Guy Allix, poète

10 octobre 2022

Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022 : un bonheur pour ses lecteurs et pour la littérature

Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022

Un bonheur

 

 

J'ai abordé l'oeuvre d'Annie Ernaux à partir de La Place (1984), un grand livre déjà et qui me parlait particulièrement. J'ai ensuite lu toute son oeuvre, capitale. Une oeuvre forte, engagée dans le combat des femmes et dans le combat social. Une oeuvre authentique et courageuse au carrefour de l'intime et du social, du corps et du monde. Une oeuvre sans fard et sans ornement car la beauté du vrai lui suffit. 

J'ai dit, depuis longtemps et plusieurs fois, mon admiration pour Annie Ernaux, j'oserais dire mon amour pour son oeuvre et sa franchise, tant je me sens proche par mes racines et ma propre écriture. J'ai aussi défendu cette oeuvre, en compagnie de ma collègue Martine Margueritte, dans un projet pédagogique au lycée de Carentan dans la Manche avec un projet de correspondance de deux classes de seconde avec Annie...

"Quand je pense que mon prof de lycée m'a fait découvrir et a permis à ma classe de correspondre avec le prix Nobel de Littérature 2022... Merci pour ça mon capitaine". Marie, devenue prof de lettres et qui fait découvrir aussi Annie Ernaux à ses élèves... 

 

Annie avait alors répondu aux questions avec une immense générosité et beaucoup de rigueur en développant pour eux son art d'écrire, son exigence. 

Wikipedia fait encore référence, dans les notes de l'article consacré à NOTRE Nobel, à cet entretien vingt-cinq ans plus tard.

 

L'obtention de ce prix, si mérité, est un bonheur pour moi !

Commande Autour de La place avec Annie Ernaux

Petit ajout, plusieurs jours après la publication de cette page, sur mon site et avant diffusion :

Simplement je viens du même monde qu'Annie Ernaux, ce monde des sans-voix et je suis, comme elle mais avec beaucoup moins de classe un "transfuge" et, comme elle, un transfuge qui n'a pas renié son monde, sa classe, d'origine.  Annie Ernaux témoigne, avec rigueur et justesse, de ce monde, lui donne voix justement. Et nous sommes très nombreux et très nombreuses à vivre ce Nobel avec bonheur. Quant au torrent de haine qui s'est abattu sur elle et sur ses combats après l'obtention de son prix, il montre d'une part l'hypocrisie de l'extrême droite, "populiste", qui manipule le peuple mais ne consent pas bien sûr à lui donner voix. Et il confirme d'autre part ce terrible mépris de classe de nantis qui ne supportent pas qu'on puisse évoquer simplement la misère sociale. "Ce n'est pas décent" selon eux, "c'est du misérabilisme" - ce mot "misérabilisme" est à lui seul une censure - Une grande amie m'avait raconté que, jeune étudiante à Rennes, elle avait un soir commencé à évoquer son enfance modeste et un  "ami" l'avait interrompu : "Arrête de faire ta Cosette"... Cela se passe de commentaire car on ne commente pas la bêtise ! Ne pas témoigner, ne pas évoquer cela, ne pas dénoncer cette misère sociale en la rapportant avec rigueur c'est accepter l'injustice révoltante de ce monde. On voit clairement de quel côté sont ceux qui dénigrent l'oeuvre d'Annie Ernaux, de ceux qui, en quelque sorte, voudraient censurer cette écriture - et son combat pour les femmes et la justice - en la dévalorisant.   

 

Merci Annie. Chacun de vos lecteurs vous remercie avec moi. Vous, "la scandaleuse", ainsi que vous le rapportez à un moment, vous êtes l'honneur de la littérature de ce temps.

En fraternité de classe. 

 

 

Je me permets de joindre simplement un des articles que j'ai écrits sur les livres d'Annie, qui a toujours su aussi répondre avec beaucoup de générosité à mes envois. Il s'agit là d'un livre moins connu : L'autre fille publié chez un bel éditeur mais plus confidentiel que Gallimard. L'article était paru dans la revue Spered gouez en Bretagne.

L’autre fille, Annie Ernaux, NIL

Je ne cache pas mon admiration pour l’auteur de La Place et ce depuis de nombreuses années. Et ce « petit » livre ne fait que conforter ce sentiment qu’Annie Ernaux est l’un des grands auteurs de ce temps.

En littérature tout se joue le plus souvent au-delà des limites de la littérature, frontières sans cesse reculées vers d’autres espaces encore inexplorés. Au fond le vrai livre, le grand livre, a partie liée avec l’impossible. C’est sur de telles réflexions que m’entraîne la lecture du dernier opus d’Annie Ernaux. En 2008, elle nous avait donné un superbe cadeau avec Les Années, excédant alors son format habituel et sondant avec une troisième personne (si rare chez elle depuis Les Armoires vides) ses souvenirs pour retrouver la mémoire sociale de tous. Aujourd’hui elle revient à cette écriture limite qui était à l’œuvre justement dès La Place. 78 pages dans un très petit format. Le livre (de fort belle facture dans cette nouvelle collection qui promet) se lit en 20 minutes…

Non et non, car on ne le quitte pas, on est étreint par cette longue lettre que l’auteur écrit à sa sœur, morte avant qu’elle-même ne vienne au monde. « Tu es une forme vide impossible à remplir d’écriture. », affirme Annie Ernaux. Elle écrit encore : « Je ne fais ici que courir après une ombre. » Et pourtant, cette ombre venue du royaume des ombres prend bel et bien forme devant nous. Et c’est plus qu’une sœur absente qui est ici évoquée. C’est celle dont la mort a permis que non seulement ce livre mais son auteur même vienne à l’existence : « Je suis venue au monde parce que tu es morte et que je t’ai remplacée. » Car c’est ainsi : les parents, par « nécessité économique », avaient décidé qu’ils n’auraient qu’un seul enfant : « il fallait donc que tu meures à six ans pour que je vienne au monde et que je sois sauvée. » Le mort de celle dont on a caché même le prénom, Ginette, a permis à Annie de vivre.

On ne trouve nul pathos ici, rien que des phrases épurées, écrites au scalpel, marquées au front de l’exactitude, d’une superbe et inquiétante précision. Le résultat est là : c’est proprement bouleversant.

L’évocation de la sœur absente se fait à travers le « tu » de la correspondance, dont l’auteur sait pourtant qu’il est « un piège », jusqu’à une présence-absence terrible. Est-ce une sœur du reste puisque « D’un certain point de vue, considérable, celui du temps, nous n’avons pas eu les mêmes parents. » ?

Plutôt ce que l’on pourrait appeler une « opposée ». La mort de la petite « sainte » a permis au démon de survivre, démon pourtant « très tôt … mal parti » aussi et qui, selon la mère, sera sauvé du tétanos par de l’eau de Lourdes. La rebelle a pris la place de la « gentille ». Définitivement. Et l’histoire alors de s’écrire d’une autre façon, dans un renversement étrange : « Je n’écris pas parce que tu es morte. Tu es morte pour que j’écrive, ça fait une grande différence. »

Car c’est l’écriture qui est ici le personnage central : « Je ne dois pas éviter cette question : si je n’avais pas eu envie d’écrire au plus près de la réalité dans ce livre-là, La Place, serais-tu remontée de la nuit intérieure où je t’ai maintenue pendant des années ? ».

Tout au long du livre on n’échappe pas à ce sentiment angoissant de l’impossible. « Lutter contre la longue vie des morts. », « faire le tour de (l’) absence. »… Au bout du compte il y a ce terrible aveu : « Je ne peux pas te mettre là où j’ai été. Remplacer mon existence par la tienne. Il y a la mort et il y a la vie. Toi et moi. Pour être, il a fallu que je te nie. » Ce terrible aveu de qui en même temps vient pourtant de faire revivre une ombre. De qui par ailleurs écrit à un destinataire définitivement absent. Et donc impossible lui aussi. Et justement nié.

Le dernier paragraphe de L’Autre fille interroge cette nouvelle limite et avoue « un fond de pensée magique ». Peut-être au fond de toute véritable écriture.

L’Autre fille est un livre arraché à l’impossible, un véritable miracle d’écriture.

Rarement l’expression « coup de cœur » aura été si vraie.

Guy Allix, article paru dans la revue "Spered gouez"

 

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"Si tu veux bien,, félicite-la pour moi et dis-lui que la petite lycéenne en moi a tellement aimé la lire qu'elle transmet aujourd'hui ses textes avec plaisir auprès de ses 3e." Marie, professeure de lettres au collège Barbey d’Aurevilly à Saint-Sauveur-le Vicomte (50) 


22 mai 2022

Poèmes pour l'amitié (13)

Poèmes pour l'amitié (13)

Angèle Vannier

 

Le précédent "Poèmes pour l'amitié" était consacré à l'amie Nicole Laurent-Catrice. Il est assez logique que, cette fois, ce soit Angèle Vannier qui soit à l'honneur. Et il est bon de regarder de temps en temps, et même souvent, dans le rétroviseur pour lire et relire les poètes qui nous ont précédés et ont montré le chemin. Et il se trouve qu'Angèle Vannier sera à l'honneur le week-end prochain à Saint-Brice-en-Coglès (35460), sur le square Jacques Lacarrière juste en face du collège... Angèle Vannier et à l'initiative du Pôle culturel et artistique... Angèle Vannier ! Une exposition permanente sur la poète sera en effet inaugurée samedi 28 mai à 15 h. Et cette exposition doit beaucoup aussi à l'amie Nicole Laurent-Catrice, la plus fidèle, la meilleure, lectrice de la poète !

Je serai bref pour présenter Angèle Vannier. Née en 1917 à Saint-Servan, elle avait écrit très tôt mais c'est à partir de sa cécité, à vingt ans, qu'elle s'est consacrée entièrement à l'écriture poétique. Un oeuvre remarquable, singulière, toujours en recherche et en évolution. Une poésie simplement incandescente ! Tout à la fois surréaliste, mystique, tragique et... très amoureuse. Une certaine expérience de la transe poétique qu'elle traduisait aussi en disant ses textes en public. Elle fut lue et louée par les plus grands de son époque. Ainsi Paul Eluard préfaça L'arbre à feu en 1950. 

Mise en musique plusieurs fois, notamment par Philippe-Gérard, elle fut chantée par la grande Edith Piaf qui reçoit pour "Le chevalier de Paris" (texte d'Angèle Vannier, musique de Philippe Gérard)  le premier prix de la chanson française. Cette chanson fera le tour du monde, reprise notamment par Yves Montand, Catherine Sauvage et, dans une adaptation assez éloignée du texte d'origine, par Frank Sinatra, Marlene Dietrich et même Bob Dylan. Etc.

Dans le début des années 70, Angèle sera invitée par Jacques Chancel pour une émission "Radioscopie" sur France-Inter et pour l'émission culte "Le grand échiquier" à la télévision. C'est dans ces années-là qu'elle retourne dans la maison de son enfance à Bazouges-la-Pérouse où elle décédera en 1980. Ses derniers recueils de poèmes ont été édités par le grand "petit éditeur" René Rougerie à Limoges et Mortemart.

Je vous donne donc à lire Angèle Vannier et n'ose livrer en même temps un de mes poèmes. Je me permets juste de mettre en lien mon adaptation sur Youtube de "De ma vie". Et j'en profite pour signaler aussi l'excellent dossier de Pascal Boulanger paru dans  la très belle revue revue "Triages" chez Tarabuste (septembre 2021). Contributions de Pascal Boulanger, Nicole Laurent-Catrice, Bruno Giffard, Myrdhin, François Rannou, Annabelle François et un certain... Guy Allix.  

Place simplement à une grande dame de la poésie !

 

  Poèmes d'Angèle Vannier

R

LA LAVANDlERE

 

 

La lavandière est mon amie

Ses cheveux roux sont des ruisseaux

Ses cheveux mènent à l'amour.

La lavandière est jeune fille

Elle a volé ma chanson d'eau

Pour laver le seuil de l'auberge.

 

Compagnons des bois et des champs

Vos grimaces pèsent si lourd

Savez-vous le secret des vierges

Qui vont à l'eau laver leur sang

Avant l'alouette ou la caille.

Compagnons de la couche-paille ! ...

 

C'était un soir fauve et lézard

Le ciel le lit soufflaient dans l'herbe

Avec un vent de chasseur noir.

Compagnons oubliez les gerbes

Portes dorées sur nids calleux

La lavandière a pris mes yeux

Pour laver le masque des mâles

Et voir miracle en ses cheveux

Virer leur face à l'ange pâle.

 

C'était un soir ni feu ni lieu

Un vrai soir d’avant la parole

Où les enfants comprenaient Dieu.

Les volets ouvraient leurs corolles ...

 

Lavandière, ô chérie mouillée

Rappelle-toi celle aux yeux clos

Qui faisait germer les visages

Selon sa petite rosée.

 

Ton ventre porte sa chanson

Comme un poisson dans un nuage

Tu mènes l'homme à la rivière

Sous les ponts de la vieille terre.

 

Moi je t'écoute de très haut

La blanche hermine du repos

Couvée sous mon aisselle chaude

Fourrure à dormir sans frisson

Fade quand se répète l'aube.

+-, -----~

Lavandière lavant la vie

-Nous suivons le même chemin

Celui de l’eau celui des mains.

La lavandière est mon amie.

 

Les songes de la lumière et de la brume, éditions Savel, 1947

 

 

DE MA VIE

 

 

 

 

 

De ma vie je n'ai jamais vu

 

Plus beau visage que sa voix.

 

Ses yeux portent l'âme des eaux

 

Blessées à mort depuis des siècles

 

Par le silence des grands bois

 

Son front descend de la lumière

 

Comme l'Egypte du mystère

 

Et sa bouche a juste le poids

 

Le poids terrible du bonheur

 

Que pouvait supporter mon cœur.

 

 

 

S'il avait fait glisser sa voix

 

Dans les yeux graves de mes paumes

 

Nous aurions vu ce vieux royaume

 

Que l'amour épèle tout bas.

 

C'est ici qu'il faut parler d'elle

 

La maison des oiseaux parfaits

 

La merveille où toutes les ailes

 

Peuvent s'ouvrir sur leur secret.

 

 

 

 

 

J'entends sonner la cloche rouge

 

De ce rouge extraordinaire

 

Dont l'ombre saigne sur la terre

 

La cloche à marier les dieux

 

Le fruit qu'on mange avec les yeux

 

 

 

Il n'y a pas d'amour heureux

 

 

 

De ma vie je n'ai jamais vu

 

Plus beau visage que sa voix

 

Plus beau visage mis à nu

 

Par le silence de mes doigts.

 

L’arbre à feu, éditions le Goéland, 1950

 

CERTES JE SUIS LA FEMME ...

 

AI-JE jamais été cette jeune fille blanche qui n'ose s’étendre nue au soleil de peur qu’un Oiseau bleu ne vienne pondre entre ses cuisses et lui faire un enfant ailé voué au sacrilège des faiseuses d'anges.

Certes je suis la femme

Mon sexe est une bouche qui ne demande qu'à s'ouvrir pour répondre oui à l'éternelle question de l'homme

Que ne l'ai-je cousue avec une aiguille d'acier et du

fil d'or

Alors

Sous mes yeux à mes pieds ils seraient tous morts

A bout de souffle ,

A force de m'avoir interrogée sans que je daigne leur répondre

 

Mais sept fois j'ai répondu oui

Septante fois sept fois j'ai répondu oui .

Que j'aille maintenant laver mon corps aux eaux vives

de la rivière

Que le printemps brasse et fait écumer de joie

Que je m'étende sur la berge par-dessus les menthes sauvages

Que je laisse filer le printemps et ses fleurs et l'automne

 

Sans seulement prêter l'oreille

Au chant des ramiers qu'on croit tendre

Et qui se plument et qui se saignent

Pour une oiselle au beau plumage

Que j'attende sage l'hiver

Et mon ventre repris au veto de sa glace

Droit ne sera donné d'en opérer la fonte

Qu'au rayon du soleil de Dieu

Alors j'accoucherai de l’homme que je n’ai pas été

Il sera roi

Il soumettra tous ceux qui m'ont soumis

Et ils ploieront sous lui

Comme ce roseau-là sous le vent du printemps

Ce même vent qui veut ce soir

S'amuser à colin-maillard

Avec ma tête sans regard.

Avec la permission de Dieu, Seghers 1953

 

  1. PARLER JE NE SAIS OU

 

Je veux revivre

L'ange muet je veux le mordre au cou

afin qu'il crie et qu'il me nomme

à la face ouverte du vent.

Quelqu'un m'a retirée malgré moi de mon sang

Pour donner ma parole en pâture à ses fauves

Mais le temps brisera ses os dans le miroir qui défendait le fruit perdu

sous l'éternité chaste du feuillage.

Ai-je parlé tout haut jadis du mal d'amour

sur cette terre de lilas blessée par les orages

Ai-je jadis plombé tout le regard de l'homme avec des mots

pour qu'il oublie la chasse à courre

et nous enferme ensemble sous sa tente toute la nuit d'une saison,

Nous avons subvenu derrière le nuage

pendant longtemps à la chanson de nos délires.

L'espace d'un parfum, le nôtre

nous suffisait pour enterrer les morts

et pour mûrir notre dialogue en serre

sous les auspices du vin noir.

Tout s'est détruit

quand ton regard a recouvré sa propre loi

pour accoucher de l'astre mâle

qui frappait ma lèvre d'exil.

Le silence a fait blêmir nos entretiens sur ton visage

Et je n'ai plus que mon fantôme entre les dents pour tout bagage.

Je sais nulle parole encore n’a pu payer la pierre.

Je veux revivre

Je veux chanter à mon amour

le poids du sang

le fruit des vagues.

Je veux mordre cet ange au cou

Je veux parler je ne sais où.

Théâtre blanc, éditions Rougerie, 1970

Invitation JPEG

 

 

 

 

 

 

Angèle Vannier - Wikipédia

Angèle Vannier, née le à Saint-Servan (aujourd'hui annexée à Saint-Malo, Ille-et-Vilaine), et morte le à Bazouges-la-Pérouse, est une poétesse française. Angèle Vannier passe sa petite enfance à Bazouges-la-Pérouse chez sa grand-mère, avant de rejoindre ses parents à Rennes à 8 ans, ville où elle fait ses études.

http://wikipedia.org

 

Couv Triages

12 mai 2022

Poèmes pour l'amitié (12)

Poèmes pour l'amitié (12)

Nicole Laurent-Catrice

 

En ce jeudimanche... - Oui, jamais très ponctuel ! - je donne la parole à l'amie Nicole Laurent-Catrice car elle la mérite bien, la parole, tant elle l'utilise sans l'user et ce avec cette belle justesse et cette générosité rare. Aussi, je tiens à ne pas être trop bavard pour présenter les poèmes de Nicole, par ailleurs grande lectrice de Angèle Vannier dont je reparlerai bientôt, car ce serait sacrilège, comme un écho dissonant et vain. Et je place mon poème, "Le Nord", après les siens comme un simple signe de complicité avec celle qui connaît si bien aussi cette région de mon enfance. En fin de page, on trouvera une présentation de Nicole sur Wikipedia et un autre lien vers la chanson "Le viol de Lucrèce" composée à partir d'un de ses poèmes.

 

Poèmes de Nicole Laurent-Catrice

Nicole Laurent Catrice (F) Alicante

à Angèle Vannier

à Gilles Fournel

 

Ce fut cette année-là que les pommes pourrirent

avant que d'être mûres.

Ce fut cette année-là

que les oiseaux perdus reprirent leurs vieux nids

que les chats efflanqués vinrent pleurer aux portes

et que les étourneaux

semèrent la fièvre dans les près.

Ce fut cette année-là

Qu'une enfant au visage fut brûlée

qu'un jeune homme mourut une nuit de Noël.

Ce fut cette année-là que l'astre de la nuit obscurcit le ciel

que les corbeaux blanchirent en plein vol

et que le lait noircit dans les marmites.

Ce fut cette année-là

que la malheur fondit sur la femme emmurée

que les lacs déversèrent leurs tourbillons de boue

sur des hameaux entiers.

Ce fut cette année-là

que l'homme foudroyé

tomba au milieu de l'office.

Ce fut cette année-là ou l'autre ou l'autre encore

que moururent tant de poètes

que nous ne guérirons de notre orphelinage.

Ce fut cette année-là

et c'est cette année-ci et c'est cette année-ci.

***

à Angèle pour la dernière fois

 

Nous avions encore tant à te dire

maintenant tu sais...

Le langage a cesssé d'être trahison

le silence, barrière.

Nous vieillirons ensemble désormais.

 

Les bandes magnétiques, le téléphone, 

les ondes n'ont plus cours.

Tu nous laisses tes mots pour célébrer

c'est nous qui sommes ta voix

dans cette distance à n'en plus finir

d'un coup abolie.

 

Dans la nuit plus profonde que la nuit

tu vois la lumière

la clef de l'énigme t'est donnée

et, le miroir, tourné.

Les aveugles c'est nous désormais.

 

Ce cœur usé de tant d'éphémère

ce cœur d'intensité

a cessé de battre à l'horloge du temps

car seule pouvait combler sa quête

l'éternité.

 

Le verbe t'avait prise pour prêtresse

Tu as rallié la demeure du feu

centre où s'accomplit

dans l'immobilité soudaine des astres

le grand œuvre de chair.

 

© Nicole Laurent -Catrice, La Sans Visage, éd. Ere 1996

 

***   

 

Le Nord

 à Pierre Dhainaut

à Denis Gambiez

 

 

1

Douai le beffroi carillonne

A ma mémoire

  

La Scarpe tisse ses repères

Pecquencourt Vred Marchiennes

  

Très loin au bout de ces noms

La mer vers le Nord...

 

...Rêve d'enfance

 

2

La terre se faisait noire

Comme ma peur

 

La terre recouvrait la terre

Et saignait des briques rouges

 

3

Ce pays se sculptait avec la sueur. Le travail des hommes l'habitait tout entier.

 

4

Seuls les terrils

Parfois immenses

Limitaient le regard d'enfant

 

La terre y reprenait ses droits

 

L'arbre recouvert renaissait

S'enracinait dans cette écorce noire

 

5

C'était ce pays de froid dans le dos Qui tout entier travaillait à la chaleur

 

6

Champs ouverts entre deux villes

Entre deux corons

  

La terre assiégée donnait encore

Du coeur au ventre

  

7

C'est là que j'ai appris l'humilité, que j'ai appris à m'enfoncer dans la terre.

  

8

L'hiver il fallait chercher le feu

Grapiller

 

Au bas du terril

Le feu était parfois déterré

A coups de pied

  

Gaillettes froides comme des glaçons

Gaillettes perdues au milieu des pierres

  

Arêtes vives qui brisaient

Les mains et le dos de l'enfant

 

9

Au loin le soir

La lueur rouge de la sidérurgie

 

La terre pouvait-elle fondre

Comme la lave sous nos pas ?

 

10

Ce pays donnait le Nord

La peau y trouvait sens

 

Aux pavés des chemins

Se dessinait le tremblement de vivre

 

11

La terre sûrement portait en elle

Des tas de secrets

 

Et l'histoire du monde nous réchauffait

 

12

Les gens se cachaient pour donner

Ils recouvraient la peine d'un sourire

Et portaient comme un vêtement

Le rire et la joie

 

13

La seule richesse était noire

Elle sortait en hurlant

Comme du ventre de la mère

  

14

Les filles se donnaient tôt comme la terre

Elles avaient le temps aux trousses

Et permettaient l'amour qui cherche au plus profond

  

Elles offraient la chaleur pour une rose

 

15

C'est leur beauté sans doute

Et le grain de leur peau nue

Qui permettait au mineur

D'affronter la nuit

 

16

Les garçons les regardaient

Et forgeaient leurs rêves

Sur l'image devinée de leur corps

  

Pour s'abîmer sur un ventre inventé

Tout chaud de la tendresse retrouvée

 

17

La corne d'une péniche

Déchirait le ciel

  

Un pont se levait

Laissait passer un rêve

 

18

Plus loin encore

On travaillait pour la chaleur

Qui recouvre la peau

 

19

C'était le pays où je n'étais pas

Où je ne savais que n'être

 

Aujourd'hui j'ai perdu sa lumière

J'ai perdu le Nord et mon enfance

  

© Guy Allix, Lèvres de peu suivi de Le Nord, éd. Rougerie, 1993

 

 

Nicole Laurent-Catrice - Wikipédia

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre. Nicole Laurent-Catrice est une écrivaine française, née en 1937 dans le nord de la France. Après une enfance en Anjou puis à Paris, elle vit aujourd'hui [Quand ?] en Bretagne depuis 1970. Hispaniste, elle étudie quelque temps la langue bretonne pour des raisons culturelles et personnelles.

http://wikipedia.org

 

 

LAURENT-CATRICE Nicole photo Yvon Kervinio (31)nb

© Photo de Nicole Laurent-Catrice par Yvon Kervinio

 

Poèmes pour l'amitié (12)

Poèmes pour l'amitié (12)

Nicole Laurent-Catrice

 

En ce jeudimanche... - Oui, jamais très ponctuel ! - je donne la parole à l'amie Nicole Laurent-Catrice car elle la mérite bien, la parole, tant elle l'utilise sans l'user et ce avec cette belle justesse et cette générosité rare. Aussi, je tiens à ne pas être trop bavard pour présenter les poèmes de Nicole, par ailleurs grande lectrice de Angèle Vannier dont je reparlerai bientôt, car ce serait sacrilège, comme un écho dissonant et vain. Et je place mon poème, "Le Nord", après les siens comme un simple signe de complicité avec celle qui connaît si bien aussi cette région de mon enfance. En fin de page, on trouvera une présentation de Nicole sur Wikipedia et un autre lien vers la chanson "Le viol de Lucrèce" composée à partir d'un de ses poèmes.

 

Poèmes de Nicole Laurent-Catrice

Nicole Laurent Catrice (F) Alicante

à Angèle Vannier

à Gilles Fournel

 

Ce fut cette année-là que les pommes pourrirent

avant que d'être mûres.

Ce fut cette année-là

que les oiseaux perdus reprirent leurs vieux nids

que les chats efflanqués vinrent pleurer aux portes

et que les étourneaux

semèrent la fièvre dans les près.

Ce fut cette année-là

Qu'une enfant au visage fut brûlée

qu'un jeune homme mourut une nuit de Noël.

Ce fut cette année-là que l'astre de la nuit obscurcit le ciel

que les corbeaux blanchirent en plein vol

et que le lait noircit dans les marmites.

Ce fut cette année-là

que la malheur fondit sur la femme emmurée

que les lacs déversèrent leurs tourbillons de boue

sur des hameaux entiers.

Ce fut cette année-là

que l'homme foudroyé

tomba au milieu de l'office.

Ce fut cette année-là ou l'autre ou l'autre encore

que moururent tant de poètes

que nous ne guérirons de notre orphelinage.

Ce fut cette année-là

et c'est cette année-ci et c'est cette année-ci.

***

à Angèle pour la dernière fois

 

Nous avions encore tant à te dire

maintenant tu sais...

Le langage a cesssé d'être trahison

le silence, barrière.

Nous vieillirons ensemble désormais.

 

Les bandes magnétiques, le téléphone, 

les ondes n'ont plus cours.

Tu nous laisses tes mots pour célébrer

c'est nous qui sommes ta voix

dans cette distance à n'en plus finir

d'un coup abolie.

 

Dans la nuit plus profonde que la nuit

tu vois la lumière

la clef de l'énigme t'est donnée

et, le miroir, tourné.

Les aveugles c'est nous désormais.

 

Ce cœur usé de tant d'éphémère

ce cœur d'intensité

a cessé de battre à l'horloge du temps

car seule pouvait combler sa quête

l'éternité.

 

Le verbe t'avait prise pour prêtresse

Tu as rallié la demeure du feu

centre où s'accomplit

dans l'immobilité soudaine des astres

le grand œuvre de chair.

 

© Nicole Laurent -Catrice, La Sans Visage, éd. Ere 1996

 

***   

 

Le Nord

 à Pierre Dhainaut

à Denis Gambiez

 

 

1

Douai le beffroi carillonne

A ma mémoire

  

La Scarpe tisse ses repères

Pecquencourt Vred Marchiennes

  

Très loin au bout de ces noms

La mer vers le Nord...

 

...Rêve d'enfance

 

2

La terre se faisait noire

Comme ma peur

 

La terre recouvrait la terre

Et saignait des briques rouges

 

3

Ce pays se sculptait avec la sueur. Le travail des hommes l'habitait tout entier.

 

4

Seuls les terrils

Parfois immenses

Limitaient le regard d'enfant

 

La terre y reprenait ses droits

 

L'arbre recouvert renaissait

S'enracinait dans cette écorce noire

 

5

C'était ce pays de froid dans le dos Qui tout entier travaillait à la chaleur

 

6

Champs ouverts entre deux villes

Entre deux corons

  

La terre assiégée donnait encore

Du coeur au ventre

  

7

C'est là que j'ai appris l'humilité, que j'ai appris à m'enfoncer dans la terre.

  

8

L'hiver il fallait chercher le feu

Grapiller

 

Au bas du terril

Le feu était parfois déterré

A coups de pied

  

Gaillettes froides comme des glaçons

Gaillettes perdues au milieu des pierres

  

Arêtes vives qui brisaient

Les mains et le dos de l'enfant

 

9

Au loin le soir

La lueur rouge de la sidérurgie

 

La terre pouvait-elle fondre

Comme la lave sous nos pas ?

 

10

Ce pays donnait le Nord

La peau y trouvait sens

 

Aux pavés des chemins

Se dessinait le tremblement de vivre

 

11

La terre sûrement portait en elle

Des tas de secrets

 

Et l'histoire du monde nous réchauffait

 

12

Les gens se cachaient pour donner

Ils recouvraient la peine d'un sourire

Et portaient comme un vêtement

Le rire et la joie

 

13

La seule richesse était noire

Elle sortait en hurlant

Comme du ventre de la mère

  

14

Les filles se donnaient tôt comme la terre

Elles avaient le temps aux trousses

Et permettaient l'amour qui cherche au plus profond

  

Elles offraient la chaleur pour une rose

 

15

C'est leur beauté sans doute

Et le grain de leur peau nue

Qui permettait au mineur

D'affronter la nuit

 

16

Les garçons les regardaient

Et forgeaient leurs rêves

Sur l'image devinée de leur corps

  

Pour s'abîmer sur un ventre inventé

Tout chaud de la tendresse retrouvée

 

17

La corne d'une péniche

Déchirait le ciel

  

Un pont se levait

Laissait passer un rêve

 

18

Plus loin encore

On travaillait pour la chaleur

Qui recouvre la peau

 

19

C'était le pays où je n'étais pas

Où je ne savais que n'être

 

Aujourd'hui j'ai perdu sa lumière

J'ai perdu le Nord et mon enfance

  

© Guy Allix, Lèvres de peu suivi de Le Nord, éd. Rougerie, 1993

 

 

Nicole Laurent-Catrice - Wikipédia

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre. Nicole Laurent-Catrice est une écrivaine française, née en 1937 dans le nord de la France. Après une enfance en Anjou puis à Paris, elle vit aujourd'hui [Quand ?] en Bretagne depuis 1970. Hispaniste, elle étudie quelque temps la langue bretonne pour des raisons culturelles et personnelles.

http://wikipedia.org

 

 

LAURENT-CATRICE Nicole photo Yvon Kervinio (31)nb

© Photo de Nicole Laurent-Catrice par Yvon Kervinio

 

01 mai 2022

Poèmes pour l'amitié (11)

Poèmes pour l'amitié (11)

Jean-Claude Touzeil

C'est la fête de Jean-Claude, le père Fonda

 

Ce dimanche 1er mai 2022, a lieu le 36e printemps de Durcet dans l'Orne. Grâce à Jean-Claude Touzeil, dit "Le père Fonda", Durcet, village en poésie, est devenu en quelque sorte la capitale mondiale de la poésie. On trouvera que j'exagère et pourtant qui a connu le Printemps des poètes de Durcet, dans ses différentes formules depuis tant d'années, sait qu'il se passe là tous les ans quelque chose d'unique par l'atmosphère très singulière qui y règne. Durcet, c'est la poésie. C'est la fraternité des poètes. C'est le petit peuple des poètes. C'est l'humour, le rire, la blague. Une humilité retrouvée. Et tout un petit village qui participe activement avec ses "hirondelles" (ainsi se nomment les nombreux et généreux bénévoles) à la réussite de l'événement, car c'en est un ! Ainsi le "poète" qui se prend trop au sérieux, n'y passera au maximum qu'une fois... Le père Fonda est un peu un magicien car une telle réussite est exceptionnelle !

Les dernières années, des poètes venus de toute la France (mais aussi des poètes venus du passé ainsi que de nombreux promeneurs du coin) s'assemblaient la samedi pour "le chemin des Durcet", ils venaient lire un de leur poème exposé sur une borne à de très nombreux promeneurs. Neuf km de marche dans de beaux chemins parfois très creux que de petits plaisantins envisagèrent de "paver" lors d'un retour d'une balade beaucoup trop arrosée par les trombes normandes. L'année suivante, on inaugura même, en grande bottes, le pavage du chemin avec un beau pavé breton, resté depuis, tout seul, sur le bureau du Maire de la commune. Une des nombreuses blagues de l'histoire du Durcet : voilà pour l'ambiance !

Certains des poètes invités étaient venus la veille dans les classes du coin pour parler de poésie et animer des ateliers d'écriture. Et on les retrouvait, le dimanche, au petit salon de poésie très fréquenté par les habitants de la région. Voilà pour le Printemps du Durcet.

Mais le prince du Printemps de Durcet, en cette année de grâce 2022, c'est le père Fonda et on lui rend avec cet hommage une infime part de ce qu'il a offert à tant de poète. Et tous vont recevoir en même temps le cadeau de sa poésie qui va résonner sur toutes les bornes du chemins, devant les arbres aimés sous l'accompagnement des oiseaux. Une poésie simplement humaine et tendre qui nous tend simplement la main, et avec ce sourire, ce rire et cette fantaisie sans lesquels il n'y a pas de réelle poignée de main ni de réelle amitié. Sans lesquels il n'y pas de vraie générosité.

Cette semaine, comme nous sommes le 1er mai, fête du travail, je laisse toute la place à l'ami Jean-claude et ne publie pas de poème du tipouet.

Je donne donc simplement à lire deux poèmes de Jean-claude et je donne à entendre un choix de ses poèmes sur YouTube.

 

Poèmes de Jean-Claude

 

ÉLAN

 

La première fois

que l’escargot

fit le tour

de la Terre

c’était juste

pour occuper

sa retraite

d’employé

communal

 

Il prit le temps

de regarder

le paysage

 

La deuxième fois

c’était pour voir

comment allait

le monde

 

Il prit le temps

de bavarder

avec les gens

 

Et la troisième fois

ce fut simplement

emporté

par son élan

 

Il prit le temps

de ralentir

pour éviter

un tour de plus

 

***

Sont-ils encore vivants
Jean-Baptiste et Marie
Qui gravèrent leurs noms
Sur le tronc du vieux hêtre ?

Sont-ils encore vivants
Et s’aiment-ils encore
Jean-Baptiste et Marie
Marie et Jean-Baptiste
Qui gravèrent leurs noms
À l’intérieur d’un coeur
Sur le tronc du vieux hêtre ?

Et s’aiment-ils encore
Marie et Jean-Baptiste
À l’intérieur d’un coeur ?

(Peuples d’arbres, Donner à Voir)

 

 

   36e Printemps de Durcet

 

 

 


24 avril 2022

Poèmes pour l'amitié (10)

Poèmes pour l'amitié (10)

Jean Rivet

 

J'avais ouvert cette chronique régulière avec un ami décédé, Michel Baglin. Aujourd'hui je veux retrouver un autre ami parti lui aussi, il y a déjà treize ans maintenant, en juillet 2010. Il m'a quitté en même temps qu'une toute belle me quittait. Jean, je l'ai rencontré trop tard sûrement, bien trop tard. C'était en 2000, je crois, grâce à un texte de lui qui était anonymé et qu'il avait envoyé pour un prix de poésie dont je présidais le jury : le prix du café-livre de Lassy dans le Calvados. Une rencontre dans un train qui me menait de Caen à Carentan dans la Manche où, hélas, j'"habitais". J'avais emporté la chemise avec les poèmes qui concouraient pour le prix et j'ai été subjugué par ce texte, par sa force et son humilité, son manque évident de fard. Une merveilleuse simplicité qui disait tant. Qui aimait tant !

C'est ce texte que vous lirez plus bas et que Jean a publié au Nouvel Athanor grâce à moi par la suite. 

Jean obtint le premier prix bien sûr et je pense que j'aurais fait un scandale s'il en avait été autrement. Nous sommes devenus amis aussitôt lors de la remise du prix. Jean était si bon, si simple, si généreux. Nous nous sommes un temps engueulés tous deux par la suite au sujet d'un triste individu que je prenais pour un ami mais qui n'était qu'un  faussaire et qui se donnait pour un "poète professionnel" (sic)... le ridicule ne tue pas. Jean, très lucide, avait raison et j'avais tristement tort, j'en éprouve toujours un vrai remords même si bien sûr nous étions trop amis pour nous brouiller définitivement. Nous nous sommes croisés plusieurs fois ensuite et il m'avait encouragé à venir le voir chez lui, à Frénouville, dans la cabane du jardin où il écrivait. Je lui avais dit que j'irais en vélo et que... je lui ferais la surprise. Jean luttait depuis plusieurs années contre une saloperie de crabe...  Une première fois je l'ai appelé à l'entrée de Frénouville. Et là il me répondit qu'il était très fatigué, trop fatigué suite à une chimio... Je l'entends encore : "Tu ne m'en veux pas pas, Guy ?". Comment aurais-je pu lui en vouloir. Je m'en voulais à moi de n'être pas allé plus tôt... Un seconde fois, ce fut Michèle, son aimée, qui me répondit... Jean venait d'être hospitalisé. 

Trois jours plus tard, mon ami Gérard m'apprenait le décès de Jean et nous nous retrouvions tous deux au funerarium de Caen. Jean avait voulu le plus grand dépouillement. Nous sommes tous simplement passés devant le cercueil, avons posé notre main dessus quelques secondes et nous sommes sortis avec notre douleur... 

 

 

La mort la vie

 

1

La mort toujours à l’affut

 

Et cela qui bat

Fragile

Vertigineux

Tout au-dessus du vide

 

Le cri remonte avec la terre

Te convoque à l’urgence

Tu replies tes mains

Au-dedans de l’amour

 

*

 

2

Cela vient de si loin

Cela fuse au-dedans

Du non-sens

 

Tu pars en quête

De ce que tu ne sauras pas

 

*

 

3

Seul ce sens-là

Au dépourvu

 

C’est si peu

Si terrible pourtant

Le nom de vivre

Anthologie pour le Printemps des poètes 2020 Le poème pour seul courage, Le Castor astral, 2020

 

Jean Rivet

 

Rue Circulaire premier étage porte droite

quand le chien s'essuyait les pattes sur le tapis

un jour d'amour de terre tendrement mouillée

avec ces flocons sur les arabesques de la fenêtre

Rue Circulaire premier étage le samedi soir

après la fumée des cigarettes ah ces trains que

nous avions aimés ces espoirs cette jeunesse qui

nous prenait à la gorge le samedi soir dans la fumée

des cigarettes dans ces parties de cartes

où le noir sortait souvent

Le samedi soir au lit nous entendions les voisins

du dessus faire l'amour et nous nous demandions

pourquoi il allait falloir abandonner ces quais

de gare ces mots d'amour ce désir qui nous

brûlait et entrer dans les rides laisser

notre enfant l'herbe du plateau d'Avron

les pivoines au soleil couchant les marches

gravies un dimanche après-midi et la lecture

de ces livres dont les pages étaient

marquées à jamais d'une carte hebdomadaire

de métro station Denfert-Rochereau

 

Jean rivet, Chemin d’automne, Le Nouvel Athanor, 2002

 

Poème pour enfant de Jean

 

Elle m’a dit

Je t’aime

Beaucoup

C’est pas assez

A-t-elle ajouté

Et elle a effacé

« Beaucoup ».

Le soleil meurt dans un brin d'herbe, éditions Motus

        

18 avril 2022

Poèmes pour l'amitié (9)

Poèmes pour l'amitié (9)

Marie-Josée Christien

 

 

Dans cette rubrique, j'établis souvent une correspondance entre mon univers et l'univers d'un ou d'une poète que je considère comme un ou une amie quand bien même je ne l'ai pas rencontré(e). Dans les faits je n'ai pas énormément d'amis poètes car je ne cours pas les salons et les rencontres. J'aime une certaine discrétion et l'amitié se doit aussi d'être rare pour être vraie. Dans ce cadre, j'ai pensé dès le début à Marie-Josée Christien. Une grande amie, très généreuse, et qui m'a beaucoup aidé depuis bientôt quinze ans. Toujours présente et disponible pour l'amitié et la poésie. Et il y a eu entre nous ces "Correspondances", titre d'une recueil à quatre mains paru en 2011 chez Les Editions Sauvages. 

La poésie de Marie-Josée est une poésie exigeante, concise et d'une grande humanité. Une poésie sans concession aux modes et au petit entre-soi parisien. Tant dans la vie et dans sa relation aux autres que dans ses poèmes, Marie-Josée est simplement authentique... une valeur bien rare de nos jours. C'est dans cette authenticité qu'elle accède au plus vrai de nos profondeurs. Avec une extrême sobriété et une économie de moyens la parole de Marie-Josée Christien résonne longtemps en nous.

Je tiens Marie-Josée Christien pour une des plus vraies poètes d'aujourd'hui.

 

Seul un sourire

Ce doux masque ce courage

Un visage s’imprime en nous contre la mort même

 

Un visage un peu d’éternité en partage

 

Guy Allix, Correspondances, Les Editions Sauvages, 2011

 

Petits hommes dans l’univers

Grands du seul sable dans le désert

Ils décrètent leur propre génie

Comme on érige une ruine déjà

Une maison de papier sous l’orage

 

Quand il n’y a que l’amour

Une poignée de poussière

Une seule poignée

                             de main

 

Nous survivrons de l’inexistence même

En nul lieu que l'ombre

Guy Allix, Correspondances, Les Editions Sauvages, 2011

 

Au rebours de la nuit

la tendresse incertaine

des présages

se balbutie du bout des lèvres

 

clairvoyance

entrevue plus loin

que l’horizon

de la raison

 

toute parole

partagée

porte des fragments

d’éternité.

Marie-Josée Christien, Correspondances, Les Editions Sauvages, 2011

 

A pleines gorgées

le lent tourbillon

de nos correspondances

 

la rencontre

précieuse

où tout est humble

avec certitude

 

où secrètement

nos chemins s’enroulent

assidus

à l’errance.

Marie-Josée Christien, Correspondances, Les Editions Sauvages, 2011

 

 

Marie-Josée Christien - Wikipédia

Marie-Josée Christien est née en 1957 à Guiscriff. Institutrice et directrice d'école maternelle en centre-Bretagne ( Motreff et Carhaix) puis à Quimper jusqu'en 2000. Elle a été professeur des écoles à Ergué-Gabéric, près de Quimper, de 2003 à 2015. Elle se consacre à l'écriture depuis 2015.

http://wikipedia.org

 

 

 

10 avril 2022

Poèmes pour l'amitié (8)

Poèmes pour l'amitié (8)

Lucien Wasselin

 

Les poètes aujourd'hui partent sur la pointe des pieds sans faire pllus de bruit qu'une feuille morte qui touche le sol. C'est ainsi que Lucien Wasselin nous a quittés. Il est mort le 11 février 2022 et nous ne l'avons appris qu'il y a quelques jours. Il a vécu toute sa vie dans le Nord, ma région d'enfance et, du fait de sa maladie, il était venu en Bretagne il y a quelque temps, comme moi. C'était simplement un vrai poète généreux et attentif. En révolte contre le profond désordre de ce monde. Etre poète c'est être rebelle et révolté, c'est vouloir retrouver la vraie dignité du monde sous le fatras de l'ignoble. Lucien était de ce combat et il savait combattre aussi avec sa plume pour ses amis poètes, pour défendre et faire connaître leurs livres. Il avait un jour "décidé/ d'allumer le flambeau: dans l'obscure circonférence de notre esprit". C'est cela aussi, fondamentalement, la poésie.

Grande tristessse et remords, j'ai trop peu échangé avec Lucien pourtant si ouvert et fraternel. Les amitiés manquées (comme on manque un train...) sont des douleurs que seule notre propre mort apaise.

Que l'œuvre de Lucien reçoive désormais la belle amitié des lecteurs qui prendront ce temps précieux de le lire.

On lira, après un de mes textes issus du Au nom de la terre, des poèmes de Lucien publiés dans mon anthologie subjective. Puis en lien l'hommage rendu par l'amie Marie-Josée Christien sur ABP ainsi que ceux rendus sur Décharge et Texture les amis de Michel Baglin. 

 

 

Le peuple de la terre

 

On l’appelait le peuple de la terre

Mais le plus souvent on ne l’appelait pas

 

Tant il fallait se pencher pour trouver un nom

A ce peuple sans gloire

A ce peuple courbé

Enraciné là

 

Le peuple de la terre

L’humble

 

Ces hommes ces femmes

Les très bas

Toujours à hauteur de ce sol

Qui les avait vus naître

Et n’être que si peu

Au regard de ces puissants

qu’ils nourrissaient

 

Peuple de ces yeux scrutant toujours le ciel

En attente d’une éclaircie ou d’une pluie

 

Le peuple de la terre

Au plus près de la mort

Pour donner la vie

Au plus près de l’humus

Au plus près de l’humain

 

Peuple de mains rudes

Dans le rythme exact des saisons

Peuple de patience et de consentement

Peuple du pays et du paysage

Qu’il dessinait inlassablement 

 

Les très bas

Les atterrés

Guy Allix, Au nom de la terre, Les Editions Sauvages, 2018

 

***

 

Poèmes de Lucien Wasselin

 

L'obscure circonférence

 à Ladislas Kijno 

 

alors puisque la lumière

reste à créer dans les fourrés matinaux

et que s'envolent d'improbables oiseaux

vers ce qui nous dépasse

 

alors que dans nos mains

brûle une lumière que nous protégeons

par la grâce du souffle fragile

 

et qu'à jamais nous plongeons

vers la connaissance sans cesse reculée

occultée méprisée par les marchands du temple

 

nous avons décidé

d'allumer le flambeau

dans l'obscure circonférence de notre esprit

***

 

C.C.C.P.

  

c'était au temps de l'Union Soviétique. il voulait oublier (et faire oublier) ses origines. il roulait en voiture de luxe. il était directeur d'école. il était propre sur lui : costume trois pièces, chemise blanche et cravate à toute heure. sa femme blonde, décolorée à souhait, était coiffeuse à son compte. il était membre de la jeune chambre économique. il était candidat de droite aux élections locales. il avait des ambitions. il n'était pas antipathique. il était fier de son fils : il lui avait acheté un tee-shirt superbe, non  pas celui avec la tête romantique du Che, ni celui avec une étoile rouge... non, un  autre, très sobre, avec une simple inscription, C.C.C.P. sur fond noir, sans la faucille, sans le marteau. une réclame pour les chèques postaux, en quelque sorte. un rien sarcastique, je lui fis remarquer que ces lettres cyrilliques signifiaient U.R.S.S. mais je n'eus pas la cruauté de lui citer Front Rouge, le poème d'Aragon: Vous avez vu / les grèves du Nord / Je connais Berck et Paris Plage / Mais non les grèves S.S.S.R. / S.S.S.R. S.S.S.R. S.S.S.R. le lendemain, son fils fut privé de tee-shirt.

Lucien Wasselin

 

 

Décès du poète et critique Lucien Wasselin

C'est avec une grande tristesse que j'apprends par la revue numérique Texture que le poète critique Lucien Wasselin est décédé le 3 février à Plérin où il vivait depuis quelques années.

https://abp.bzh

 

 

Décharge - Lucien Wasselin (1945 - 2022)

La route inconnue : l'émission de Christophe Jubien sur Radio Grandciel. Décharge en est partenaire. Chroniques de Jacques Morin et de Louis Dubost, en alternance avec Claude Vercey, , tous les quinze jours. Le site de Renaud : pour découvrir les autres travaux du concepteur de notre site.

https://www.dechargelarevue.com



LUCIEN WASSELIN (1945 - 2022) - TEXTURE Les amis de Michel Baglin

Lucien WASSELIN (1945 - 2022) " Du soleil ou de la nuit / s'en fout la mort " Adhérent de la première heure à notre association, Lucien Wasselin nous a quittés. Il était l'un des proches de Michel et son collaborateur le plus prolixe à Texture où il donna...

http://textureamb.over-blog.com



  

 

30 mars 2022

Poèmes pour l'amitié (7)

Poèmes pour l'amitié (7)

Fadwa Souleimane

 

Simplement en souvenir d'une autre résistante, sublime, dans une autre guerre, dans une autre... boucherie quand Fadwa Souleimane ne réclamait que la justice et la liberté pour son peuple, et ce dans la non violence et dans une revendication laïque. Fadwa et son courage inaltérable. Son courage jusqu'au bout de la vie. Que ses poèmes puissent s'entendre jusqu'à une autre terre martyrisée.

 

 

A mes amis syriens de l’été 2001

Et à Fadwa Souleimane, in memoriam

 

Il y avait votre rire. Il y avait votre joie. Il y avait votre amitié. Et cette chanson de la France qui passait les frontières. Vous me disiez : viens chez nous, viens voir notre beau pays, plein de fête et de rire et de joie. Plein de fraternité !

 

Mes amis d’un été. Mes beaux témoins de la rencontre d’un amour. Avec vous on rêvait d’un pays. On rêvait d’une terre et la terre était belle à vos pieds, gonflée de ce rêve même. De votre chaude poignée de main.

 

C’était avant tous ces morts. Tant plus de morts qu’on n’ose les compter.

 

Je ne sais si vous êtes là encore mais vos rires et vos chansons se sont éteints et gisent eux-mêmes comme des morts. Et vous-mêmes, peut-être poussière déjà pour certains ou pourriture sous les bombes de la pourriture immonde qui vous assassine.

 

Aujourd’hui, mon poème a mal à la poésie qui crie, se révolte, mais ne peut rien faire d’autre que témoigner et s’insurger encore contre l’infâme et la haine.

 

Et rêver encore et toujours un pays comme en rêvait celle-là même qui s’est tue après s’être tant battue. Et tisser une terre enfin belle à nos pieds comme en rêvait Fadwa.

 

Belle par-dessus tous ces morts, tous vos morts, par-dessus vous et avec vous.

 Guy Allix

 

Paru dans 50 Poètes Sémaphoriques, anthologie de l amaison de poésie du pays de Quimperlé, 2017

(texte commencé en 2013 et réécrit après la mort de Fadwa Suleimane le 17 août 2017)

 

***

Nuit

Dans l’obscurité éblouissante

mon visage est un charbon en fleurs

dans la blessure de la mémoire

et ma mémoire

est faite des villes qui meurent

effacées

par le déversement du temps dans un autre temps

Dans l’obscurité éblouissante

ma main droite est un pont formé des têtes de mes amis

et ma main gauche de forêts de bras coupés

qui continuent à réclamer la paix

dans l’obscurité éblouissante

Mon dernier souffle comme la chute de l’argent sur les villes

de cendres endormies brûlant

de Rome à la Palestine

d’Hitler à Daech

Fadwa Souleimane, Dans l'obscurité éblouissante, Al Manar, traduction de l'arabe par Sali El Jam, 2017

 

La fille s’enfuit
de la fenêtre donnant sur un nuage bleu
comme les rêves d’un enfant qui dort au sein de Dax

Damas
attend le retour de la fille dans la vieille maison

une paume comme le secret du jardin du Petit Escalère
un visage comme une paume de la maîtresse de la mort

La fille viendra avec ses cheveux de nuit
ô nuit longue ô fille

la fille viendra avec sa blessure qui enfantera
ô enfant malheureux ma fille
à la vieille maison la fille viendra

sa fenêtre donne sur des nuages semblables au rêve d’un
enfant à naître
qui est encore caché au sein de Dax

Fadwa Souleimane, Dans l'obscurité éblouissante, Al Manar, traduction de l'arabe par Sali El Jam, 2017

 

 

 

 

Fadwa Souleimane - Wikipédia

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre. Fadwa Souleimane en 2003. Fadwa Souleimane (également transcrit comme Fadwa Suleiman ou Fadwa Soliman ; en arabe : فدوى سليمان) est une actrice syrienne alaouite, militante et poétesse, née le à Alep et morte le , , à Paris.

http://wikipedia.org

 

 

20 mars 2022

poèmes pour l'amitié (6)

Poèmes pour l'amitié (6)

 

Comme je ne suis pas doué pour les rendez-vous réguliers et pour la... ponctualité, j'enlève le mot "dimanche" du titre de cette rubrique régulière. Après tout, très longtemps, trop longtemps, j'ai haï les dimanches moi aussi, ces jours d'aliénation.

Ce sera donc juste un rendez-vous pour l'amitié, qui est l'un des mots les plus importants de ma vie. Et j'ai toujours considéré que les poèmes étaient des mots d'amitié.

Oui, l'amitié ! Ce phare dont on m'a trop longtemps écarté. Il y a les amis qu'on a rencontrés, les amis pour toujours qui tiennent chaud au cœur et vous retiennent la main quand vous êtes prêt à tomber dans le vide. Et puis il y a les amis inconnus, ceux que l'on a ratés et qui vous tiennent la main par les mots. Loïc Herry est en quelque sorte cet ami pour moi, c'est un remords aussi. Nous nous sommes peut-être croisés à la fac de Caen dans les années 70 mais, étudiant salarié pendant toutes mes études et habitant loin de Caen j'y étais dispensé d'assiduité et finalement très peu... assidu. Je n'ai jamais rencontré Loïc. J'avais bien lu Eclats paru chez Motus il y a longtemps mais c'était tout. Et puis si je n'ai pas rencontré Loïc, j'ai eu la chance, merveilleuse, de rencontrer un jour Nelly et Guy Herry, ses parents si généreux, si forts, si aimants. Je pense toujours à eux avec beaucoup d'émotion. C'était à cherbourg où ils habitent. Et il était trop tard pour rencontrer le fils. Il était décédé très jeune d'un cancer et avait laissé, pour seul héritage, tous ses poèmes, la plupart non publiés encore, dans son ordinateur. Alors Nelly et Guy se sont appliqués à faire vivre cette part du fils. Avec une ferveur rare, ils ont rassemblé les poèmes de Loïc et cherché des éditeurs. Aujourd'hui Loïc Herry est un poète reconnu par les amis de la poésie, une voix forte et authentique. J'ose dire : un poète VIVANT. 

Le 28 février, Nelly et Guy m'ont fait parvenir, suite à mes "poèmes pour l'amitié (2)" ce texte de Loïc en prise avec une certaine actualité et le lourd souvenir d'une autre invasion. J'ai décidé très vite de le publier ici après mon poème, simplement, en complicité avec mes amis Nelly et Guy et pour que vive toujours plus la voix de Loïc.    

 

 

Patience de la terre

 

Juste une poignée de terre

Et un peu d’eau

Juste une poignée terraquée

Et tu attends

Que germent les premiers mots

Entre tes doigts

Dans le silence recueilli de cette main

Qui consent à l’humus

A ce cycle terrible

Où toute vie est terrassée

Pour que renaisse le vivant

Guy Allix, Au nom de la terre, Les Editions Sauvages, 2018

 

***

 

Prague

 

16 janvier 1969, Jan Palach.
Les tanks écrasent des fleurs qui brûlent, les tanks étouffent la ville baroque, les camarades tankistes regardent ailleurs et se bouchent les oreilles.
Karl Marx étrangle Karl Marx.
16 janvier 1969, Jan Palach brûle, Jan Palach brûle.

Un frisson court sur l’échine de l’Europe. En sommes-nous là ? Un drapeau rouge pantèle ; on ne sait plus comment le regarder. Wenceslas fut assassiné par son frère.


16 janvier 1969, Prague cambre ses ponts au-dessus de la Moldau, toute la Bohème respire dans les verticales élancées. Un jeune homme aux vêtements imbibés d’essence craque une allumette sous la statue de saint Wenceslas.


16 janvier 1969, une torche roule sous les yeux horrifiés de l’Europe. Jan Palach, Jan Palach brûle. 

Loïc Herry, Parmi l’écume inconnue III (recueil inédit)

 

Il n'y a pas d'extrêmité

Il n'y que l'absence

Et ça commence tôt.

Loïc Herry

 

Loïc Herry

2014, Hélène Cixous : "Nous n'oublierons jamais Loïc..." Le 30 août 2021, 9ème parution, 8 poèmes de jeunesse retrouvés et publiés par Françoise Favretto, éditions de l'agneau. Cliquer sur RECUEILS Lisez aussi la critique éclairante, étonnante de par sa précision, de Fattorius, sur Babelio.com 2 émissions radio de poésie sur Loïc HERRY - juin et octobre 2017 : Retrouvez les deux émissions sur Radio Alliance plus en cliquant sur ce lien.

http://loicherry.fr