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Guy Allix, poète
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Janladrou : l'initiale

Retour à l’initiale

"L'éternité ne dure pas trop" in "Épreuve n° 1"

 C’est là le dernier avatar, la dernière mue-vue en date de l’œuvre polymorphe de Janladrou : depuis quelques années, il campe sur (ou sous…) le "a" jaune, il n’en démord pas... "a" jaune : une seule lettre, une seule couleur, on ne peut aller plus avant dans le minimalisme ou, plus justement, dans ce que j’appellerais le dénuement de l’anachorète. J’oserais dire, et j’insisterai par ailleurs sur ce point, qu’il s’agit là d’une peinture ermite… Découvrir alors les mille nuances de cette couleur, comme les mille formes de cette lettre « a » qui semble tout simplement déclinée : c’est là comme un parcours initiatique et l'œuvre se love dans cette « orijaune ». 


Le jaune justement n’est pas « un », c’est une couleur singulièrement duelle. C'est incontestablement la lumière portée à son paroxysme, celle qui transmute le plomb du soleil en or de la récolte. Celle que rencontra un jour, et ce jusqu'à son terme, Van Gogh. Jaune jubilatoire, euphorique, du soleil et des champs de blé… mais jaune terriblement aride aussi : après tout, le jaune connote le désert lui-même ! Avec cette couleur duelle (est-­ce bien alors encore une couleur ?), avec cette unique lettre « originant » à jamais notre écrit (mais est-ce bien encore seulement une lettre ?), la surface, tout en s’accusant, se dénude et se dérobe : nous sommes comme pris, « lancinés », dans les mailles serrées et profondes d'un chant grégorien qui ne dirait pas son nom.


Et cela nous regarde bien sûr, car il nous regarde de déshabituer notre regard. C’est « a, l’œil » (titre d’un des derniers travaux de Jean) d’errer dans le désert originel dans « l’a, déchirure » même (autre titre…). Et c'est cela qui nous contemple simplement car ici le jeu de l'échange s'inverse quand le "je" devient cet espace circonscrit qui nous provoque dans cette polyphonie du monochrome, du monocorde. Nous rêvons alors d'un alphabet qui ne serait plus composé que de cette lettre "a" dans ses infinies variations certes mais surtout dans son tracé le plus rond, le plus à même d’être domestiqué et enrichi par Janladrou, de cette lettre "a" transgressée et portée àincandescence dans ce qui serait le premier jour du monde, dans la jubilation originelle, dans ce big bang avant le "b", quand le verbe sacré accouche de la lumière et du chant.

 

Oui, "le jour s'est fait" - titre d'un ancien travail de Janladrou - et il fuse littéralement de chacun de ces travaux comme d'un premier souffle. Ce "a" n'est-il pas l'âme du souffle, l'âme du verbe, l’âme de l'âme ? Car il y a bien plus, en dépit de ces apparences aussi trompeuses qu’une vanité (car quoiqu’on en dise et bien que toute référence religieuse « explicite » ne saurait ici prévaloir, il y a bien chez Janladrou, comme dans le tableau du XVIIème siècle, un regard porté de l’écrit sur ce qui fut la toile, une mise en abîme dans le miroir effacé du texte, fût-il réduit à ce « a » qui annone interminablement), il y a bien plus, dis-je, que ce que l’on pourrait considérer comme un arrêt ou une posture définitive ici. Il y a bien plus qu’un point de non retour puisque cette lettre et cette couleur ne signifient rien moins que le juste retour à  l’initiale même. Ce qui serait une autre manière, selon moi, de dire ce « juste doute » - titre d’un ancien travail de l’artiste - puisque rien n’est plus douteux que l’origine.

 


 

Oui, "le jour s'est fait" - titre d'un ancien travail de Janladrou - et il fuse littéralement de chacun de ces travaux comme d'un premier souffle. Ce "a" n'est-il pas l'âme du souffle, l'âme du verbe, l’âme de l'âme ? Car il y a bien plus, en dépit de ces apparences aussi trompeuses qu’une vanité (car quoiqu’on en dise et bien que toute référence religieuse « explicite » ne saurait ici prévaloir, il y a bien chez Janladrou, comme dans le tableau du XVIIème siècle, un regard porté de l’écrit sur ce qui fut la toile, une mise en abîme dans le miroir effacé du texte, fût-il réduit à ce « a » qui annone interminablement), il y a bien plus, dis-je, que ce que l’on pourrait considérer comme un arrêt ou une posture définitive ici. Il y a bien plus qu’un point de non retour puisque cette lettre et cette couleur ne signifient rien moins que le juste retour à  l’initiale même. Ce qui serait une autre manière, selon moi, de dire ce « juste doute » - titre d’un ancien travail de l’artiste - puisque rien n’est plus douteux que l’origine.

Comment commencer ? Voici incontestablement la question de l’œuvre qui, à peine prononcée, à peine exposée, pose l’œuvre elle-même comme une incessante, comme une lancinante interrogation. Tout se passe comme si Janladrou revenait là sur le lieu primal et ce en toute humilité bien sûr (on sait comme il répugne lui-même fort heureusement au commentaire, au discours, à l’exégèse). Il ne s’agit plus que de faire, défaire, ce qui va advenir, se démêler, se reproduire à l’infini. Il ne s’agit plus que de faire, défaire, ce qui est déjà advenu, démêlé, reproduit.

Ici et maintenant, tout simplement… Mais « le temps déborde ».

Au fond nous retrouvons, avec ce « a jaune » démultiplié, le signe même du travail de l’artiste qui, pas à pas, depuis la première empreinte, s’inscrit dans la duplication, dans le collage et le report. Ici la répétition fait son œuvre infinie et nous convoque. Ainsi la première lettre bégayante accouche, accouchera, a accouché, d’un alphabet qui dit plus et moins qu’elle. Une première lettre qui, s’incurvant en tant que signe, dit autre qu’elle-même et tout à la fois se montre comme monstre. Nostalgique toujours du premier cri porté au devant du monde.

Et le travail justement, par un retour subi, va s’effacer peu à peu comme le geste de peindre, devenu occulte, retiré au fin fond des parois les plus sombres, aux tréfonds de la grotte. On remarquera en effet l’obstination de l’artiste à effacer toute trace proprement picturale quand il fonde justement avec la trace de l’écrit,  la trace du « pas-sage », la trace de ce qui doit passer. Il ne cesse en effet de médiatiser les marques, de leur imposer une épaisseur qui, ainsi, ne laisse plus place qu’à la seule surface. De report en report, de collage en collage, de caviardage en caviardage, nous ne retrouvons plus le relief qui témoignerait en effet des multiples opérations. Dans l’« a-telier », qui prend alors son sens alchimique, le travail efface le travail. Le peintre s’emploie  à effacer la trace et, simultanément, à tracer l’effacement. Et même si l’artiste divulgue ses secrets de fabrique en toute simplicité, le mystère de la transmutation semble finalement bien gardé.

Autre chose semble s’être passé que nous ne saurons pas.


Cet effacement ira jusqu’à ces tirages numériques sur bâche où la couleur jaune elle-même s’atténue singulièrement. Passe elle aussi devant un spectateur de passage...

 

Il y a ainsi en cette surface, polie par les médiations multiples, un mystérieux miroir, comme une « lettre volée », un mystérieux miroir savamment dissimulé comme dans un tableau de Jan Van Eyck. Un mystérieux miroir qui, exposant la bâche numérique comme un nouveau leurre, nous expose à jamais à nous-mêmes.

Guy ALLIX, catalogue pur l'exposition Janladrou au Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô, 2008

 

 

 

On pourra voir la video de cette exposition sur le site suivant :

http://www.kewego.fr/video/iLyROoafYPEo.html

 

 

Coordonnées : Janladrou, 1, rue des Hauts Vents, Gavray 50450

 
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