Vingt ans !
Vingt ans
à Jean-Luc Maxence
Juin 1976 : un éditeur (ou plutôt un grand frère…) un peu fou, mais avec un immense talent, consacrait alors un dossier spécial de sa revue à un jeune poète complètement inconnu et qu'il avait osé publier à compte d'éditeur alors qu'il avait à peine vingt ans. Je lui avais envoyé un « article » qui n’était même pas dactylographié… Et il osait, le bougre, publier ce papier d’humeur fort inconvenant qui était écrit à la hache. 35 ans d'amitié sans faille, nous sommes restés tous deux d'une fidélité absolue et tant pis pour ceux qui ont pu se détourner de lui, cachant comme ils le pouvaient leur dette.
Malgré les excès et les raccourcis, j’envie désormais cette fougue que je semblais encore avoir à vingt-deux ans. Ironie du sort : c’est à l’heure même où je démissionnais de la vraie vie pour une existence qui n’était pas la mienne et qui, assurément, était une insulte à la poésie, que je jetais sur le papier cette ardeur et cette foi dans l’aventure de l’écriture. J'avais rencontré une femme que j'aimais, je me suis mis à travailler pour elle. Ce que fait un homme quand il sait aimer. Mais il n'était pas nécessaire peut-être d'ensuite m'agenouiller à ce point. "Ne te courbe que pour aimer", écrivait le grand René Char... Certes, l'amour d'une femme mérite cette humilité mais... "ne mords pas la poussière pour autant, ne renonce pas à toi-même.".
Aussi, même si je pourrais revenir sur des détails de l’ensemble (pourquoi ainsi cette charge gratuite contre "le style", contre ce que j’appellerais aujourd’hui la voix ?), je signe toujours des deux mains ce texte de gamin qui portait tant de feu, tant d’espérance, tant d’authenticité, vertu si rare à l’heure des pisse-froid. Je ne peux, et j’espère que je ne pourrais jamais, renier ce que je considère comme la meilleure part de moi-même. Ce n’est qu’après que la vie fut perdue... peut-être définitivement. Qui renie sa jeunesse l'a vraiment perdue, qui renie ses origines ne mérite pas de vieillir. Oui, seul l'âge rebelle ne perd jamais son temps.
à Vingt ans
Photo prise dans un bar à Roazhon par Jean-Paul
Un homme libre se reconnaît bien souvent à sa solitude...
LA RELIGION POÉTIQUE
« Je vous aime tant que je hais vos cendres »
Vous qui n'avez jamais appris qu'à mourir, vous fonctionnaires de l'esthétisme, pseudo-poètes de l'ennui, aristocrates du mot, vous gens de la bienséance, de la normalité, du conformisme ou de l'anticonformisme, vous qui parez si bien vos mannequins de cire, je dirais presque vos momies, avec cette préciosité, cette mièvrerie emmerdante, vous et votre masturbation intellectuelle et votre stupide béatitude, vous qui n'avez jamais appris qu'à mourir. Vous que je laisse à vos vérités de caveaux, à l'heure où il faut bien lâcher sa merde sur l'hypocrisie, à l'heure où il faut bien restaurer ce paquet de chair et de sang, je veux dire la sincérité.
La sincérité nous étions plusieurs de ce cri qui placardions des "je t'aime " nébuleux sur le dos des murs. Un cri, ce n'est jamais que cela, un cri qui s'ouvre en tout amour, un cri pour communiquer avec la chair vivante du monde, un cri comme une pierre replacée de la vie. Un cri pour payer notre dette aux étoiles, un cri pour payer notre dette à l'enfance !...
Un seul cri, la sincérité, celle d'un Rutebeuf, d'un Artaud, d'un Duprey, la sincérité toute nue, cette «asepsie morale» que réclamait André Breton. Cette sincérité qui débouche à grands corps sur l'esprit de Religion, n'en déplaise aux putains mensongères, que le « besoin de religion effraie ». Et quand je parle de religion, je ne viens pas parler de ces geôles de l'âme où viennent s'entasser quelques assassins en quête de bonne conscience, mais je viens vous entretenir de cette religion que Desnos parlant de Breton qualifie de « préoccupation du sens de la vie, amour de la vie exacte et de « l'aventure »(1), cette religion que Henry Miller dit être «l'accord parfait entre l'être et le faire et le dire» (2), je viens vous parler de cette effervescence de l'âme dans un creuset de vérité et de pureté, je viens parler de ce don de l'être à la liberté (3).
La poésie, la religion, le couple est indissociable : qui a connu le chant de l'éternité ne s'en remettra jamais à la loi des hommes mais à la loi de l'éternité même (4). Le poète fait don de sa vie loin du mensonge des foules, le poète se donne en grand amour afin de recevoir le grand miracle, le poète atteint la maturité de l'instant éternel, le poète est libre !
Vivre en poésie (car c'est avant tout de cela qu'il s'agit, l'écriture ne se posant qu'en miroir) c'est s'abandonner au grand chaos du monde dont parle Jouanard, vivre en poésie c'est reconnaître ce grand chaos du monde, le chaos de ce monde étendu sur toutes ses faces.
La « VRAIE VIE » (5)
cette patrie natale de l'homme
la recevoir c'est AIMER
Non l'Être ne sera pas contemplé par vos « artifices de syntaxes », vos « jongleries de formules philosophiques » d'abandon du poète à la philosophie. Je dis : c'est la prostitution du poète, c'est son sacrifice inutile. . L'Être ne sera contemplé que par le chant, ce fruit de la religion poétique. Ne vous en déplaise, Descartes a déjà avoué l'impuissance des philosophes face aux poètes (6). Platon a dit l'Être absolu comme dépassant la science d'ici-bas (7).
Souvenez-vous, la vérité sort de la bouche des enfants et des fous. Il nous faut perdre la raison de ce monde, de cette restriction du monde. Il nous faut retrouver le cristal de l'enfance. Il faut reconnaître la vie. Assez de « parodies d'ordre », une fleur s'éveille sur le fumier de notre désespoir, une fleur qui se nomme Espoir, mais non pas l'espoir des éternels satisfaits, des éternels soumis, non, l'espoir levé. Une fleur, un ciel s'ouvre au-dessus de la conscience du vide. Des noctambules sont là, inondant les tavernes, dans l'attente d'une aube certaine :
DEMAIN MATIN
La terre est promise
Laissons là les affabulateurs, les dactylographes. Le style n'existe pas plus que le vers structuré, ce sont encore des parodies d'ordre, ce sont des infirmités. Le style, parlons-en, le style est inventé, le style n'a pas sa raison d'être. Ce qui différencie les poètes, ce n'est pas le style, mais leurs préoccupations. Deux poèmes ne se différencient que par les révélations qu'ils apportent, par le nouvel espace qu'ils défrichent. Oui, le vrai style, c'est la simplicité, n'en déplaise aux élucubrateurs. Votre style n'a rien à voir avec la vraie vie, il n'est que le rétrécissement de vous, il n'est que cette manie dégueulasse que vous avez d'embaumer, d'enrubanner et d'envelopper délicatement vos petits paquets puants.
Allons plutôt de ce côté-là, vers la tolérance du seul rêve, la vie n'appartient qu'à nous. Nous avons tout à chanter, j'ai bien dit TOUT. Les autres, ils peuvent bien se moquer et nous laisser seuls face à nous-mêmes. I1 ne faut jamais oublier : un homme libre se reconnaît bien souvent à sa solitude. Le jeu de la liberté vaut son prix, d'ailleurs nous n'avons rien à perdre à ce jeu-là...
Oui, c'est ça, viens ma douce, viens te perdre dans mes bras, par toi tout a été fait, tu peux bien tout avouer. Tu as la pureté du cri. Tu peux bien tout avouer du plus petit au plus grand. Regardes, des enfants partent les bras au ciel. L'insomnie en a beaucoup à nous apprendre. Il y a des fleurs et des oiseaux là-bas qui sont inconnus. C'est cet inconnu-là qui recollera le monde. Tu peux bien tout avouer jusqu'au sang de mes poumons. Il n'y a que les systèmes qui ont des visières. Les hommes n'en ont initialement pas, les hommes, on leur ferme les yeux quand ils sont tous petits. Viens, j'ai un grand orgasme à t'offrir, tu peux bien tout avouer.
Toi que j'aime pour le plus pur des sangs
Tu peux bien TOUT avouer.
Guy ALLIX, Présence et regards n° 16, été 1975
NOTICE
1) « Préoccupé de la morale, c'est-à-dire du sens de la vie et non de l'observance des lois humaines, André Breton par son amour de la vie exacte et de l'aventure redonne son sens propre au mot religion. , Robert Desnos.
2) J'en viens a croire que le jour où mes écrits atteindront l'absolue fidélité, l'homme et l'écrivain résonneront d'un même accord sans plus de dissonance entre l'être et le faire et le dire ce qui est à mon sens le but le plus élevé que l'on puisse atteindre. Celui que visent tous les maitres en religion ». Henry Miller.
3) Ce sens du mot « religion » ne m'éloigne en rien des affinités que j'ai tant avec l'anarchisme qu’avec le Surréalisme. Il faut aller au fond des choses. L’anarchisme et le surréalisme ne visent à rien moins finalement qu'a rétablir un ordre qui soit véritable et pur, un ordre naturel de la liberté et par là même sont des forces religieuses en puissance.
4) Le parallèle est évident entre l'apparition mystique et la révélation poétique.
5) cf. Rimbaud
6) « Les pensées profondes se trouvent dans les écrits des poètes plutôt que des philosophes... La raison en est que les poètes écrivent par les moyens de l'enthousiasme et de l'imagination... », Pensées sur soi, Descartes.
7) « Pendant cette révolution, elle (l’âme) contemple la justice en soi, elle contemple la sagesse en soi, elle Contemple la science non pas la science qui est sujette à l’évolution suivant les objets que nous qualifions ici-bas de réels, mais la science de l’Etre absolu. », Platon, Le Phèdre.
Chapeau de l’article :
UNE CERTAINE TENDRESSE LIBERTAIRE
Ce « dossier spécial » n° 3 est en fait très différent des deux précédents consacrés à Yves Martin et à Jean-François Morange.
En effet, Guy Allix n'a pas vingt-trois ans, il n'a publié jusqu'alors qu'un seul recueil de poèmes : LA TÊTE DES SONGES (Éditions de 1’Athanor, collection Présence et Regards). Cet ensemble, en dépit de certaines faiblesses, révèle un tempérament poétique d'une originalité foncière.
Guv Allix n'a pas une œuvre derrière lui. A peine l'esquisse. Mais cette dernière à elle seule, mérite, selon nous, d'être connue du plus grand nombre.
Nous n'avons pas voulu, cette fois, interroger X ou Y, critiques de renom, au sujet d'Allix. Comme Jean-Louis Breuil, Dominique Cerbelaud, Jean-Pierre Lesieur et bientôt Jean-Louis Giovannoni et Michel Bernardy (tous accueillis dans la série Présence et Regards à compte d'éditeur), Guy Allix est un poète que nous espérons pouvoir imposer, c'est en somme notre parti-pris.
J.L.M
C'est sur cette mob, un 103 peugeot, et dans cet accoutrement que j'étais allé rendre visite à mon futur éditeur, Jena-Luc Maxence en juin 1974.
Je partis de Rennes vers 18 h et j'arrivai au 76, avenue d'Italie, vers les quatre heures du matin, un peu plus tard dans la matinée, à la suite d'une erreur, je me retrouvais sur le périphérique sud avec ma mob... Affolé, je me rangeais sur le milieu, des agents arrivèrent, arrêtèrent la circulation et controlèrent mes papiers. "Bah c'est un Breton, laissons-le... Mais n'y revenez plus !"