tout ce qui t'échappe et t'agrippe et te déchire.
****
Le matin c'était la tendresse d'un arbuste
Pris au piège de la rosée
Et des rires d'enfants qui venaient se blottir
Dans le ventre d'un fossé
Le monde venait de naître
L'enfance s'y résumait
****
LE SOUFFLE COURT
1
Notre fragilité pour nid d'amour
Je songe à ta douceur cernée de silence
Tandis que la mort assiège
2
L'hiver viendra un autre regard
Nous jeter à la cohue blanche de l'air
La caresse sera seule au monde
Comme une prière
****
LIGNES DE FEMMES
Un peu de terre entre les bras
Si près si bas
Argile patiente de l'amour
Oser ses fruits au bord du vide
****
ÉTREINTE
Tu ne sais trop ce qui se cache
Sous la caresse
Ce qui reflue sous le désir
Quand tu modèles l'autre
Quand tu lui souffles vie
Tu participes à l'amour
Comme un aveugle
****
TRACES DU SANS-LIEU
extraits
1
Dire le peu qu'il faut pour tout dire.
7
Le temps d'une rose, l'espace d'un fruit, oser l'haleine de la terre. Rentrer sous la peau.
8
Je rêvais de grandes envolées lyriques...Mon corps est retombé.
10
"L'important c'est l'espoir." Y a-t-il une formule plus désespérée ?
14
Commettre la parole... C'est vide de mots que s'écrit le poème.
16
Il n'y a jamais assez de folie, jamais assez de tendresse. L'essentiel toujours se sépare.
19
Oh la tête d'un homme qui a oublié son rêve...
21
Toute la force : travailler dans l'inutile. N'avoir plus de centre que la chute.
23
Risquer : la seule demeure à jamais des mots.
24
La mort signera l'œuvre à l'heure même de la terre.
****
LE NORD
Extraits
A Pierre Dhainaut
A Denis Gambiez
1
Douai le beffroi carillonne
A ma mémoire
La Scarpe tisse ses repères
Pecquencourt Vred Marchiennes
Très loin au bout de ces noms
La mer vers le Nord...
… Rêve d'enfance
3
Ce pays se sculptait avec la sueur. Le travail des hommes l'habitait tout entier.
4
Seuls les terrils
Parfois immenses
Limitaient le regard d'enfant
La terre y reprenait ses droits
L'arbre recouvert renaissait
S'enracinait dans cette écorce noire
6
Champs ouverts entre deux villes
Entre deux corons
La terre assiégée donnait encore
Du cœur au ventre
7
C'est là que j'ai appris l'humilité, que j'ai appris à m'enfoncer dans la terre.
10
Ce pays donnait le Nord
La peau y trouvait sens
Aux pavés des chemins
Se dessinait le tremblement de vivre
14
Les filles se donnaient tôt comme la terre
Elles avaient le temps aux trousses
Et permettaient l'amour qui cherche au plus profond
Elles offraient la chaleur pour une rose
17
La corne d'une péniche
Déchirait le ciel
Un pont se levait
Laissait passer un rêve
19
C'était le pays où je n'étais pas
Où je ne savais que n'être
Aujourd'hui j'ai perdu sa lumière
J'ai perdu le Nord et mon enfance
************************************************************
Le Déraciné
1997
à René et Olivier Rougerie
****
Consens à ce que les mots te taraudent et t'agrippent. Laisse-toi couler comme un vieux linge défait dans le gouffre murmurant des plaies, dans l'horreur vacillante de cette nuit sans fond qui t'aveugle et te prononce. Là où tes mots travaillent ta mort, violent ta voix. T'écharpent déjà par tout le corps.
***
DÉAMBULATOIRE
Déambuler dans l'errance
Laisser faire le souffle rauque
Qui travaille en deçà
Qui trame la voix rebelle
Tout ce qu'il faut taire pour dire
****
Il n'y a plus d'amour
Que le mot même
Que le mot même d'amour
Le même mot d'aimer
Une main qui tiraille l'écorce
Insurge le vœu
Caresse la mémoire
Une femme engloutie
Dans la pose toujours là
D'un rêve épars
Rempart irrépressible et le souffle d'un nom
Ombre tressée émoi
Le mot même
Quand tu n'aimes plus que le mot
Et ne sais que dire
Il n'y a plus d'amour
Que le mot même d'amour
Qui t'aime
****
EAU SOURDE
Tu n'as plus que ce désastre qui t'augmente
Le soir trempé à la bouche
Quand le regard coule la fragilité
Cette promesse sans feu ni lieu sur les épaules
****
Toujours à l'instant de ne plus dire
Tu remontes le pas du rêve
Vers une autre mémoire
Tu te précipites à mots perdus dans l'épreuve de vivre
****
LA CHAVIRE
Paroles prononcées pour personne
Qui signent le silence sauvage
De ce sang ici laissé
Sans mémoire même de toi
Quand s'incurve le désir sous la peur
Et que tu prends le temps aux tripes
Ici où ta vie t'étrange
Et ton souffle s'étrangle
Sur le bord cassant d'un rêve
****
à Patrice Delbourg
Aveu de chair vulnérable
Dans les méandres d'une parole vaine
Toute la défaite d'un visage se pose sur ta voix
Où donc la belle misère d'exister
****
TOILE DE BURE
La rue rythme des errances sauvages
Quelque part ailleurs
La belle voix blessée d'absence
... L'espace t'érode qui ne consent à toi...
Sans échos il n'y aura que le souffle blême
De la mort
Qui dit mieux que personne
L'imprononçable
****
MOIRE
C'est vidé à plat à froid
Sur le bord de l'éreintement
Quand le silence traîne des mots épars
Ton regard se dissout sous l'aisselle du temps
Tu imprimes l'effluve de l'amour et la mort
****
MADELEINE À LA VEILLEUSE
Vainement ton visage sur le bord du temps
Presqu'une larme se déchire
Tu ne peux regarder plus loin
Que l'espace incessant de cette mort
Qui te frôle et t'enserre
et te lie au monde
****
Rien n'est beau comme ta nuit
Eclairée d'un sourire
Le peu de temps pour la mort
Tu te pares fragile si belle
D'un corps au solstice du rêve
Ventre premier
Et le figement de la vague sur l'étoffe
Dans l'étreinte de ce lieu perdu que tu sais
La vigueur exige la patience de l'amour
L'urgence du souffle
La plus juste faiblesse
****
Tu reprends voix dans la révolte
Tu reprends vie
Tu reprends cri
Poussé le premier mot
Arraché du sang véritable
Le poème t'avoue dans un autre lieu
Moment propice d'une irruption de vivre
d'une éclosion de souffle
Ton seul pays au dedans de ton corps étonné
****
Tu ne dis mots, tu mens. La vie se colère de cris, s'emporte au dedans d'un seul nom, quelque part entre silence et fureur.
Dans le feu d'une raison sauvage.
Dans l'aveu farouche d'être vrai.
****
MES PAS DANS RENNES
extraits
3
Pour dire ton haleine
Non pas le chant aveugle
Mais le sang réveillé
L'espace lucide ouvert par un nom
Simplement la vie vécue
4
Dans le dédale de tes rues
De ton nom de ton antre
Vivre l'appel de la peau
Ramasser cette nuit où se déplie le rêve
cette terre où germent les accords
6
Parfois la douleur s'échinait aussi
Pour montrer la voie
Pour esquisser le vrai masque
Elle scandait tes rues de mes pas
7
À flot l'ivresse juste et partagée
Les mots embarquaient pour d'autres dérives
Pour d'autres faiblesses
A pas comptés les mots passaient
Comme l'amour comme nous-mêmes
9
Tumulte et silence. C'est une ville qui m'a appris à marcher ma voix.
****
LE NON-LÀ
extraits
2
Mettre un regard au monde. Fonder cette glaise.
4
Peser la terre et l'effort à l'aune des hanches d'une femme. Feuilleter l'horizon d'un sourire.
8
Seul compte ce qui ne s'attend pas
10
Dans la coulée d'un regard, le geste de la prière. Tout au bout de l'amour.
13
Se nourrir d'errance. Alimenter le juste doute.
16
C'est dépassé par tes mots, par ton souffle, c'est dominé par ta parole que tu te prononces.
19
Toujours au bord de ne rien parler. Pas même l'haleine rentrée d'un mot.
21
Il suffit parfois d'un mot pour que tu habites le monde.
23
N'être en nul lieu que l'absence. Là où s'étire le sang.
25
Le poème qui dit douleur dit vivre.
**************************************************************
Solitudes
1999
****
Parfois tu ne prononces que des mots simples et fatigués
Ce rythme lent des jours qui passent
Cette peine qui ne dit pas son nom
Des mots lourds d'habitude et de terre
Et qui font si mal de résonner
Soudain dans la sombre défaite
****
LA SÉPARATION
Tout au fond du corps, au plus reclus de la chute, il y a cette séparation irréversible el lancinante qui appuie sourdement sur la plaie, s'acharne dans le silence.
Il y a cet amour, ces mots qui souffrent et s'usent. Ces mots qui s'ouvrent comme des noix sur le dernier fruit. Et ce cri qui n'en peut dire d'amour et de mort.
Il y a cet arbre qui n'en finit pas de jeter ses branches jusqu'à l'arbre et des mains qui s'agitent comme des feuilles dans l'urgence, tout au creux de la voix. Dans la toujours dernière fois, Là où tu t'arraches et te dénudes.
Tout au fond du corps, il y a cette séparation qui te signe et te meurt.
****
EMPREINTE
Ce geste de la main vers l'aimée
Tout plein du blanc silence recueilli
Tout vrai du sang perdu de l'épreuve
Ce geste qui s'incurve
Et qui dessine cette béance
où nous nous aimons
L'irréparable séparation
****
Tu n'es passé qu'ici
Sur le bord d'une peau
Dans l'exil fatigué
De qui voulait être au monde
Tu n'es passé qu'ici
Sur le bord d'une femme
Dans le creux d'un seul corps
****
L'ÉPUISEMENT
Cette misère ce visage
Qui trace l'absence sourde
Se répète lancinant
Cette plaie dans la béance du monde
Et l'urgence qui tiraille
Ce sang percé de toutes parts
****
CETTE DÉFAITE
La fatigue la prenait par les épaules
Elle perdait son sang lentement
Elle se courbait vers son ombre
Et son ombre déjà pliait le soir à ma vue
Et son sourire se brisait les dents
à I’horloge pâmée
Le silence passait sur elle comme un linge
****
VANITÉ
Tu te rappelles la première plaie comme ton nom
L'ardeur et la cendre
Sous le pouls du monde
La béance et la faille où s'expire l'aveu
****
Le regard assailli dans l'hébétude
Et le dénuement
Là où s'inscrit là où s'efface
La toile de bure
Dans la lumière d'un tremblement figé
****
VACILLEMENT
Trop vif ici perdu ici pendu
Sur le feu d'un nom et la blessure aux lèvres
Dans l'entre-deux du ventre
Quand s'opère le soir
Les eaux affluent
Tout au bord la fatigue s'étend te déchire
Au plus juste d'un souffle
Le corps à l’œuvre de la perte s'incurve encore
****
CETTE MOURANCE
Parfois ce n'est rien que cet air brumeux et ce bruit
Ce remuement vague au-dedans ce murmure
Qui t'assignent à la perte
A cette voix défaite et sourde
De l'arbre dénudé sur l'œil du monde
****
DÉNUEMENT
Je ne sais plus qu'un poème
Qui ne sait rien de moi
Qui ne sait rien que terre
Et les vers dans la plaie ultime
Ce visage sans nom d'un nom dérisoire
Et le désir porté sur la blancheur blessée
Les cheveux épars et le sang aux tempes
La fuite fatiguée
L'insensée dérobade des mots
****
Regard sur la pierre
La coupure de l'arête sur les yeux
Et la débâcle à l'œuvre sur la terre
Tu t'abîmes au nom des choses
Tu n'habites que la déchirure trop exacte
L'empreinte furieuse de l'exil
****
CET OBSCUR DÉSIR
Le sourire fragile des femmes
Te bat la mémoire
Et tu te roules des nuits entières
Dans l'orbe humide de leur corps
Sur la caresse d'une peau d'une plaie
Séparé à jamais pourtant
De ce mystère ardent au fond des yeux
****
« Ma vie sans moi »
Armand Robin
Pour preuve d'exister
Une feuille fanée vers l'ombre
Une feuille dans la folie des oiseaux
Une feuille prête à tous les vents
Comme un regard à jamais blessé de lumière
Et qui s'enfonce dans la terre lourde
Un vol s'épanche aux quatre coins du souffle
Macule le silence chauffé à blanc
****
SUAIRE
à Bruno Dufour-Coppolani
Tissu trame du souffle
Pour ternir l'épreuve
Derrière l'orbe des yeux
S'effriter dans les sens
Tenir le corps à la toile
Et se défaire lentement
Dans l'enchevêtrement ultime
***
Le vide qui assaille les contours
Forge la plainte où la voix s'épuise
Abîme à l'infini la distance des noms
Un cri les mots s'écrasent et le regard
Sur l'écorce terrible du monde
****
SOLITUDES
1
Solitudes un cri par-devers toi
L'instant où tu te sépares
Où tu te retrouves
Dans le nom de la terre
2
Un cri percé de toutes parts
Et le hurlement réuni de l'ombre blanche
Le rythme crispé des aveux
Et tes mains à genoux de l'amour
Qui pansent les plaies
Caressent un sourire sur le bord même d'aimer
3
Le corps béant prêt à la chute
Dans la soif exigeante d'une main
Dans la perte essentielle
4
La peau retient son souffle
La sueur s'immisce dans les méandres d'exister
Tu coules tes mots comme ton sang
Dans l'épreuve intime
L'éclaboussure des sens
5
La cendre à l'œuvre du corps
La semaison de la patience
Souffrir plus au fond de la terre
Souffrir plus au fond du temps
Dans l'odeur irrémédiable
Pour un rien une rose fanée
Aux quatre coins de l'ombre
6
Creuser encore
Dans ce qui sombre et s'abîme
Dans cette pâleur âcre du seul silence
7
L'horizon le plus blanc
Profile une déchirure
Terrible comme un vol d'oiseau
****
Il n’y a rien parfois que cette plaie plus vive. Ces mots blessés dans la nuit et qui travaillent à la plus juste perte.
Cette petite flamme qui expire au creux du corps.
****
Désarroi une femme à sa fenêtre
Quand le poids de ses appels
Gonfle encore le silence écarquillé
...quand la rue se signe...
Tu bats la retraite des jours paisibles
Quand s'étonnait le monde de peu de mots
****
La terre dans la main
Qui sculpte ton nom
Le souffle épais sur la paupière
La nuit pèse son poids d'horrible éternité
****
Cet arbre qui s'imprime dans sa déchirure
Et se brûle au souffle blême
S'évapore jusqu'à l'ici coulé de la terre
Le vœu vite de la vie sur la feuille ardente
Racine d'un seul jour
****
Et couler cette nuit encre et cendre. Dans l'haleine d'un nom.
Musique lancinante déchirée du souffle et de la note obscure, répétée jusqu'à mourir.
N'être que cette douleur ronde qui oscille dans la blancheur exsangue.
****
ÉPREUVE
Ce miroir blanc où tu te jettes
A corps perdu
La cendre à l'œuvre éparpillée
Qui t'invente la vie même
Et te destine
Ces mots tressés à bout de mort
Cette empreinte piégée de l'errance
****
Tu devances cette pourriture
Où tu ne sais pas
Une tache s'expose s'éparpille
Se plisse au coin des yeux
... L'errance écarquille le monde et te blesse
****
Vainement ici même
Ton souffle sur la vitre
Qui s'imprime s'efface
Oscille dans la nuit bègue
Tout au fond de l'instant
L'appel réitéré
Qui suspend la parole
Fige le sang
****
Et le rêve d'une ombre simplement qui s’imprime légère, tisse l'étoffe finale. La dernière chair, braise qui s'efface dans la cendre offerte.
Cette paupière ardente fermée sur la nuit.
****
Dernière épure
Ce geste vain essentiel
Cette parole plus que toi
Arrachée à jamais à la lie du corps
Une main qui se déchire d'un seul nom
Et l'ombre rebelle d'une feuille à l'aboi
Qui recueille le souffle blême
La prière se noue dans le silence le plus seul
****
Tes doigts comme des plaies
Qui se débattent saignent la cendre
S'épandent aux quatre coins des parois
Dans des orbes blessés
Achèvent le dernier silence
dans l'acharnement primal
****
Se. forger dans l'écorce qui se déchire, la pierre qui travaille et s'érode, la voix qui s'étiole à jamais.
****
Le fer pour preuve de force
Dans la déchirure de la chair
Là où faillir et la fuite entre les doigts
L'épreuve du sens sous les cernes
Sur la peau d'un nom le visage obscur
La tempe sauvage qui travaille le rythme
et l'étreinte
****
LA CAVERNE VIVE
à Janladrou
Terreur lucide
Et le feu des entrailles
Qui s'engouffre dans les sens
Prêt à la tanière
A la première découverte
A la mort immense
A l'encre tenace sur les parois
****
à Hughes Labrusse
Remords et la vive parure de l'écorce
Un désir mémorable se souvient d'une douleur
Imprime le flux à l'épreuve de la mort
Au bout des doigts la déchirure cruelle
L'ombre des oiseaux se souvient
d'un instant éparpillé
****
à Jean Bernard
Une main qui fustige la parole
Qui désarticule le souffle
S’immisce dans la plaie de l'encre
Autre regard qui jaillit à la source
Tout blanc du vœu de vivre
Et de renaître les choses
Le sang fige le temps sous l'écorce
S'incruste au cœur des mots
****
VACILLANTE
Ton visage ta voix le même drame
Ton sourire le même geste soumis au soir
Ta joie même poussait au bout de l'irréparable
Je suis passé en te voyant
En t'aimant j'ai passé mon chemin
Pour te garder toujours vivante au bord du rêve
et de mes lèvres
Dans l’ici de ce nom sonore juste effleuré
****
La tendresse dans l'ici jeté de la terre
Dans l'offrande du ventre
Dans la bouche des femmes
Une main se déchire d'appeler une ombre
De bâtir le partage incessant des peaux
L’insomnie répare la mémoire attise l'insomnie
****
PARTAGE
La caresse définitive qui erre
Qui ouvre le regard où tu t’abîmes
Qui lisse cette peau où tu échoues
L'étendue nacreuse où fondre la défaite
Et l'étreinte des mains
Sur l'épaule du jour
L'irrémédiable mur qui te soumet
te met à mots
Le partage pourtant
Dans la sueur et les signes
****
Quand vivre s'exile encore
Qu'il n'est plus temps jamais
Le désir pourtant immense sur les paupières
Et qui pèse l'urgence
Le vœu qui s'insurge
Retient cette eau qui fuit
Cette pierre de plus
Sur l'épaule du jour
****
Ecrire. Ne pas savoir les mots. Ici blessé de ton nom, de ton geste.
La peine d’un homme et le départ. La page d’un rêve sur la nuit. Au plus clair de la fragilité.
****
CETTE BLESSURE
O mon amour ma grande fatigue
A l'œuvre de la perte
Cette douleur même cette douleur attisée
Et le souffle de l'errance sur la peau
Le souffle lancinant
Cette solitude qui te noue à jamais
Seul ce rêve qui arrive encore au seuil
Coïncide à l'insomnie de nos ventres
... Pressés l'uni dans l'autre d'abolir l'absence
Le temps te traverse
Au plus bas de la voix
La nuit source sous la paupière
****
Tout au fond de cette chair en pâture
Le sourire qui se découvre se donne
Expose la fragilité...
Et cet amour qui nous déchire
A l'abri des peaux ce cri désespéré
Qui se courbe dans la nuit
Se blottit sous le nom
Sous la vaine promesse d’un lieu...
C'est une peine immense
Quand un vol d'oiseaux
Nous tenaille au corps
****
LA TENTATION D'ESPÉRER
Pourtant un sourire dans la nuit
A n'y pas croire
Et cette épreuve des peaux
Qui imprime la pierre
L'hiver se givre dans la voix
Le feu avitaille le souffle
Tu retiens l'impossible dans la paume d'un rêve
****
La première blessure
Et ton nom même sur la peau
Comme une vraie fragilité
Et la force d’aimer
Ici en nul lieu
Atteindre simplement
Cette terre franche qui travaille
Dans l'étreinte des mots
Sous le givre des mains
...Cette terre prête à l'arbre
****
Tu répares la peau
Tu arranges les fuites
Au plus pressé d’un nom
Au plus juste de la faiblesse
La caresse surprend la mort
Ravive le sang vers l’origine
****
PEINE PERDUE PEINE GAGNEE
Extraits
A J.M.G. Le Clézio
1
Arracher des bribes de silence aux paroles fatiguées. Donner sa main au monde comme à une femme. Passer la voûte d'un regard perdu. Déclarer la douleur. Aimer...
3
Couler les mots pour dire les mots qui manquent à ton sang.
5
Un sourire parfois qui te prend à l'errance essentielle. Qui assoit ton nom sur la pierre vive.
7
Retourner les mots comme la glaise. Aller au plus vif de la douleur déjà-là, dans l'horreur décharnée du vacarme inaudible.
Dans l'émouvant secret de la terre et du ventre.
10
L'amour, l'amour, la belle fragilité. L'instant de l'amour, celui de la mort. Dire aimer et mourir.
Je te déclare ma mort. Je suis nu devant toi.
14
Solitudes, ces territoires qui te dévorent jusqu'à cette goutte inaliénable. Imprononçable.
15
Aimer et mourir simplement. Avitailler cette douleur sur le bord de lèvres.
17
C’est seul que tu existes. Sur la peau d'un rêve. Quand la nuit sur la nuit s'imprime.
22
Où en es-tu de la déchirure ? De cet épuisement sans cesse. De cette encre précaire où tu te débats...
25
Pourtant parfois retrouver le goût de la chimère pourrait gonfler ce sang qui cogne aux vitres.
Un bivouac sous la lune assiégé de questions.
29
Cette suie du souffle qui te devance et délite la roche de la chair.
Où vivre si ce n'est dans cette peau mouvante de la terre ?
32
Solitude. Ce que tu ne diras pas. Jamais. Tes mots, jamais ton dire. Ce qui meurt sur la page froissée et pourtant incurve ici le poème, éraille la voix.
Tu n'es soudain que ce geste que tu dessines sur la bouche. Ce geste que tu désires.
37
Ce peuple d'oiseaux au bout de ta nuit. Comme l'ultime lien, le lieu épars qui te déchire et t'incurve dans la cendre.
Le peu d'un corps sur l'ici pressé de l'écorce qui le lie.
45
N'être que cette perte en toi. Cette déchirure en ton nom.
***************************************************
Le poème est mon seul courage
2004
****
EN PURE PERTE
S’effacer simplement
Sans laisser que ces traces ici
Sang déjà séché
Déchu dans le noir
Couler jusqu’à l’absence de couleur
****
Tu te raccroches à peu de choses
Toujours
La branche d’un sourire
Au bord de l’irréparable
Où tu plonges déjà
****
Ce regard vide
Et toi si peu
Devant tout cela
Qui t’assiège
Te possède
Tu crois encore parfois à la vie
Le temps d’un rêve
ou d’une caresse
Et tu redresses le courage
En attendant l’épreuve ultime
****
Il n’y a plus de temps
C’est à peine si
Le sang passe encore dans le soir
Tu pares alors au plus pressé
Une main comme seule promesse
****
C’est ici ton nom
Retourné en terre
Et l’étonnement
Qui effeuille ton ombre
La pierre gardera un peu
La trace du souffle
****
Tu apprends doucement
A ne plus faire de bruit
Que ce souffle
Qui se courbe vers la glaise
Tu quittes la pose et te déposes dans le soir
****
Seule la fragilité
Ce rien pour tout dire
Et l’instant d’un mot qui bat
La voix retrouve un chemin inaudible
Un chemin souverain
****
Il en sera un jour de même
Malgré toi
Pourtant tu n’oses ce geste
Ultime et vrai
Qui te mettrait au monde à jamais
****
Pourtant combien à l’heure définitive tu regretteras de n’avoir pas été plus tôt à l’heure.
****
A longueur de temps
Tu rumines le temps
Si peu de toi arrive à l’heure
Tu ne sais pas jamais
Tu rebrousses les questions
Tu recueilles le temps de la chute
****
Tout cela se fera sans moi
Même mes mots et leur tissage
Jusqu’à l’ombre
La ruine exténuée avoue
Passe le temps qui me dévore la voix même
... Qui ne me veut pas
****
Visage de la morte
Et ce geste à bout de regard
Comme s’essouffle l’heure
Ce n’était jamais qu’un sourire au monde
Une fleur ici même
****
DOULEUR DE MON AMOUR
Et le poème travaille comme la terre
Friable dans la circulation des sèves
Dans la posture de la douleur
Tu partages incessant l’errance rageuse
Tu tiens dans la main ce dernier souffle recueilli
Qui fuit déjà entre tes doigts
Incurve la buée sur la vitre
Dans la main l’aimante même qui se meurt
Quand tu voudrais simplement épouser une terre
Enfin terre à venir de ton nom
Quand tu voudrais seulement
Fondre ici les mots de ta nuit
****
Et se dire qu’il n’en restera rien
Que cet épuisement qui déjà gagne
Rien que rien
Et le soir qui rentre dans la peau
Pas la moindre coïncidence à l’horizon
A quoi bon tenir
Retenir ce qui fuit déjà
****
Tu sais bien qu’au fond
La mort est le seul partage
Ce qui dira enfin ce domaine
Tu lui donnes déjà ce visage
Qui bat la parole
Comme une enclume
Epelle chaque instant jusqu’à la déchirure
****
Le livre de défaite
extraits
1
Il te faut aller toujours à plus de précarité pour trouver le courage.
2
“ Etreinte, éternité ”, dis-tu poète. Et tu inscris ainsi le feu de la lettre au plus profond du vertige.
4
Ce corps qui se courbe dans la nuit, se blottit sous un nom comme une vaine promesse. Terrible attente du temps.
6
Juste la fraîcheur d’une femme pour être à l’heure du monde. Ces instants pourtant où la mort se meurt.
7
N’avoir plus de centre que la chute. N’avoir plus de voix que le cri. Comme un rire éclatant de douleur.
9
Pourtant c’est bien le poème. Ce qui se dit là du plus profond silence. Le poème qui te retrouve sous terre. Exactement.
11
A mesure que je suis plus démuni, la poésie me devient plus essentielle.
***************************************************
Oser l’amour, 2007
Extraits
Pour Clémence
****
Aimer, c’est toujours manquer de mots. Aussi le poème d’amour n’est que l’ombre de l’amour. Il est le risque même. Autant dire l’impossible.
****
Tu es présente
Et j’aime ce hasard
Qui nous a mis face à face
A jamais
***
Je n’étais vrai que sur le bord
Toujours à deux doigt de vivre
Et de crier
Je partirai
Avec ton regard dans les yeux
Osant dire ton nom à jamais
A la face du monde
Osant dire l’amour qui brûle les mots
***
Tes larmes parfois
Comme la preuve même
Là où je ne tiens qu’à un souffle
***
Ton visage sur le bord du temps
Venu de très loin
Venu du dedans de toi
Ton visage qui m’oblige
A vivre enfin de la promesse
A souscrire enfin à l’aube des mains
Tu es là simplement comme le temps de vivre
Tu me réunis
***
Souvent plus un seul mot
Mais cela même
Qui vient battre en mémoire
Et ne saurait se dire
Souvent plus un seul mot
Mais ton regard pour panser les plaies
***
Il y aura un peu de sang
Sur le bord
Un peu de sang pour crier
Comme on crie tout au bout
Et ce sera vivre enfin
***
Voix vive
Et ici le sang donné
Comme un appel
La sueur de l’échange
Sur le bord des lèvres
***
Et son risque…
Aimer, c’est savoir qu’un jour, peut-être, l’amour aussi sera cendre. C’est cette fragilité, cette lucidité, qui constitue alors toute la force d’aimer.
**************************************************
Survire et mourir, 2011
Extraits
« Il était plutôt un enfant de l’absurdité et du non-sens, un fervent lecteur de Camus, peut-être, étrange mystique sans dieu, désolé et meurtri par la non-sens et l’absurdité d’un combat de Sisyphe toujours recommencé. »
Jean-Luc Maxence, Un pèlerin d’Eros
***
Maintenant, tu avitailles la terre avec des fruits trop mûrs, avec des épluchures de vie. Tu ne penses plus qu’à cette seule richesse qui te devance, qui t’appelle, qui t’invite. Tu pétris cette terre enfin comme on caresse un petit enfant. Il n’y a plus que cette force : donner à l’humus, à la fleur et à l’arbre. Les nourrir de la mort, de la pourriture. Donner en pure perte. Il n’y a plus que cette attente de l’arbre, inconnu, que tu nourriras.
Masque dérisoire et pervers : tu continues de vivre, tu donnes le change, comme si tu devais vivre demain. Le temps et ton visage même ne sont plus que trompe l’œil sur la face des jours comptés.
Il faudra en fin de course consentir à la défaite. A l’ultime défaite. Avouer en un dernier souffle cette vie inachevée et trop longtemps in-vécue. Cette honte au regard de ta jeunesse en flammes.
Mais tu ne peux abdiquer. Ce n’est pas l’heure, ce n’est jamais l’heure, penses-tu toujours. Tu jettes au devant du vide les dernières illusions de feu. Tu repousses l’échéance à coup de griffes et de cris vains.
Tu aimes encore contre la mort qui t’assiège. Tu aimes encore envers et malgré l’infamie. Tu aimes encore. Tu survis.
Encore quelques mots dans la terre…
La terre à venir de ton nom.
***
Survivre et mourir
Tu as pris la vie par erreur
Et tu la quitteras en déshérence
Seul le souffle donné à une prière profane
Rendra compte de l’espoir déchu
Il faudra crier ou se taire
Il faudra survivre et mourir
***
A Bruno Sourdin
Rien que des gestes dérisoires
Jusqu’au bout du chemin
Et les épaules dans la terre déjà
Vainement le dernier souffle
Le premier mot à peine
Et courir simplement
Comme au-dedans de soi
Se donner
Aimer encore
Vouloir le poème comme la seule promesse
***
Et pourtant cueillir un simple galet sur la plage comme un fruit mûr de l’été. Comme un espoir, une accalmie. Comme un jour de plus après la vie.
***
Un instant n’être
Que cet instant qui passe
Et meurt à l’instant même
Un instant n’être
Que cette épaule prête à la chute
Un instant n’être
Que ce temps dérisoire
Tout au bout du désir
***
Brève de silence
Insaisissable instant saisi
Et qui donne
La mesure de l’espace
La mesure de l’amour
Le poème une goutte et le sang
***
Île précaire
A Guénane
Mais cela même
Ton nom sur la page
Comme une île infiniment
Comme une île tout au bord
Le temps à peine…
L’écriture comme un regard
S’injecte du sang nécessaire au souffle
Ton cœur s’écarquille aux quatre vents
Ile de Groix ; été 2007
***
Brève nécessité
A Sapho
1
Un jour sera
Le battement des paupières
A même la peau
Tu prendras ton sang
Dans tes mains
Pour sculpter un second souffle
2
Il faudra passer à la fièvre
Oser ce silence
Où les mots remuglent
3
Oser le peu pour dire vrai
4
Pourtant la soif d’un incendie
Nichée au creux de tes reins
Comme un instant de plus
Un instant consenti
***
La fatigue par erreur
Comme une gare impossible
Tu ne tiens vrai
Tu ne tiens plus qu’à peu de mots
Tu ne tiens qu’à ce râle étouffé
***
***
Le silence comme une blessure
Qui remonte aux sources
Le temps plus lourd d’une attente
d’une étreinte
qui court la nuit
Ton regard et l’espace au plus loin
Là où tu ne sais pas
Presqu’ici
***
Un corps épuisé
L’effraction toujours au cœur de la langue
Comme l’indice d’une impossible prière
Et parfois le prodige d’une lettre
Au solstice du poème
A l’épreuve d’un corps épuisé
***
Des mots de sang
A Jean Bernard, in memoriam
Je ne veux plus que ces mots simples
A fleur de vivre
au bord des lèvres
Ces mots humbles
Dans la main donnés
Par la main offerts
Et le vent dispersant la flamme
Ramenant les cendres
Au cœur du foyer
Au centre du poème
Nous regarderons le sang
Dans un miroir
***
Au plus juste
Il n’y a parfois qu’un rire dans le matin
Un rire comme une gêne
Et le passage des éphémères
Tu ajustes ta voix pour survivre au plus juste
Le silence tout au fond est incompressible
***
Ces instants de passage
A Jacques Bertin
Il n’y a rien parfois
Que le froid de la peau seul
Presqu’au vif de la nuit
Tu regrettes les caresses
laissées pour compte
Ces caresses douces
Et qui durent jusqu’au jour
Ces instants de passage
***
***
A Olivier Rougerie
« Chi puo dir com’egli arde é in picciol fuoco »
« Feu qu’on peut dire est un bien petit feu »
Pétrarque
Je ne sais pas écrire de poèmes d’amour
De poèmes de bonheur
Il n’est dans ma bouche
Que des mots transis
Que des mots crispés
Comme ma main sur elle
Mais pourtant cela même
Que je ne dirai pas
Que je ne sais pas dire
Et qui passe
Terrible
Entre les mots d’amour
Entre des mots de mort
***
Cette certitude
Tu partiras un jour
Et ce sera le vent
Et ce sera le froid
Tu partiras nous laissant seuls à jamais
Toi et moi dans la nuit de vivre
Me laissant hagard au seuil de l’autre nuit
Et ma plainte n’aura pas d’écho
Et ma plainte se taira simplement
Contre les murs infinis de ma prison
Et le temps fera son effort de temps
Parfois même certains jours
Il m’arrivera de penser moins à toi…
… Ce sera alors d’une tristesse insurmontable
***
Il ne me restera que vivre l’ombre. Que vivre seul avec la séparation.
***
Il y aura le temps de mémoire
De mensonge parfois
Le temps si court d’exister encore
Et puis viendra peu à peu
Le temps de l’oubli
Infini
***
Le cri sans mémoire
Tu viens de ce cri sans mémoire
De ce cri sans raison et sans écho
Tu viens de ce cri
De ce corps dévoré par les mots
Tu viens de ce cri à jamais perdu
Une étreinte de la main
Sur l’autre versant du monde
Tu viens de cette torpeur
de cette mort ultime à l’œuvre infiniment
***
L’homme sans passé
Comme un linge trop mûr
Qui dit à peine
Qui ne dit plus
Celui à qui l’on murmurait
Tu n’existes pas
Celui à qui l’on a crié
Tu n’existes plus
Comme un linge trop mûr
Et pourtant sans passé
Sans plus de promesse même
Que ce passé défait
Que cet impossible passé
Sans plus d’horizon
Que cette dernière défaite
***
Tout juste ici laisser un peu de traces errantes dans la terre. Un peu de poussière dans le vent.
Humblement.
***
Désastre
Ce désastre silencieux
Qui s’incurve tout au fond
Tu es sans voix
Lourd comme un fruit trop mûr
Ce désastre qui t’augmente
***
Et différer, différer sans cesse. Surnager et s’accrocher toujours à des barques qui chavirent, aux plus fragiles épaves pour rejoindre la rive.
Différer, se débattre encore. Croire jusqu’au dernier instant au miracle d’un mot.
***
Dans l’urgence
Tu redonnes le temps à nouveau
Comme un linge essentiel
Tu redonnes l’urgence même
Quelques mots sur le flanc du poème
… Vite cripée ta main sur la page…
Tu redonnes
Un peu plus de cendres à venir
***
Insomnie, juste insomnie. La nuit n’a pas son pareil pour nous ramener au pire.
A la place qui nous est réservée.
***
Le temps presse
Errer infiniment dans le désordre de tes os
Et racler cette folie comme une écuelle
Laisser encore quelques vaines empreintes
… Même si le souffle est consumé
Tu restes tout au bord
Tu hésites le dernier pas
***
Mourir un peu
A Sylvie Germain
« Effeuiller le verbe mourir ainsi qu’une fleur des champs c’est mettre à nu son propre cœur » Sylvie Germain
1
Le sang fidèle
Et creuser la terre et le ventre
La dernière chaleur
Crépuscule
Et tu commences ton regard
La fin plus proche d’un jour
2
Il n’en faut pas plus
Que ce souffle qui s’épuise à tous vents
Et désespère le souffle
Le silence se fige au cœur du temps
Le peu de toi tout au bord de l’irréparable
3
Laisser couler le soir
Sur les épaules lentement
Comme un dernier confort
Et applaudir aux cendres à venir
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… Et ce rire étranger
Comme une grimace fauve
Exulte le non-sens à l’œuvre sous ta peau
***
***
La faille
A Andrée Chedid
Surtout ne pas oublier le feu
Qui te rapproche du sang
Ne pas oublier le risque
Qui attise la blessure et la parole
Parfois il y a presque une aube
La mémoire comme un rêve à demi-mots
Parfois le temps se défait
Comme un crépuscule brouillé
Parfois le temps n’ose le temps
Et s’affaisse comme un linge perdu
Dans l’absence d’un corps passé
Dans la terreur d’une voix défaite
***
***
Le temps du poème
Ce n’est pas le temps
Le temps du poème
N’a pas le temps
A trop de temps à dire
***
Silence de terre
Et le sang à l’épreuve du nom
Ecartelé là sur la page
Quand tu refermes le livre à jamais inachevé
Quand tu te joues de la mort
Comme un enfant
Tu n’écriras
Tu n’as écrit
Que des mots
Qui giclent dans l’urgence
Des mots qui s’échappent de ce ventre meurtri
De ce ventre dernier
Où tu te terres
***
Il y a peu de temps
Mais le temps même de dire le peu
Du bout des lèvres entrouvertes
Le temps d’écrire
Cette nuit qui décompte la nuit
***
D’autres urgences
Pourtant une main toujours
Comme une aube à venir
Quand le temps presse le poème
Sur la page des jours
Ton ventre imprime encore d’autres césures
D’autres morsures
D’autres urgences
***
J’attends le temps
Rien de plus que le temps
Le temps d’aimer
Le temps d’écrire
Simplement le temps
Le temps impossible
***
Tu lâches la proie pour l’ombre.
Pauvre candide, tu attends vainement que ta vie soit achevée pour en finir.
***
« Celui qui se perd dans sa passion a moins perdu que celui qui perd sa passion »
Saint Augustin, Les Confessions
***
Ne plus espérer que l’amour sans espoir. Et l’impossible poème.
Ne plus espérer que ce feu attendu qui me brûlera enfin, qui me mettra en terre.
L’impensable plaie
***
Précaire
à Jean-Luc Maxence
1
Sur cette pierre
La caresse furtive de l’éphémère
Un regard qui se ferme
Quand tu n’oses plus le vœu
2
Juste une solitude au monde
Un peu comme une prière
Et des mots défaits
Qui soufflent la poussière
3
Il n’y aura au bout
Que la mort même
Et le peu de toi
Couché dans le temps
Dans un dernier appel
4
Sans plus un cri rentré dans le soir
Sans plus un écho
***
Ultime rémanence
Et le feu sur la vitre
Qui t’insomnise
Ton ventre crache les derniers éclats
Tu dois fuir au plus juste
Là où le nœud t’appelle
Tu te rappelles à la vie en dernière urgence
***
Comme un soupçon d’être encore et malgré tout
Tu ne diras pas plus
Non pas plus
Que ce vent qui silence entre les plaies de l’obscur
***
La dernière urgence
Quand ce sera la dernière fois de nous
Le dernier cœur à corps
La dernière urgence
Et que nous ne saurons pas plus qu’avant
Pas plus qu’après
Quand ce sera déjà après
Et que nous lèverons un peu la tête comme avant
Mais sans plus de foi
Mais sans moins de foi
Sans plus de courage qu’avant
Mais avec ce souffle vain
Une dernière fois
Nous rentrerons dans l’ombre
Dont nous n’étions jamais sortis
Autrement que par cet amour
Quand ce sera la dernière fois de nous
Quand ce ne sera plus que notre amour à jamais
Et à jamais fini
Quand ce sera la dernière fois de toi
De moi qui à jamais t’aimais
***
Un jour
Il n’y aura plus de temps
Et ce sera le temps
Un jour il n’y aura plus de temps
Et ce sera le jour
***
Tu recueilleras le fruit définitif
Le fruit de l’arbre
Le fruit de la terre
Le fruit de la mort
Ce legs du sang versé au jour
***
Vainement…
Il ne sera plus que l’instant d’un rien. Une pierre posée en mémoire du souffle.
Une poussière au plus juste.
***
Lutte vaine
Mais l’espoir
Fiché dans la chair
Comme un os rongé
Et qui hurle et qui tire sur la vie
Quelques mots même s’ils s’effacent…
Je serai là bien en terre
Sans plus de voix
… Comme un dernier regard maintenu sur le vide
***
Partir sans plus de bruit qu’une feuille morte
Abandonner le temps enfin
Retrouver les fruits de la terre dans la terre
Ton ventre s’étonne d’un oubli
L’arbre te recommence
***
Il n’y a plus que la terre, cette terre où tant d’hommes déjà se sont couchés, se sont inscrits.
Il ne reste plus que cette terre que tant d’hommes ont avitaillée de leurs cendres. Cette terre, ce grouillement inaudible.
Il ne reste qu’un peu de ton sang épars là où tu retrouves un temps enfin déposé, enfin apaisé sans plus de soif ni de faim, sans plus d’attente. Sans espoir.
Il ne reste plus que l’instant définitif, sans plus d’attache que le vent. Là où tu perds toute mémoire
u retournes au tourbillon du ventre. Ton regard égaré à jamais ne verra plus ni le ciel, ni les nuages.
Ni celle.
***
J’avoue que j’ai aimé et cela même suffit.
En fin de course, en vain.
Le temps s’épuise. Enfin.
***
Eloge de la discrétion
Le seul tort parfois d’être vivant…
Eloge de la discrétion
A C.M
« Je ne conçois pas la poésie sans un miracle d’humilité à la base »
René Guy Cadou
1
Savoir se taire, c’est simplement reconnaître l’immensité du continent de l’autre.
2