El Desarrelat
C'est entre " fureur " et " mystère " que René Char " habitait une douleur ". C'est entre silence et fureur " que Guy Allix avoue " être une douleur au monde ". Les nuances ont leur poids. Si le mystère recouvre et occulte à coup sûr un arrière plan, il petit n'y avoir derrière du silence qu'un infini de silence. Si "habiter" implique pour un sujet souverain la possibilité de choisir un autre lieu, < être " est un état aussi unique qu'irrémédiable. Ainsi s'explique l'écriture rageuse d'un " déraciné " qui tente de reprendre pied par les mots dans toutes les continuités dont il se sent exclu: celle de la mémoire, celle de la vie, celle du monde, celle du langage. Entreprise épuisante, où l'haleine se raccourcit, où les mots griffent la page : rarement le poème parvient à dépasser quelques vers, et tout s'achèvera dans la dernière partie en notules qui avouent définitivement "le non-là ", tout en poursuivant leur proclamation têtue, puisque le "cri" a le dernier mot, conjugué avec la perte d'ailleurs : "Où mieux s'égarer que dans le cri ?"
Car le dire n'est pas un état stable : c'est une frontière. Derrière lui, un territoire qui paraît à la fois riche, plein et inaccessible, matière de mémoire et matière de rêve, à la fois fascinant et interdit, nous-mêmes et l'autre de nous. Devant, le vertige de l'ouvert, de l'avenir, de la dispersion, de la perte, et finalement, de la mort. Entre les deux, un mouvement, celui de l'écriture et celui de la vie : " Tu te précipites à mots perdus dans l'épreuve de vivre ". Car la mémoire ne s'explore pas, elle s'" explose ", et c'est toujours " au bord du temps " que se tient le veilleur, comme Madeleine à la veilleuse (encore une réminiscence de Char). Si "le temps reflue jusqu'à sa source ", c'est pour mieux "fulgurer" et "étonner ", et les "pas" retrouvés du passé se disent par le même mot que la négation. Même Rennes, la ville du passé et de la jeunesse, est moins une archéologie du moi qu'un lieu un peu plus amicalement offert à une investigation totalement incertaine de ses buts, "espace lucide ouvert par un nom ". Si ses rues lui ont appris à "marcher sa voix ", il lui faut bien reconnaître qu' "à pas comptés ses mots passaient" : toujours la négation dont on se rend compte qu'elle envahit aussi le verbe " pas-ser. "
Ce qui doit donc être valorisé, c'est ce qui vit dans la légèreté du passage, et singulièrement le regard et le souffle. Ces deux mots sont omniprésents dans les poèmes de Guy Allix. Le regard " coule la fragilité ", il " se dissout sous l'aisselle du temps ", il sait même « écrire son nom ». Il ne pèse ni ne pose, il s'alimente de la nouveauté, il ne fait qu'accueillir. Ainsi sa légèreté l'apparente-t-elle naturellement au souffle, qui serait en quelque sorte son retour, l'expression de son impression : " Trouver le lieu du souffle. La posture essentielle. Le rythme éphémère a deux pas des paupières ". Dans sa brièveté répétée, dans ses oscillations d'accueil et de très brèves méditations, le battement de paupières a ainsi à voir avec le rythme fondamental, celui sur lequel il faudrait vivre et écrire, le rythme du souffle. Les instants qu'il découpe sont les "moments propices d'une irruption de vivre, d'une éclosion de souffle ". Et "écrire le poème ", c'est "consacrer le vivant du souffle à l'essentiel de l'effort ". Les mots "vie" et "vivre" reviennent sans cesse : la poésie n'est pas chose définitive, mots tracés une fois pour toutes sur un papier qui les accueille et les recueille (ainsi parle-t-on du recueil de poèmes). Le souffle est un fragile véhicule où les mots mal arrimés tremblent et s'effilochent au passage, accrochent ce qu'ils rencontrent, et de ces accidents naissent des rêves nouveaux portés par des mots inconnus. Ainsi s'émerveille le poète, se tutoyant comme un autre lui-même advenu dans les à-peu-près de son langage : tes mots ne t'échappent pas, ils "t'écharpent par tout le corps" ; "ici où ta vie l'étrange ", "ton souffle s'étrangle / Sur le bord cassant d'un rêve ". Bords qui sont aussi, un autre poème le dira, les "bords de la tendresse ".
Car il ne s'agit pas de perdre le monde, mais de le trouver enfin, dans un contact plus tendre. Le trouver, ou le pressentir: cette poésie arrachée n'est pas celle de l'adhésion ni de la confiance. Mais son " effort de vivre ", c'est tout de même de "rapprocher les mots de la terre ", de leur faire reprendre corps, de rétablir le contact entre la peau du moi et la peau du monde. Dans les moments de grâce, le "paysage" ou le "lieu" sont vécus comme une "étreinte" par celui qui a " mal au ventre de la terre ". Douleurs bénéfiques et fulgurantes ou effleurements sitôt envolés qu'apparus, sentiments poignant de réalité qui ne durent que le passage d'un mot, la brièveté du les accueille et les ente. Par la proximité du mot "rosée" et du mot "rose ", "une odeur t'accroche à la terre ". Ecrire, c'est se re-situer dans le monde : "Le poème t'avance dans un autre lieu ", et le souffle qui le porte apparaît comme "ton seul pays au-dedans de ton corps étonné ". Fragilité définitive : dans " étonné" se pressent le tonnerre de la déflagration prochaine. La chance de la poésie, qui lui permet simultanément de "dire, ne plus dire ", est qu'elle n'est pas tenue d'être conclusive. Tout ce livre soigneusement construit et implacablement conduit est hérissé de protestations, d'efforts, que trouent les repos de brèves conquêtes, son unité est tension entre des poèmes, entre des mots qui à la fois font entendre un "appel ultime" et "me séparent, me confondent ". Mais ce lieu de résonances est le seul vivable, nous en avons été avertis : " Sans échos il n'y aura que le souffle blême / De la mort ".
Jean-Yves DEBREUILLE, préface de El Desarellat (Editions Liquens, Barcelone)
EL DESARRELAT
de Guy Allix
Gabriel Vinyals
No és sense una gran joia que cal celebrar l'edició d'aquest llibre de poemes de Guy Allix. I cal fer-ho per un triple motiu: primer, pel coratge que significa la publicació, per primera vegada, d'un dels poetes més interessants --però menys coneguts-- de la "nova poesia" francesa; segon, perquè els poemes se'ns presenten en una molt bona traducció catalana, deguda a Miquel Edo. I, "last but not least", perquè amb aquest llibre s'inicia una nova col.lecció, "Líquens" dedicada a l'edició de textos poètics.
Des del divuit anys, Guy Allix (Douai, 1953) va triar de ser poeta. Primer les influències dels "chansoniers" (Brassens, Brel) i després les de la gran tradició poètica francesa (Char, Eluard, Rimbaud) van ajudar a refermar una vocació i un discurs cada cop més serrat vers la contenció de la paraula: escriure "tot allò que cal per dir". La tensió paraula-silenci ha generat una obra d'una intensitat lírica poc freqüent i d'una singular precisió, recollida fins avui, en nou llibres, gairebé tots editats a Rougerie. "On escriure quan les teves arrels ja no tenen nom?", "Allò que s'escola entre els mots: la vida empesa a viure", "Deixa que els mots et roseguin i et tenallin", són versos/poema, banderes d'una escriptura que no acaba en els mots plantats damunt del paper, sinó que continua molt més enllà, en una tasca continuada de difusió de la Poesia.
La traducció, dèiem, és un element a tenir molt en compte. No és fàcil traslladar l'idioma precís del poeta, fràgil i consistent alhora, i Miquel Edo aconsegueix que els versos llisquin damunt el català com si aquesta hagués estat la seva llengua original.
Finalment, cal saludar la generosa iniciativa d'aquests "Líquens" tan pulcrament presentats i que, tal com diu la solapa del primer llibre, "neixen amb la vocació reservada i exclusiva de la plana sbarbariana, guiats pel propòsit d'acostar al lector català poetes moderns de llengua romànica àmpliament aplaudits a llur país d'origen, però encara poc llegits a casa nostra". El mateix Miquel Edo i Joan Maluquer dirigeixen la col.lecció. Dues remarques, encara: els títols en preparació, Diari d'Argèlia, de Vittorio Sereni, Dia d'avui, de Jean Follain, Versos per a la Dina, de Camillo Sbarbaro, Dels jocs d'hivern, d'António Franco Alexandre, i El foc és un cementiri, d'Ives Roqueta, i el fet que l'editorial neix fora de Barcelona, a Cabrera de Mar, al Maresme. Ja s'ha dit moltes vegades que les iniciatives més creatives --curt i ras, les iniciatives-- en favor de la poesia vénen de fora de la capital, on el joc de poders i de contrapoders només són capaços de generar literatura consumista i/o iniciatives editorials poètiques sense cap risc.
© Gabriel Vinyals
Dos poemes d’El desarrelat
de Guy Allix
Traducció: Miquel Edo
Il n’y a plus d’amour
Que le mot même
Que le mot même d’amour
Le même mot d’aimer
Une main qui tiraille l’écorce
Isurge le voeu
Caresse la mémoire
Une femme engloutie
Dans la pose toujours là
D’un rêve épars
Rempart irrépressible et le souffle d’un nom
Ombre tressée émoi
Le mot même
Quand tu n’aimes plus que le mot
Et ne sais que dire
Il n’y a plus d’amour
Que le mot même d’amour
Qui t’aime
Ja no hi ha més amor
Que el mateix mot
Que el mateix mot amor
El mateix mot amar
Una mà que estira l’escorça
Atia l’anhel
Acarona la memòria
Una dona sumida
En el posat permanent
D’un somni dispers
Baluard irreprimible i el xiu-xiu d’un nom
Ombra trenada trasbals
El mateix mot
Quan ja no estimes sinó el mot
I no saps sinó dir
Ja no hi ha més amor
Que el mateix mot amor
Que t’ama
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MADELEINE À LA VEILLEUSE
Vainement ton visage sur le bord du temps
Presqu’une larme se déchire
Tu ne peux regarder plus loin
Que l’espace incessant de cette mort
Qui te frôle et t’enserre
et te lie au monde
LA MAGDALENA DEL GRESOL
Debades el teu rostre a la ratlla del temps
Gairebé s’esquinça una llàgrima
No pots mirar més enllà
De l’espai incessant d’aquesta mort
Que et frega i t’empresona
i et lliga al món.
© Guy Allix
Traducció:© Miquel Edo
ressenya d'El desarrelat