Chemin errant

 

 

 

 

Ce qui m‘importe dans le chemin c’est qu’il s’écarte toujours de sentiers trop battus, des routes trop fréquentées, trop propres pour être honnêtes – routes qui vous embarquent, comme en des trains de mort, vers des destinations trop connues, vers d’horribles déroutes -. Ce qui m’importe en chemin c’est qu’il dévie immanquablement et qu’ainsi même il me devine. Et qu’ainsi encore, creusant la terre, il creuse au plus profond de moi.

 

 

… Etrange familiarité du chemin…

 

 

Ce qui me porte encore c’est cette boue à l’odeur âcre qui colle aux pieds, nous ralentit et nous donne le temps enfin… Cette boue – cette terre - qui nous rappelle aussi à l’humanité, nous enracine dans l’humilité, dans notre « cheminité ». On se perd en chemin et c’est très bien. On se perd pour mieux se retrouver. L’homme a tracé cette voie où, perdant le sens, il trouve sa voix.

 

 

C’est ainsi que, « poète », j’ai beaucoup marché en chemin pour y creuser, avec obstination, « mon » sillon – ou mon ornière… -. C’est ainsi que, marathonien aussi à mes heures – entre courir et écrire il n’y a qu’un pas comme « entre courir et voler » selon Jacques Gamblin[1] -, j’ai beaucoup couru en chemin pour y gagner de l’haleine tout en savourant ce goût de poussière dans la bouche, ce goût profond au bord de rendre l’âme, ce goût de la vie retrouvée.

 

 

Mais plus que les « chemins creux » où j’ai pu tracer une parole et maîtriser un peu le souffle, je revois aujourd’hui ces humbles « voyettes » qui, dans le Nord, contournaient les pâtés de maisons et les jardins. Voies étroites qui permettaient, tout au plus, le passage du vélo ou d’un couple enlacé. Voies impossibles aux voitures des « grands ». Voies de l’enfance et chemins buissonniers. C’est là que j’ai appris, tout enfant, à prendre le détour pour éviter l’abîme des miroirs aux alouettes. C’est là je crois, que, sans le savoir bien sûr, j’ai commencé l’écoute du poème, l’écoute de ce vrai chemin de traverse.

 

 

Philippe Delerm évoque, en un superbe et juste titre, ces chemins qui « nous inventent ». Cependant, par delà, il faut encore dessiner ce chemin, toujours précaire – ainsi que tout ce qui est essentiel… -, qui résiste malgré tout. Oui, il faut rappeler au chemin de ceux qui s’obstinent : les poètes et les fous, les amoureux, les apatrides… Tous ces errants et proscrits qui inventent… d’autres chemins.

Guy Allix

Cahiers du Sens, juin 2005

  



[1] Jacques Gamblin, Entre courir et voler il n’y a qu’un pas papa, La Dilettante, 2003. Un livre superbement fou où les phrases se déroulent parfois comme les  foulées aériennes du Grand Haile Gebrselassie.