Le visage sous la voix (préface)
Le visage sous la voix
Visages de poésie, par Jacques Basse, tôme 2e
J’aime la présence d’un visage. Oui, on aura beau me dire que l’essentiel est dans la voix qui me semble plus à prendre en compte effectivement que « l’écriture », il me faut quand même un visage sous (ou à la source de) cette voix. J’imagine mal lire Les Illuminations sans ces portraits qui ont donné à voir l’adolescent aux semelles de vent. Je n’embrasse l’aube d’été qu’avec Le coin de table de Fantin Latour, avec ce voyant qui me regarde intensément derrière la toile comme il le fait « du fond de son secret » (Jean-Luc Steinmetz) en tel tableau de Jef Rosman, après que le pauvre Lélian lui a tiré dessus. Et j’avoue qu’il me manque vraiment, le portait de l’aède, quand je lis L’Odyssée. Malgré la splendeur des mots, son aurore aux doigts de rose peut se perdre parfois au loin dans un soleil déclinant… et sec.
On pourra me dire que c’est là pur fétichisme. Qu’importe. Après tout les amoureux de la poésie sont fétichistes qui cherchent des envois des poètes qu’ils aiment et peuvent se ruiner pour un simple manuscrit d’une pièce pourtant secondaire. Pour moi donc, je cherche des visages et ces derniers souvent relancent, voire enrichissent ma lecture.
Livrer les visages des poètes, c’est vraiment les donner à lire. Du reste on les connaît de moins en moins, ces visages, puisque l’époque délaisse les vrais créateurs pour d’insipides idoles. Quand les noms mêmes sont occultés, que reste-t-il de la lumière d’un regard pour le passant toujours pressé de ce nouveau siècle déjà en fuite ?... Viennent donc à nous de multiples portraits de poètes dressés comme un rempart contre l’ignoble bêtise !
Mais le portrait ne saurait s’arrêter au cliché photographique qui sert pourtant d’appui au travail de Jacques. On sait que les poètes, quand bien même ils purent parfois contribuer notablement, comme Charles Cros, à la photographie, n’apprécient guère les clichés et leur préfèrent de loin les images.
C’est cela que sait nous restituer Jacques Basse : une « image source », à l’origine du fleuve de la voix, une image d’avant le cliché. Il me plaît ainsi de découvrir le visage de Vargaftig où je retrouve la torture d’une exigeante syntaxe. Je découvre Dominique Sorrente de face et de profil ; je dirais en gravité et en sourire comme en ses mots. Cela, aussi, va me permettre d’autres lectures. Je crois entendre, dans un surprenant portrait, Jean-Philippe Gonot, que pourtant je ne connais pas. J’ose penser que le jour où je lirai ses poèmes, je reconnaîtrai aussitôt l’auteur. L’ami Dominique Daguet n’avait visiblement plus de photo récente à fournir à Jacques… mais celui-ci le recrée tel que l’éternité à jamais le change. Comme chez Rimbaud, c’est le regard qui m’attire chez un Jean-Pierre Luminet et me fait graviter autour de ses mots : oui celui-là est toujours la tête dans les étoiles et il leur sourit visiblement, ainsi qu’à d’aimables messagères d’une enfance du monde. Jean L’Anselme a toujours cette saine impertinence et regarde, lui qui se dit « con comme la lune », le soleil bien en face, du haut de ses quatre fois et demi vingt ans. Je découvre une autre Béatrice Libert que celle que j’ai croisée et le visage de Christophe Dauphin, bien que rencontré plusieurs fois, me replonge dans les rets du Gant perdu de l’imaginaire.
François Laur écrit assez justement dans une dédicace que Jacques Basse est un « faiseur de visages », visages qu’on « ne verrait pas sans lui ». C’est on ne peut plus juste. Car il ne faut pas croire que Jacques se contente, avec une technique des plus assurées, de reproduire fidèlement le cliché qu’on lui a donné et d’en rendre ainsi par le fusain chaque pixel. Ce serait se tromper lourdement. Là encore j’insiste : il part du cliché et arrive, nourri sans nul doute par son attentive lecture, à cette image d’avant le cliché, à cette image proprement fondatrice. C’est là un critique à sa manière qui revisite par son fusain les mots du poème, façonnant chaque portrait marqué du coin de leur impérieuse nécessité. C’est là surtout un « faiseur » au sens noble du terme, un créateur et donc, pour reprendre l’origine grecque du terme, un poète.
Merci donc à toi Jacques de redonner voix et vie à tous ces poètes. Merci de nous livrer ces vrais visages. De nous conduire ainsi au seuil des mots essentiels.
Guy Allix, 13 juillet 2009
Voir les portraits dédicacés de Jacques basse :
Vous retrouverez ce texte en préface de Visages de poésie, anthologie tome 2, portraits crayon et poèmes dédicacés, éditions Rafaël de Surtis. Un fort bel ouvrage contenant pas moins de 100 poètes de Jean-Michel Adde à Lucien Wasselin avec pour chacun un texte, parfois manuscrit, une bio-bibliographie et un superbe portrait exécuté par Jacques Basse.
Prix 25 Euros
Éditions RAFAEL DE SURTIS
7, Rue St Michel
81170 CORDES SUR CIEL
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