Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Guy Allix, poète
Guy Allix, poète
Pages

Vierge Marais, D. Guenet

Préface de Vierge Marais de Daniel Guernet

(L’atelier du café livres, 2005)

 

 

A commander chez l'auteur :

 

Daniel Guernet, 42, rue d'Ickey, 5200 Coutances

 

prix : 19 euros

 

Contact :  danielguernet@orange.fr

 

 

De l'autre côté du miroir...

À l'origine, une chanson de Daniel Guernet, chanson qui d'ailleurs ponctue ce livre de ses couplets :

« Une procession s'avance

Dans le plus profond silence

Ils s'en vont pour la brûler

C'est la vierge des marais. »

 

 

On pourrait aussi penser à une autre chanson célèbre : Dans l'eau de la claire fontaine / Elle se baignait toute nue... ». Et au bout du compte (conte?) ce livre, baroque, est-­il bien un roman ? Oui, quand baroque est justement le roman qui sait se jouer de tous les pièges comme pour mieux posséder le lecteur.

 

 

On se laisse peu à peu « prendre » justement dans ce « vierge marais » comme dans des sables mouvants. On se laisse prendre dans ces sables « qui se répandent alentour » et qui « en savent beaucoup plus... ». Qui en savent trop.

 

 

Un personnage (une vierge bien sûr : Isa...) apparaît dès les premières pages pour disparaître ensuite, elle aussi, dans les sables (à moins que ce ne soit elle, vas-y-voir, qui apparaisse encore vers le milieu du livre en compagnie d'une autre adolescente, « arpentant l'ennui » pour bouleverser le narrateur vers l'aveu). Et personne ne saura pour elle non plus, si ce n'est elle-même qui devine, résignée, le sort qui lui est assigné.

 

 

D'autres personnages se retrouvent tout au long du roman : Vazivoir qui « connaît les sables » et qui embrasse toutes les femmes qu’il peut ; Musaresse, le père Faudais, Argentine et son frère Fine Gachette - qui tous deux s'adonnent à la passion des mouches -. On aurait plaisir aussi à citer pour le bonheur des noms : le loquedu, le clone, pied'bancelle, bec à fioul; le cuirot... à peine entrevus... Chacun est peint en quelques touches même si les secrets se donnent à lire et si, par ailleurs, l'ensemble dresse un tissage sociologique assez serré de la vie d'un village de campagne. Une campagne dépossédée, aliénée qui voit « la gronde débâcle des valeurs paysannes balayées par le productivisme »... et la T.V. On sent pointer aussi ici et là un certain mépris chez le narrateur. Les portraits- des types quasiment - sont esquissés mais sans complaisance. Comme est sans complaisance la description du lieu, Salen :

« C'est un village d'autrefois, assez tristounet, pétrifié, goudronné, pas attachant pour deux sous, bâti de bric et de broc, avec beaucoup de maisons mastoc, dont très peu sont complices, et qui ne mérite pas la moindre carte postale...

 

 

Tout juste mérite-t-il un livre.., et quel livre !

 

 

Mais ces personnages, comme le lieu, sont ensuite comme livrés au livre avec leurs mystères. La narration les frôle, frôle ces « agrestes », les laisse à leur « sort ». La « narration », car on a du mal ici à bien identifier, au départ, un narrateur... Celui-ci d'abord omniscient ne se dévoilera en effet que dans la dernière partie du livre quand tout sera définitivement consommé ou consumé.

 

 

Quant à l’histoire, elle commence et s'arrête à une empreinte - virginale ou diabolique ? - qui enflammera les esprits jusqu'au crime. L'empreinte d'un pied, comme une écriture de désir, un passage vivant sur la terre des hommes. Rien ou presque... comme toutes les machineries fatales (ces « machines (qui) anticipent simplement sur l'inéluctable »). On pourrait évoquer Flaubert qui voulait écrire un livre sur rien, se tenant par la seule puissance de son style. On peut évoquer aussi les récits fantastiques d'un Maupassant ou les histoires de sorcellerie d'un Louis Costel, grand ethnologue lui aussi de notre « ruralité » et des mystères dont elle accouche. Le procès en sorcellerie de Carentan, dont Costel a fait l'objet d'un livre fameux, est d'ailleurs évoqué comme un signe de complicité avec ce dernier, mais l'ensemble du roman, avec notamment ce long « délire métaphysique » du narrateur, nous montre que nous sommes là devant un univers d'une grande singularité : l'univers d'un écrivain unique qui sait jouer de son instrument sur tous les tons. Même et surtout celui de l'humour (n'est-ce pas Faudais ?).

 

 

On notera aussi et surtout ce passage - dans tous les sens - d'un enfant d'une beauté fascinante vers la fin du livre, enfant qui rappelle un moulage mystérieux du café d'Argen­tier (moulage qui fait lui-même pendant à l'empreinte du pied de la Vierge Marais)... Là encore, il s'agit d'un personnage - dont le sexe reste, lui aussi, une énigme... - qui « sait » jus­qu'aux sables :

« Depuis le temps qu'ils sont là, les kilos joufflus de ce moulage [ ...] en savent certainement plus que les gens d'armes de la contrée.

Cette liseuse très mystérieuse, penchée sur d'incroyables prédictions, parlera-t-elle un jour ? Quand elle aura fini de lire. ».

 

 

Cette « liseuse mystérieuse » en sait décidément plus que nous n'en saurons jamais sur ce livre même, que nous soyons gens d'armes ou gens de lettres.

 

 

Et puis-et puis justement... ou enfin- il y a Croquevieille, que d'aucuns appellent « Croquejeune », tout à la fois lubri­que, « maître de caresse » et mystérieux. Bien plus qu'un personnage, il note, consigne, pour un livre futur... Ce Croque­vieille chevauche l'histoire comme il chevauche ses montures. Il nous entraîne au grand galop vers la chute finale. À travers ce maillage, cette mince histoire, ce « dossier » quasi ethnologique, à travers même la création ou la respiration du monde (Bang ! Crunch ! Bang ! Crunch !...). À travers cette mince histoire aussi mystérieuse que la création-respiration du monde. Oui, alors « comment savoir » quand après tout « la plus belle fille elle-même est une imposture », quand tout, et le langage lui-même, nous prend et nous perd tout à la fois ? Nous savons juste, comme Croquevieille, que « nous sommes quelque part, dans la plus infime fraction du temps. ». Que nous sommes quelque part dans ce roman qui nous interpelle au plus secret, de l'autre côté du miroir, soit de l'autre côté des sables. Croquevieille en sait, lui, plus encore que les sables, en saura plus tout au moins quand il retrouvera le « pays des particules », quand il aura accompli totalement cette révolution, cette seule opération magique du livre, autre alchimie du verbe : la transmutation du « il » en «je ». La transmutation aussi de ce sable du Tortillon en miroir - ou de Daniel Guernet en véritable et merveilleux sourcier de la lit­térature… -      

 

 

Quand chaque lecteur se retrouve aussi dans cette trame, comme l'origine. A l'origine d'une chanson. A l'origine de la vie même qui passe comme un livre laissant à jamais son empreinte de pas, son passage et son mystère... A la fin d'une énigme qui n'aurait pas de fin.

 

 

Guy Allix

 

Guy Allix, poète
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 72 779