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Guy Allix, poète
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En chemin avec Angèle Vannier

En chemin avec Angèle Vannier, essai publié aux éditions Unicité en avril 2018. Fruit de mes recherches lors de ma résidence d'écriture à Saint-Brice en Coglès en 2015-2016.

On pourra lire en cette fin de page ma lettre-préface à Angèle.

 

Visuel En chemin avec Angèle Vannier

 

4e de couv en chemin avec Angèle Vannier

 

Souscription En chemin avec Angèle Vannier

 

"Cher Guy,
Dans la paix de mes montagnes d’Auvergne, j’ai lu ton essai sur Angèle, il est remarquable de justesse et de probité. J’y retrouve tout ce que je sais d’Angèle, il est même troublant de voir combien sans donc l’avoir rencontrée tu la connais si bien. 
J’aime que tu insistes sur Broceliande que veux-tu... qu’elle a écrit dans ces années où j’allais la voir presque toutes les semaines à Bazouges. Elle m’en a tellement parlé ! [...] Elle m’a dit par exemple que l’expression "le gardien du seuil" me désignait sans que je sache encore trop ce qu’elle entendait par là.. [...] 
Je voulais en fait seulement te remercier de ton livre, de tout cœur.
Je t’embrasse" 
Jean-Pierre (Jean-Pierre Siméon) (Courriel à Guy Allix)

 

Lettre préface du livre :

 

Un jour tu es entrée dans ta nuit. Et c’est alors que tu as marché vers la lumière.

 

Angèle,

 

Je t’appelle Angèle et je te tutoie. C’est peut-être en souvenir de Prévert qui a un peu guidé mes premiers pas en poésie : « Et ne m'en veux pas si je te tutoie/ Je dis tu à tous ceux que j'aime/ Même si je ne les ai vus qu'une seule fois/ Je dis tu à tous ceux qui s'aiment/ Même si je ne les connais pas » (Paroles). Et je te dis « tu » à toi que je n’ai même pas vue une seule fois. C’est comme ça… une affaire de génération peut-être. Toi, tu étais de la génération de Camus et je me souviens que Camus et Char, deux très grands amis pourtant, se sont voussoyés dans toute leur correspondance jusqu’à la mort du philosophe… Mais tu sais aussi que j’ai passé bien du temps avec tes mots ces derniers mois et ces mots qui viennent du plus profond de la nuit, ça vous soude, ça vous entraine au « tu ».

Par ailleurs, j’affirmerai autre chose que l’on retrouvera dans tout ce livre… Tu es « poète ». J’ose dire « le poète », au diable ce mot affreux de « poétesse » qui sent la pétasse et l’affectation : tout ce qui ne va pas avec toi, ainsi au moins que je te perçois. Je ne dirai pas autre chose que « le poète » pendant tout ce travail. Tout comme toi tu le faisais avec les femmes poètes dans Otages de la nuit.

Oui, c’est vrai je ne t’ai pas même vue une seule fois. Pourtant quand j’ai commencé à écrire, en octobre 1971, tu t’apprêtais à revenir à Bazouges-la-Pérouse à une portée de fusil de Rennes la belle où j’étais alors. En décembre 1974, une amie, Michèle Macé, m’apportait les premiers exemplaires de mon premier recueil, alors que j’étais cloué au lit par une grippe, dans ma petite chambre meublée de Saint-Jacques de la Lande. Toi, tu étais revenue, tu étais là tout près, dans ton castelet. Et puis deux mois plus tard, je m’éloignais pour rejoindre la première femme de ma vie et ce qui était ma « matrie ». Cette « matrie », le « pays à mère », qui allait me devenir amère et étrangère à force de barreaux dressés autour d’elle.

Et je n’ai donc jamais essayé de te rencontrer. Du reste je suppose que si je t’avais rencontrée, tu m’aurais sûrement renvoyé à mes chères études et tu aurais eu raison. Il me fallait encore beaucoup apprendre, beaucoup raturer, beaucoup attendre. Quand bien même il naît souvent dans l’urgence, le poème est fils de patience.

Il faut dire aussi que je me tenais volontairement à l’écart des salons. J’avais une vague prévention, à tort ou à raison, et sans doute alimentée aussi par des peurs devant ces cercles si étrangers pour le petit enfant du peuple, contre tout ce qui constituait le monde poétique et littéraire. Je ne fréquentais véritablement que mon premier éditeur (celui qui nous publiera ensemble, toi et moi, dans une Anthologie de la poésie mystique contemporaine) et un grand ami poète de la région caennaise, Hughes Labrusse, que tu as croisé peut-être. J’entretenais une menue correspondance avec quelques « choisis » : Andrée Chedid, Pierre Seghers, Léopold Sedar Senghor...

Mais j’avais des nouvelles d’une certaine Angèle Vannier, d’autant que j’écrivais des chroniques « poésie » pour les pages Saint-Lô et Manche du journal « Ouest-France » et que Francine Caron m’envoyait en service de presse sa revue « Nard » qui te faisait la part belle souvent. Dans ces années-là, je me dois de l’ajouter, tu publiais chez un certain Rougerie, un petit grand éditeur remarquable, le meilleur et le plus vrai de tous… qui allait, j’en rougis encore, me publier par la suite dès 1984, soit quatre ans après ta mort…

Un jour j’ai appris, dans « Nard » justement, que tu étais partie pour un autre voyage. Un matin, on avait recouvert tous les miroirs du castelet.

Non, je ne t’ai jamais rencontrée et j’en suis pleinement responsable.

Tu es un remords et un regret…

Quand j’ai commencé ce travail, j’avais presque l’âge que tu as, je veux dire cet âge où tu es morte. Et à l’heure où j’écris cette lettre, que je voudrais comme préface à mon petit essai, je suis déjà plus vieux que toi, Angèle, et ça me fait tout drôle d’y penser… Un peu comme quand j’ai dépassé l’âge de ma pauvre maman, il y a de cela plus de trois ans.

Ce petit livre, je l’ai porté dans mon ventre pendant des mois, ne sachant pas même à quoi il ressemblerait, mais je le nourrissais de tes mots, de ton sang. De ta nuit. Je ne voulais pas décider de lui, je voulais qu’il soit décidé, qu’il obéisse à une nécessité intérieure qui me dépasserait et qui viendrait de toi, de ton œuvre vraiment. Qui viendrait d’un « destin » peut-être, et tu aimes cette idée de destin (même si tu fais de ton destin quelque chose d’agi par ta propre volonté). C’est un peu comme un enfant qui dépassera sans cesse les désirs que l’on a pour lui et sera ainsi plus riche de surprises et de vie. Je n’ai jamais su faire de plan avant d’écrire même sur les bancs de l’Université. Le plan vient toujours pendant.

Ce petit livre, cet essai… Et je voudrais, quand bien même il m’arrivera, emporté par un feu, d’affirmer au moins un peu pour tenir et continuer, redonner à ce nom « essai », toute sa vertu d’humilité et d’incertitude. En hommage de celui qui s’interrogeait : « Que sais-je ?[1] ». Et puisque je parle là essentiellement d’incertitude, puisque cette incertitude m’agit et ce, depuis très longtemps, je voudrais citer ici, comme pour résumer ma démarche, ce passage trouvé dans un merveilleux livre dont le seul titre m’a séduit, Eloge de l’incertitude[2] : « Une parole nom pas recommandée, mais non commandée, gratuite. Relevant de la seule pulsion du dire, et s’essayant à dire ce qui est, sans souci de ce qui a déjà été dit, de ce qu’on peut en dire, de ce qu’on en dira.

Sachant que toute parole en liberté est une parole en recherche. Parfois tâtonnante incertaine provocante ; mais toujours en chercheuse. » De même qu’il y a, pour moi, une po-éthique, il y a une éthique de l’essai. Et toutes deux ont partie liée avec l’humilité.

Mon petit livre, je voudrais qu’il soit un enfant du plaisir et de l’amour. Je voudrais que le lecteur (et toi bien sûr dans ton je ne sais où) y sente le bonheur et le plaisir toujours. Je voudrais que, même là où je tente de fouiller un peu, et parfois laborieusement, dans les eaux profondes de tes poèmes et de tes dits, le lecteur ne s’ennuie pas trop et qu’il puisse jouir (oui, quel beau mot) de mes toutes petites trouvailles quand j’en ai faites, aidé par ceux qui m’ont précédé dans cette exploration et que j’ai pu lire un peu, comme ton/notre amie Nicole, la si attentive et généreuse Nicole, qui m’a pris par la main dans les méandres de ton œuvre comme un petit enfant justement… Qui m’a pris par la main comme elle te prenait par la main. C’est qu’elle a vu que… je n’y voyais pas toujours très bien.

Et puisque j’évoque Nicole et que je reconnais toujours mes dettes, il faut dire ici qu’un autre ami, rencontré sur le tard en amont de ma résidence d’écriture à Saint-Brice-en-Coglès et pendant celle-ci aussi bien sûr, et un de tes amis là encore, ton complice à certaines heures pour des livres d’artiste, un autre ami donc m’a beaucoup pris par la main et m’a entraîné sur tes chemins, par exemple dans la forêt de Villequartier. Il m’a aussi confié ses archives « Angèle Vannier » que j’ai pu scanner et sur lesquelles j’ai pu travailler. Je veux parler de l’adorable et délicat Serge Bouvier, si généreux lui aussi. Merci Serge. Merci Nicole.

« Dans mon pays, on remercie. » disait le grand René Char que tu as approché, lui aussi.

Très vite, ainsi, j’ai compris que je devrais rester bien modeste tant ton œuvre était multiple. Tu l’as dit toi-même : « Ma poésie est tellement multiple, et elle aborde tellement de thèmes et tellement de manières d’écrire différentes. » (Rythmes et visages). Et je sus alors que je me casserais les dents et les mots sur cette énigme qui est la marque même de ton écriture. Mais, toi-même, tu m’avais prévenu, tu nous avais prévenus… Toi-même, tu avais compris que l’énigme, comme l’amour, est un horizon qui recule sans cesse : « Plus je m’avançais… Plus je me mettais à croire que l’énigme resterait l’énigme. » (Rythmes et visages).

C’est donc un tout petit chemin que j’ai emprunté avec toi, dans ton labyrinthe en suivant les pas de quelques poèmes. J’ai essayé de fouiller ta nuit, ton amour, ton énigme. J’ai essayé de traverser tes miroirs comme un Orphée revisité par Cocteau. J’ai retrouvé, je crois, quelques petits cailloux que tu avais laissés de ci de là pour qu’on s’y retrouve juste un peu, dans ta belle jungle de voyante aveugle, dans ta mythologie belle et rebelle. Je les ai amassés dans un sac de mots et c’est ce livre qui n’a pas fini de s’étendre alors que je t’écris cette lettre. Et ce sont ces phrases qui restent encore à la porte de tes poèmes ou plutôt devant l’abîme du miroir, ton abîme.

Tu écrivais « dans la voix » selon la belle formule de notre ami Jean-Pierre. Moi j’écris dans la vue même si j’entends, et si je vois, aussi un peu ma voix. Et c’est un peu ce que font tous les poètes mais que les aveugles, eux, portent au plus haut degré. Comme le disait Breton, « Rimbaud n’a rien vu, il a tout entendu ». Mais j’y pense souvent à cette opposition entre « voir » et « entendre » en travaillant ceci. Comment pouvais-tu faire, toi, quand par exemple tu accouchais de Otages de la nuit qui était, lui aussi, un essai ? Moi, je cherche des mots dans tes livres à certains moments et je les retrouve en les… voyant… Toi, c’est comme si tu avais eu tous les textes en mémoire, dans tes oreilles.

Si je crois savoir, et si j’ai très vite compris, que ta vie et ton œuvre étaient fortement imbriquées quand bien même tu explorais la nuit de tous, je n’ai pas cherché à trop fouiller les épisodes de ton existence. Tes biographes, Dominique Bodin et Françoise Coty, ont déjà fait un travail magistral qui peut aider les besogneux comme moi qui viennent à la suite. Je sais simplement, et Françoise me l’a dit de vive voix, que derrière chaque poème se cache un amour ou une solitude ou une amitié. Toi-même tu le déclares ouvertement dans l’échange que tu as eu avec ton amie Danièle Auray : « A l’âge de quarante ans, il m’est apparu que ma création était des lettres d’amour ». Oui ce n’est pas simplement métaphysique mais bien physique tout cela et tu demandes d’ailleurs ton poids de chair, et de désir, à Jésus lui-même : « Jésus-Christ remettez de la chair sur nos os ». Cependant, parfois, ce que j’appelle la « tentation biographique » m’a détourné de cette exigence quand, d’ailleurs, je te retrouvais interrogeant toi-même tes propres poèmes dans ta dernière période d’écriture. Ah cet « œil de cyclope » par exemple !

Comment ne pas suivre, au moins un peu, les biographes talentueux quand ils ouvrent des chemins ?

Et puis bien sûr, je ne pouvais emprunter tous tes thèmes, tous tes chemins justement. Chacun fait comme il peut avec ce qu’il est, ce qu’il aime et ce qu’il partage, devant le poème de l’autre.

Je ne me suis pas informé de l’astrologie par exemple. Si je puis à la limite en comprendre le principe d’une relation possible entre les mouvements des astres et ces petits « nous » qui sommes après tout des poussières d’étoiles, je n’en admettrai jamais ce que j’appellerais son codage arbitraire. Je te laisse donc à tes signes astrologiques, mais sans nul dédain, et je veux bien comprendre qu’on y puisse croire tant nous sommes dépassés par l’énigme là encore. C’est qu’ « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n'en rêve votre philosophie » (Shakespeare). Mais pour moi je ne lirai, ou n’essaierai de lire, que ces signes littéraires que tu as « parlés », que tu as transmis, par ta voix, non dans la nuit immense des astres mais dans cette profondeur du blanc de la page, grâce à des mains amies.

Est-ce que nos yeux nous empêchent de voir l’essentiel ? Voire. Saint-Exupéry le soupçonnait dans son Petit Prince. Il est bizarre ce verbe « voir ». Employé à toutes les sauces et pourtant… nous ne voyons pas. Ou alors très peu de choses. Il me semble au fond que tout poème véritable nous dit d’abord cela : « Lisez-moi bien. Regardez bien… vous croyez voir mais vous ne voyez pas, mais vous ne savez pas ! ». Et c’est peut-être d’abord cela la « voyance » du poète. Là où l’émotion poétique nous emmène, nos certitudes chavirent.

Qu’y a-t-il au fond derrière cette image de ce corps de femme nue qui nous fascine tant ? Derrière ce ciel de nuit d’été ? Derrière ce soleil fatigué qui lui laisse la place dans ses « lenteurs parme » ? Tout cela n’est qu’un prélude, une ouverture vers « l’inaccessible étoile ». Du reste j’ai toujours pensé que l’impression que nous recevions par la vue était différente d’un individu à l’autre, que le rouge par exemple, cette couleur que toi tu entends aussi, et qui revient si souvent, est vu différemment par chacun. L’amour lui-même rend aveugle, dit-on, quand nous nous abîmons dans la vue de l’autre.

L’amour, l’une de tes grandes préoccupations, peut-être la plus grande, et une alchimie de fait, et comme tu as aimé et comme tu as voulu être aimée ! Et pourtant l’amour est aussi cette approche d’une plus forte conscience, de cette co-naissance et de cette reconnaissance, sans lesquelles le monde n’est qu’abstraction. Comment écrire sans aimer, comment voir sans aimer ? « Est un vrai poète celui ou celle qui sait aimer… Qui n’a jamais osé l’amour n’a jamais osé la poésie. », ai-je écrit dans… Le sang le soir. Tiens donc ce titre de recueil !!! On va m’accuser d’avoir triché, ou à tout le moins d’avoir été influencé par Angèle Vannier et son Sang des nuits. Il a été choisi, ce mien petit titre, en amont de ma véritable lecture de ton œuvre après de multiples recherches autour du mot « sang », dès 2012 je me souviens. Et c’est l’amie Nicole Laurent-Catrice qui m’a offert Le sang des nuits à l’automne 2015, mon petit recueil ayant, lui, paru en mai.

Comme si mes mots déjà me menaient doucement vers toi sans que je le sache bien, de ce soir «  sans feu ni lieu » où je suis jusqu’à l’autre nuit qui m’attend en embuscade quand « les ourlets de la nuit se cousent dans le temps des morts » et jusqu’à ta cécité bien sûr. Dans une version antérieure du recueil, je l’avais justement dédié à « une main contre la nuit » et mon éditeur m’a fait enlever cette dédicace à l’amour rêvé et qui recule sans cesse comme l’énigme derrière l’horizon. Je l’ai déjà dit, je sais… Et je crois que cette quête nous est particulièrement commune. Tu l’as presque crié : « - Aimer : la chose la plus importante pour moi, c’est l’amour. ». « Je ne peux m’empêcher d’aimer » dis-tu encore dans Brocéliande que veux-tu ?. Et nous avons tenté, l’un et l’autre, de retrouver cette complémentarité de l’homme et de la femme… qui résiste encore et toujours.

Et résistent tout autant les images, créations pures. On les rencontre forcément, et elles étonnent et elles surprennent. Ainsi pour le soir justement : « Le crépuscule approche avec ses lenteurs parmes ». Ou encore « La femme ouverte un soir par un cri de vautour », « Une meute de loups lui traverse la gorge », « Des cloches sous les eaux s'étirent vaguement/ Le sexe est un enfant qui pêche des poissons », « Ne craignez rien/ La pendaison n'est qu'un point d'orgue sur la neige »… Je cite à plaisir, fasciné par leur mystère même. Elles foisonnent dans tes poèmes.

Mais contrairement à ce qui est souvent dit, ces images troublantes apparaissent dès tes premiers écrits. Ainsi «  Comment font les oiseaux sous les forêts lointaines/ Pour découper le gel avec leurs ciseaux blancs »[3].

On ne saurait les interpréter. Il s’agit juste de les mettre en relation parfois car les images tissent entre elles des liens certains. Retrouver en quelque sorte la « fornication des images » comme tu lisais la « fornication des textes réciproques ». Mais sinon, les disséquer n’est pas de mise : « L’image onirique dit strictement ce qu’elle dit, elle n’a pas à être interprétée ou justifiée, et le verbe est présence d’une réalité immédiate et magique. » (André Guimbretière, préface de Le sang des nuits[4].). Même si parfois la tentation est trop forte, je dois l’avouer à ma grande honte ! Ah oui, le nombril de ta mère… pénétré, transpercé, par Ulysse a pu me détourner de mes bonnes intentions initiales mais c’est vrai que, mon bon maître Brassens ne me contredirait pas en son blason : c’est si fascinant un… nombril de femme ! Et puis je peux te l’avouer : le nombril de ma mère était lui aussi l’œil d’un cyclope…

Je me plais souvent, Angèle, à rappeler cette phrase de René Guy Cadou que tu as peut-être croisé : « Je ne conçois pas la poésie sans un miracle d’humilité à la base. ». Oui, ce miracle était aussi à la base de ton œuvre : « Apprends l’humilité d’un monde minéral » écrivais-tu en écho à Cadou (A hauteur d’ange). Même si elle oblige à des prodiges quotidiens, la cécité doit vous rendre humble quand il « faut chercher à tâtons dans les cendres » dans ce que tes biographes nomment « l’incertitude permanente ». Et cette humilité qui est réclamée au poète par un autre poète, elle est encore plus nécessaire pour le besogneux, mais admiratif, lecteur que je suis.

Et, comme toi dans Otages de la nuit « J'irai de travers, cahin-caha »

Comme en amour, oui comme en amour, il faut entrer nu dans ta nuit, démuni, dans ton tumulte, au risque de s’y perdre.

C’est ce que je fais ici.

Au risque de m’y perdre, oui. Et si je n’étais tout d’abord que cette perte. Et si nous n’étions tous, d’abord, que cet égarement.

Merci encore Angèle d’avoir prononcé cette messe[5].



[1] Montaigne, Les Essais.

[2] Gérard Prémel, Eloge de l’incertitude, Diabase, 2016.

[3] Les songes de la lumière et de la brume, éditions Savel, 1947

[4] Je me permets ici un rapprochement, concernant le statut de l’image, avec une affirmation d’André Breton au sujet de Saint-Pol-Roux, dans l'Introduction au discours sur le peu de réalité (Pléiade, Œuvres complètes, t. II, p. 276-277) : « Il s'est trouvé quelqu'un d'assez malhonnête pour dresser un jour, dans une notice d'anthologie, la table de quelques-unes des images que nous présente l'œuvre d'un des plus grands poètes vivants ; on y lisait : Lendemain de chenille en tenue de bal veut dire papillon. Mamelles de cristal veut dire : une carafe, etc. Non, monsieur, ne veut pas dire. Rentrez votre papillon dans votre carafe. Ce que Saint-Pol-Roux a voulu dire, soyez certain qu'il l'a dit. »

[5] Allusion à la formule que tu prononçais à chaque fin de récital : « Allez/ La fête est dite/ Ou bien la messe/ Des mots »

 

 

 

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