Poèmes pour enfants du temps présent 2
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La trompe de l’éléphant...
La trompe de l’éléphant,
c’est pour ramasser les pistaches
pas besoin de se baisser.
Le cou de la girafe,
c est pour brouter les astres
pas besoin de voler.
La peau du caméléon,
verte, bleue, mauve, blanche,
selon sa volonté,
c est pour se cacher des animaux voraces
pas besoin de fuir.
La carapace de la tortue,
c’est pour dormir à l’intérieur,
même l’hiver :
pas besoin de maison.
Le poème du poète,
c’est pour dire tout cela
et mille et mille et mille autres choses
pas besoin de comprendre.
Alain Bosquet
***
Lettre à Robinson
Un jour petit homme
Tu deviendras un homme
Quand tu apprendras la belle gravité d’aimer
Quand tu comprendras que le meilleur de la vie
N’est que dans l’appel à la vie
Pour une femme unique
Cette femme de hasard et de nécessité
Chaque matin tu te lèveras
Et humblement tu te mettras à la tâche
Comme le fait tout homme
Depuis l’aube des temps
Comme le fait tout homme
Quand il sait aimer
Tu t’engageras près d’elle
Comme tu t’engageras en elle
Et tu cueilleras le bonheur à ses lèvres
Et elle vous donnera des fruits pleins de rires et de joie
Pleins de peines aussi parfois
Pour aimer plus loin encore
Et tu souffriras aussi sûrement
Car il n’est d’amour sans douleur
Quand bien même et surtout on lui donne tout
Et tu t’épuiseras pour l’amour
Car il se nourrit de notre fatigue
Tu t’épuiseras comme le grand-père s’est épuisé
Lui aussi chaque fois
Et tu apprendras les devoirs d’un amant
Et tu apprendras aussi les devoirs d’un ami
Le grand-père alors sera devenu inatteignable
Très loin au delà des mers et des montagnes
Très loin au-delà même des étoiles
Dans ce grand pays du silence
Où l’amour même est mort
Mais je te souhaite d’hériter de sa foi
De cette force d’aimer
Je te souhaite d’oser aimer comme il le fit toujours
© Guy Allix, poème inédit
ajout à Poèmes pour Robinson, Soc et foc, 2015
***
Tu me grondes
parce que j’ai les doigts
de toutes les couleurs
noir-polar
ou jaune-sable des squares
parfois blanc-banquise
ou rouge-révolution
et même bleu-contusion
Tu me grondes
et tu te trompes
mes doigts je les ai trempés
dans l’amitié
des mains
des enfants
du quartier
des enfants
du monde entier
Joël Sadeler
***
Les sans mer
goûtaient le sel,
mouillaient le doigt,
et hésitaient:
ce sable blanc
qui gerce.
L'eau des fronts
leur souvenait à la bouche,
la chaleur et l'effort.
Suivaient les sans-souci
au langage fleuri,
l'épine et le bouton,
bouture en bandoulière
et l'ancolie au cœur,
ils allaient à pas
Les sans rien
étaient si chargés
que mules et dromadaires
n'y suffisaient.
Ils portaient le chagrin
plus loin,
ils disaient.
Ils avaient déjà fait
trois tours de la terre
Tous étaient des hommes.
Ils étaient cent, cent vingt,
cent mille, cent milliards,
que sais-je, car, à venir encore,
viendra demain.
Tous étaient des hommes.
Tous étaient beaux.
Tous étaient sans.
Pourtant. ..
On dit encore
des sans-papiers
des sans-abri
des sans-permis
Et ceci
Sans égards
Anne Herbauts, Sans début ni fin, Esperluète
***
Le Sphinx
Le sphinx est mort
Il n’a jamais cessé
De fixer
Devant lui
François Vey (né en 1979)
***
Au feu !...
Au feu !
Au feu
Au fe
Au
A
Pierre ETAIX (né en 1928)
***
Anniversaire
Marie-Louise et Maurice se sont épousés
ils se sont aimés
et eurent beaucoup d'enfants
soixante-dix ans de vie commune et
sur les chemins de leur mariage
ils se tenaient toujours par la main
Sofie Vinel, Les petites affaires de Marie-Louise, Soc et Foc
***
Il y a quatre ans
il y a quatre ans il est parti
rapidement sans prévenir
elle n'avait jamais pensé
que ce serait lui qui la quitterait
comment désormais vivre sans lui
comment combler le vide de toute une vie
parvenir à recoudre la béance
que l'absence
creuse un peu plus chaque jour
elle n'en a pas eu envie
Sofie Vinel, Les petites affaires de Marie-Louise, Soc et Foc
***
Le pou et l’araignée
Tu es vraiment trop moche
Disait le pou à l’araignée
Avec ton ventre et ta bidoche
Avec ton manteau en galoche
Et ton nez comme une pioche
Pou, je te trouve un peu cloche
Lui répliqua l’araignée
Tu es si petit si bancroche
Tu ne vaux pas une taloche
Pour te voir faut que je m’approche
Sommes-nous beaux sommes-nous moche
Ce n’est pas ta laideur qui me fera plus belle
Ni la mienne à ce que tu crie
Qui t’embellira.
Jacques Gaucheron (né en 1920)
***
Au loin les vaches s'en vont
dans des camions
tassées dans la nuit
et personne n’y fait attention.
Savent-elles
ah savent-elles
ce qu'il y a au bout de la nuit ?
Et l'homme fait semblant
de ne plus les voir .
qui range l'ombre dans un tiroir.
Au loin les vaches s'en vont
dans le noir.
Au loin les vaches s'en vont.
Dominique Cagnard, Une vache dans ma chambre, Motus
***
L'eau
Tu prends d'abord de l'eau,
tu la mets dans un verre :
cela donne un verre d'eau.
En mettant par contre le verre
dans l'eau
tu obtiens un bateau.
Si tu as soif d'aventure
hisse la plus vaste de tes voilures !
Si tu n'as soif que d'eau,
bois.
Alain Serres, Encore un coquelicot, Cheyne éditeur
***
Le banc bleu
Qui saura m'offrir un poème
vrai contre la misère ?
Un poème qui fonctionne
dans la réalité de cette cité.
Même à midi, même à Noël.
Un poème à retourner
dans le sourire du poète
si l'on n'est pas satisfait.
Qui m'offrira un poème droit, définitif
que les lois devront respecter ?
Avec un banc bleu au milieu,
de frais repeint,
jamais brisé.
On y parlerait ensemble
de ce qu'on ne connaît pas de l'autre,
de soi.
Presque princes,
jamais rois. Qui nous offrira ce poème ?
Maintenant.
Alain Serres, Encore un coquelicot, Cheyne éditeur
***
L'illettré
Celui que l'on a privé d'alphabet
ne saura donc jamais
qu'avec les lettres d'écrire
il pourrait s'écrier
voire même exiger
les excuses publiques
de la République.
Alain Serres, Encore un coquelicot, Cheyne éditeur
***
La mouche qui louche
Chaque fois que la mouche qui louche
veut se poser sur le plafond
elle s’y cogne le front
et prend du plâtre plein la bouche
moralité
Pauvres mouches qui louchez
Posez-vous sur le plancher
Jean Orizet (né en 1937)
***
Il m’a dit
Il m’a dit :
Ma race est la race jaune ;
J’ai répondu :
Je suis de ta race.
Il m’a dit :
Ma race est la race noire.
J’ai répondu :
Je suis de ta race.
Il m’a dit :
Ma race est la race blanche.
J’ai répondu :
Je suis de ta race.
Car mon soleil faut l’étole jaune
Car je suis enveloppé de nuit ;
Car mon âme, comme la pierre de la loi
Est blanche
Edmond Jabès, 1912-1991)
***
Si...
Si la sardine avait des ailes,
Si Gaston s’appelait Gisèle,
Si l’on pleurait lorsque l’on rit,
Si le pape habitait Paris,
Si l’on mourait avant de naître,
Si la porte était la fenêtre,
Si l’agneau dévorait le loup,
Si les Normands parlaient zoulou,
Si la Mer Noire était la Manche
Et la Mer Rouge la Mer Blanche,
Si le monde était à l’envers,
Je marcherais les pieds en l’air,
Le Jour je garderais la chambre,
J’irais à la plage en décembre,
Deux et un ne feraient plus trois
Quel ennui ce monde à l’endroit !
Jean-Luc Moreau, (né en 1937)
***
Kilimandjaro
Petit à petit
La fourmi
Gravit
Le Kilimandjaro.
Juste pour voir,
Une seconde,
Ce que l’on voit
Du toit du monde.
Puis à la fin de son voyage,
La tête dans les nuages,
L’insecte se réjouit
D’être pour cette seconde
La plus grande fourmi
Du monde.
Thomas Scotto, (né en 1974)
***
Girafe
Quand je serais grand, je serais girafe
Pour être bien vu par les géographes.
Pas éléphant blanc, c’est trop salissant,
Ni serpent python, ni caméléon.
La girafe est belle, elle est une échelle
Entre sol et ciel, l’herbe et le soleil.
Mammouth, c’est trop tard, et marsouin trop loin,
Le chameau a soif, le saurien a faim.
Tandis que girafe on a des pattes!
Un cou bien plus haut que le télégraphe !
Le kangourou boxe, il reçoit des coups,
Il a une poche, mais jamais un sou.
Non, décidément quand je serais grand,
Je serais girafe et vivrai cent ans.
Alors sa maman lui dit tendrement:
C’est trop d’ambition, mon petit gardon!
Marc Alyn, L ‘arche enchantée, Editions ouvrières.
***
Les hiboux
Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher le poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Leurs yeux d’or valent des bijoux
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux point de genoux !
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? Les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
A Moscou ? ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout, c’était chez les fous.
Marc Alyn, L ‘arche enchantée, Editions ouvrières.
***
Conseils donnés par une sorcière
Retenez-vous de rire
Dans le petit matin.
N’écoutez pas les arbres
Qui gardent les chemins !
Ne dites votre nom
A la terre endormie
Qu’après minuit sonné !
A la neige, à la pluie
Ne tendez pas la main !
N’ouvrez votre fenêtre
Qu’aux petites planètes
Que vous connaissez bien !
Confidence pour confidence
Vous qui venez me consulter méfiance, méfiance,
On ne sait pas ce qui peut arriver.
Jean Tardieu, Monsieur, Monsieur,
***
Il était une feuille
Il était une feuille avec ses lignes
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de cœur
Il était une branche au bout de la feuille
Ligne fourchue signe de vie
Signe de chance
Signe de cœur
Il était une fois un arbre au bout de la branche
Un arbre digne de vie
Digne de chance
Digne de cœur
Cœur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit.
Il était des racines au bout de l’arbre
Racines vignes de vie
Vignes de chance
Vignes de cœur
Au bout des racines il était la terre
La terre tout court
La terre toute ronde
La terre toute seule au travers du ciel
La terre
Robert Desnos, Portes battantes
***
De temps en temps les nuages
Nous reposent
De tant regarder la lune.
Haïku de Bashô
***
Dialogue
- On n’abat que les arbres qui gênent les plus forts.
- La loi est la même pour les hommes.
- L’homme a des oreilles. Pas l’arbre.
- Mais l’arbre écoute. Pas l’homme.
- L’homme a deux poumons. Pas l’arbre.
- L’arbre est un poumon. Pas l’homme.
- A quoi lui sert de vivre s’il doit être immobile.
- Ce n’est là qu’illusion l’arbre marche la nuit.
- L’homme aussi se tient debout.
- Mais l’arbre jamais ne plie.
- C’est vrai : l’homme parfois se penche et se gratte la cheville.
- L’homme voyage. Pas l’arbre.
- L’arbre voyage : les oiseaux lui disent tout.
- L’homme, pour faire l’arbre, se met tête à l'envers.
- L’arbre n’a nul besoin de faire l’homme.
Jacques Fournier, Arbrures, Epi de seigle
***
Le petit chat blanc
Un petit chat blanc
Qui faisait semblant
D’avoir mal aux dents
Disait en miaulant :
“ Souris mon amie
J’ai bien du souci
Le docteur m’a dit
Tu seras guéri
Si entre tes dents
Tu mets un moment
Délicatement
La queue d’une souris. ”
Très obligeamment
Souris bonne enfant
S’approcha du chat
Qui se la mangea.
MORALITE
Les bons sentiments
ont l’inconvénient
d’amener souvent
de graves ennuis
aux petits enfants
comme-z-aux souris
Claude Roy, Enfantasques, Ed. Gallimard
***
La Sauterelle
Saute, saute, sauterelle,
Car c’est aujourd’hui jeudi.
Je sauterai, nous dit-elle,
Du lundi au samedi.
Saute, saute, sauterelle,
A travers tout le quartier
Sautez donc, Mademoiselle,
Puisque c’est votre métier.
Robert Desnos, Enfantimages
***
Rayon vert
Le rayon vert a disparu
Un soir
Entre la mer
Et l’horizon
Habite-t-il
D’autres étés ?
S’est-il noyé ?
Se cache-t-il dans l’arc-en-ciel ?
Madeleine Le Floch, Petits contes verts pour le printemps et pour l’hiver
***
Plaintes de la tricoteuse
Suspendez les points
Points de suspension
Point et virgule
Virgule virgule point
Exclamons les points
Points d’exclamation
Interrogeons les interrogations
Point d’interrogation
Plusieurs points
Point point point
Et point à la ligne
A la ligne
Philippe Soupault, Poèmes et poésies 1917-1973
***
A marée basse,
Bernard l'ermite
parfois invite
A boir'la tasse,
Dans un vieux gîte,
Des crustacés
Mal élevés ;
La langoustine
Fait grise mine
Et la crevette,
C'est le bouquet,
A la hoquet.
Eric Dauzon, La mer à boire, les enfants terribles, 1998.
***
Il neige
Le paysage
est une page blanche
Les arbres nus
des encres noires
dans les marges
Quelques oiseaux dessinent
des points de suspension.
*
La nuit
dans les branches
est lourde
comme un nid de pies
La lune pend
à une branche
comme une lanterne.
*
Les racines
sont mots de la terre
les nuages
mots de l’air
les vents
mots du rêve
les averses
mots de la mer
qui questionnent les étoiles
Le ciel
est un buvard.
Marie-Josée Christien,
Début de Conversation de l’arbre et du vent
Collection A la cime des mots (poésie Jeunesse)
Editions TERTIUM, 2008