Extraits critiques sur Guy Allix
Petit choix d'extraits de lettres ou d'articles. D'autres articles ou préfaces sont publiés dans la présentation des livres.
Les références exactes (dates notamment) seront ajoutées peu à peu
Votre voix est amour et douleur.
Georges-Emmanuel Clancier, lettre à l'auteur
"Que poésie soit à la fois recherche d'un langage et essentielle compagnie, votre recueil m'en assure : l'écriture ne peut mentir, elle révèle le fond le plus secret, la démarche de celui ou de celle qui respire, vit et se libère...Vos poèmes sont au nombre de ceux que je relirai, une voix parmi celles qui m'accompagnent."
Pierre Seghers (lettre, 1976)
"Guy Allix : une poésie à odeur de soufre qui regorge de vie, où l'angoisse rejoint les gestes les plus quotidiens : voilà qui nous change de tant de mots accumulés sur tant de pages qui ne peuvent s'en défendre."
Gilles Pudlowski, "Le quotidien de Paris", Janvier 1975
"Guy Allix avoue ses tendresses comme ses faiblesses avec une franchise poignante rendue encore plus évidente par la sûreté extraordinaire de sa plume. L'ensemble pénètre l'ère du vide et Guy Allix n'en demeure pas moins l'un des tout neufs poètes les plus doués que je connaisse."
Jean-Luc Maxence, "Monde et vie", 1974)
"La retraite de Guy Allix doit s'entendre de deux façons. Il a créé ce lieu d'écriture où il se retranche, parce qu'en ce lieu s'érigent ces pierres d'os rongés où bat le sang de sa mémoire. Et cette retraite est, également, résistance à ce qu'il y aurait de douteux dans tel ou tel emportement lyrique auquel il ne peut (ni ne veut, bien sûr ! ) consentir. Mais cette retraite, me semble-t-il, n'est pas, pour autant, écart ou éloignement, ni retranchement hors du monde des humains. C'est au contraire. Il y a là cette chaleur pudique et très exigeante, que l'on va, lisant les pages qui suivent, découvrir."
Hubert Juin, Préface de Mouvance mes mots
"... A lire Mouvance mes mots, on retrouve parfois , en dehors de tout rappel précis, l'atmosphère envoûtante de la troisième "élégie de Duino". Au delà du toi et du moi, une force obscure s'empare de l'être, en distend les formes, tord le jeu d'ombre et de lumière, envahit l'espace et le replie sur lui-même..."
Jean-Louis Backès, article inédit, 1984
"Mouvance mes mots peut se lire en vingt minutes, ou en toute une vie. "Sobriété abondante" constate Hubert Juin, magnifique préfacier. C'est que les mots, en leur mouvance, viennent du plus profond. Pierres rares, encore brûlantes ou déjà calcinées, qu'une glaciale éruption volcanique nous jette à la face et qui nous révèlent l'universel feu central. Un aveugle nous peint ses visions. Un sourd fait écho à ses voix. Un homme nous crie son mal de vivre et son angoisse de périr "Tout cela finira par de la terre, même ton cri", "Tu voles de la parole sur la mort".
Inextricable écriture où le sec se mélange à l'humide comme la mort à la vie ; pluie, sperme, sang et salive ondoyant le prochain squelette. Et la tanière des ventres où se ressourcer toujours... Ainsi la poésie essentielle de Guy Allix n'est-elle pas cette chanson douce pour égayer le désastre de la vie. Elle n'est pas parure pour le drame, mais le drame lui-même révélé dans une inlassable interrogation. Elle nous traque dans notre plus intime ; elle est cri primal et murmure d'agonie ; les mots - chacun dans son irréfragable densité - nous frappent comme des météorites, ouvrant en nous la faille où s'engouffrent les salutaires angoisses.
Il faudrait lire Mouvance mes mots comme les croyants font de leurs textes sacrés : à petites étapes, par bribes et morceaux, dans les temps creux comme dans les temps forts, pour y apprendre selon les heures la dérision de l'existence ou son exaltation. Guy Allix, dont on commence à savoir qu'il est un de nos meilleurs poètes, a porté là son écriture à un rare degré d'incandescence. Ses mots nous brûlent, terrible et bienfaisant embrasement puisqu'il détruit le cal des vaines quiétudes et cautérise la lancinante blessure d'exister."
Gilles Perrault, "Normandie-Magazine", 1984
"J'ai énormément savouré votre livre comme un de ces moments rares où l'on découvre un être... Le pouvoir que vous avez de condenser en quelques vocables une très vaste angoisse ou douleur ou vision est aussi stupéfiant que celui des Japonais... "Dehors la pluie rêve d'un autre ciel" résonne en moi aussi lointainement que ce vieil haïkaï :
"L'hiver, la mer glacée
Qu'elle a du mal à dormir
La mouette."
Composé il y a bien longtemps par un moine en chemin de haïboun... Dans une époque aussi vulgaire, "quand le silence a peine à vivre"; il est merveilleux que quelques veilleurs dont vous êtes, volent encore, et à quel prix, "de la parole sur la mort". Et avec une telle concision, une telle élégance, une telle absence de pathos, que ceci, pour un peu, passerait pour naturel."
Jean Paris,lettre à l'auteur, 1984
"Un livre comme Mouvance mes mots de Guy Allix surprend et trouble en nous rendant très présents des aspects du monde physique et moral.
C'est une oeuvre dure et dense, sans effusions lyriques, sans concessions ni pudeur inutile, qui, comme le remarque Hubert Juin dans sa préface, manifeste "l'opération d'un extrême refus". On pourrait la qualifier d'existentielle dans la mesure où, ignorant un quelconque ordre du monde, elle exprime les angoisses d'une conscience enfermée dans l'ici-maintenant. L'auteur, qui a très peu publié et ne laisse rien transparaître de sa biographie, semble hanté comme jadis un Kierkegaard par un sentiment tragique d'insécurité. Faute d'atteindre à une transparence qui toujours se dérobe, ou simplement à une paix intérieure, il se trouve rejeté vers son moi et ses souffrances, sans espoir d'une ultime libération :
"Cela finira par de la terre même ton cri."
Le beau titre de l'ouvrage peut à lui seul en suggérer les tendances directrices, si l'on se donne la peine d'en peser les éléments. S'y révèlent à la fois l'instabilité d'une situation vécue au jour le jour, la subjectivité délibérée, la recherche d'un recours dans le langage. La mouvance est du reste acceptée comme telle ou même justifiée par l'insolite citation d'un sociologue voulant passer de "l'élimination des contradictions au corps à corps avec les contradictions" ; elle est hautement assumée par Guy Allix qui relève une "parole troublée, tremblante, qui dit tout plutôt qu'un...".
De fait les brefs poèmes indiquent tantôt des pulsions érotiques et tantôt une profonde lassitude, tantôt un élan vital et tantôt un goût de mort. Ils en reviennent tôt ou tard au corps, à ses besoins et douleurs, à ses sueurs, à ses spasmes, dans un continuel constat vigilant et obsédant.
Cette voix n'est donc pas plaisante à entendre, mais elle doit être écoutée. Sa sincérité, sa force le méritent. Et elle s'adoucit en de rares instants qui n'en sont que plus précieux..."
Georges Sédir, "Le Républicain Lorrain", 4 octobre 1985
"A la fin du recueil, un court poème de deux vers - mais encadré de point de suspension - vaut art poétique.:
"... Rétréci le silence
au plus loin...
Poème programmatique et mode d'emploi du livre, qui ne donne pas à voir le compact mais le diffus. Et qui aère la continuité du des poèmes de notules en italiques qui invitent à les resituer, à les détacher, à s'en détacher. La première est d'ailleurs rappel des limites :
"Cela finira par de la terre même ton cri."
Et la dernière est invitation à ramasser, par delà les jalons laissés sur le chemin, ou au fil des pages, l'élan qui en est à l'origine et qui en dépasse le terme :
"Et tu ramasses ta fuite sous toi..."
Ultime affirmation de la continuité du désir par rapport à l'atomisation des mots, du corps, du moi. L'essentiel n'est pas dans mes mots, mais dans la mouvance qui les engendre, en émane et les dépasse."
Jean-Yves Debreuille, monographie Guy Allix, éditions l'Ortie
"Mouvance mes mots de Guy Allix est un livre majeur car nous sommes en présence d'un poète qui va plus loin que bien d'autres dans l'interrogation de la vie et du temps... Une réalité vivante commande et creuse cette poésie pudique et exigeante où un homme retrace son itinéraire intérieur... Quête - de quelle vérité perdue ? - la parole de Guy Allix est éclat de voix vouée à sa perte, "cela finira par de la terre même ton cri", mais aussi volonté de se dépasser sans cesse : "la faille enrichit et dépasse"... Guy Allix parle juste dans sa voix d'éternel errant, conscient de la vanité, voire de l'inutilité de toute action dans cet univers chaotique où nous ne cessons de nous égarer et de nous perdre... Les images et sensations bouleversantes de Guy Allix viennent du plus profond d'un être qui "se sauve" par ses admirables stèles d'une mémoire qui éclatent en buissons ardents où poète et lecteurs brûlent littéralement au feu des mots."
Joseph-Paul Schneider, "Luxemburger Wort" 17 janvier 1985
"Les marginalités poétiques dans le monde ont des éveils surprenants et cachés ; elles mêlent anarchiquement des voix proches et lointaines. Voix qui gravent d'une profondeur mythique l'identité de l'être poétique qui ne traite pas du monde. Identité réfractaire à l'écriture poétique et à la critique.
Ainsi l'exil du "souffle de l'essai" demeure l'unique main éprise qui, par la maîtrise de ses gestes extrêmes, réalise l'approche et la trace de sa passion fondatrice - c'est-à-dire de son identité poétique -."
De là nous arrive le visage précurseur, visage qui sculpte dans un silence sublime ses rites particuliers sur la marge poétique en France. Ce visage profond c'est celui de Guy Allix. Poète qui se distingue par un imaginaire poétique qui met en oeuvre des rhétoriques où le fragmentaire, l'économique et le transparent jouent le rôle d'instruments essentiels. En outre ces rhétoriques s'appuient sur la force du quotidien et du marginal pour tenter de les mystifier, pour en faire l'essence d'une trace poétique autre. Enfin les rhétoriques de Guy Allix deviennent cette lumière voilant la nuit poétique fondamentale qui s'efforce de transformer les interrogations poétiques traditionnelles de l'Occident (interrogations portant sur l'Etre, la Raison, la Parole, la Métaphysique...) au moyen d'outils poétiques particuliers.
Voici pour nos lecteurs, la traduction de quelques poèmes de Guy Allix de son avant-dernier recueil Mouvance mes mots édité avant Fragments des fuites."
Jalal El Hakmaouï, Supplément culturel de L'Union Socialiste Marocaine, 14 août 1988
"Le poème pourrait-il être s'il n'était aussi, d'abord, la mise à la question de ses mots ? On l'accusa de résoudre trop vite nos contradictions ou de rendre la mort trop belle. Guy Allix n'a jamais eu à rejeter cette magie-là, le poème a toujours été pour lui un acte à la fois lucide et violent : "Révélation de feu/Un voile à abattre/Le poème est déchirure", disait-il en 1976 dès L'éveil des forges.
Depuis rien ne s'est calmé. Dans Mouvance mes mots Guy Allix n'écrit qu'à travers l'"angoisse" qui "serre", "comprime et "ronge", non pas pour l'exorciser ou du moins l'apaiser, mais pour l'aiguiser. Ainsi se multiplient toutes ces images hors de nous comme en nous, dans la ville, dans le corps, de la nuit et de la mort, de la déréliction, de la putréfaction, "l'inéluctable". Le poème est ce mouvement, ce jaillissement plutôt, qui "agrippe la forme sur l'abîme", une "fulgurance". Nulle durée, en effet, le temps ici n'a point de continuité, il est perçu constamment brisé, instant par instant,("l'instant nu"), et le poème qui naît de ces trous n'essaie pas de rétablir les liens ou de couturer les lèvres de la blessure, il est lui-même une trouée, il est simultanément "déchiré" et déchirant, un cri qui se perdra, qu'il faudra répéter ("chaque instant le dernier poème") :
"Dernier souffle
Toujours sous le mot
Et dévide le dire au plus juste
L'échéance au fond du corps
Invente les lèvres d'un cri"
Urgence permanente, de la "secousse" à la "brèche", le poème de Guy Allix n'a pas droit au développement qui endort l'énergie, il s'effraie de tous les pièges auxquels nous ont habitués les mots, leurs "masques", leurs "mensonges". "Voler de la parole sur la mort" sans le souci de garder cette parole, "mettre à nu" : une telle exigence ne souffre aucun relâchement de la tension, elle a besoin des mots les plus serrés, les plus âpres, en petit nombre, autant que des raccourcis, les vers qui se cassent, les blancs qui les coupent : "crispé de mots", ce poème est également crispé de silence. Mais ce silence ne se prolonge pas, il ne fait pas rayonner un secret, il marque l'impossibilité de dire. Rien ne s'arrondit ou ne s'assourdit, Guy Allix fixe des "vertiges" et les "traverse". Avec lui la lucidité l'emporte, elle ne brise pas la violence et l'élan, au contraire, elle lui rend l'éclat, la "fulgurance sévère".
Pierre Dhainaut, La SAPE
"Nous voilà donc tout un petit cénacle à tenir Guy Allix pour un grand poète de notre temps."
Jean Paris, Lettre à Christian Rivot
"Est-il besoin de rappeler combien les poètes ont l'amour et le respect des mots, tout en se permettant de les torturer ? Mais ces mots que sont-ils détachés de la phrase ? et quel pouvoir ont-ils dans leur isolement, leur nudité ? Toute écriture poétique joue des ambivalences et tout simplement de la polysémie.
On pourrait ainsi taquiner Guy Allix sur le choix de son titre "Mouvance mes mots" où on trouve à la fois les notions de mouvement, d'allégeance et de souveraine propriété, ce qui est une très bonne définition de l'écriture poétique. Question posée : le mot est-il dès l'abord dans la mouvance du poète qui le soumet à toutes les dominations ? ou n'entre-t-il dans sa mouvance qu'une fois soumis aux caprices combinatoires ? (Paul Chaulot a écrit : "Je suis vassal de mon poème / Comme l'est le maçon de son mur"). Le poète n'est-il pas en perpétuelle mouvance avant d'être un suzerain pointilleux ?
En tous cas Guy Allix a une haute idée du langage, de la parole. Il écrit ; "Le poème criant d'aveux" ou "le verbe écarquillé sur l'herbe et sur la bave" et plus loin : "tu voles de la parole sur la mort".
On trouve par ailleurs une richesse des images, une perfection dans les assemblages de mots. Par exemple : "la ville repassait son linge"..."Les vitrines agenouillaient les femmes en troupeaux"". Le sang se blottit dans un coin de la mort"..."L'échéance au fond du corps/Invente les lèvres d'un cri". N'est-ce pas admirable ?"
Jean Bouhier, "Carte noire" n°8
"Te lisant, toujours le coup au cœur, cette bouche vide, cette angoisse curieusement roborative. Après j'essaie vainement de me l'expliquer. Il me semble qu'avec ces Fragments des fuites, tu n'as jamais été à ce point au plus près, au plus juste - au bord de l'indicible -. Les derniers mots possibles avant la grande mort. C'est d'une extrême violence. C'est d'une rare tendresse. "Taire au plus juste la voix". Tout est là. Mais après cette magnifique et terrible réussite, est-il encore pour toi une écriture possible ? Mouvance mes mots : il me paraissait difficile d'aller plus loin. C'est fait. Il me semble impossible d'aller plus loin. Je sais que tu le feras. Tu es un grand poète. Je t'envie."
Gilles Perrault, lettre à l'auteur, 1987
"Tes fragments sont arrivés au Caire martyrisés par un douanier stupide qui les a pliés en deux, après avoir essayé de les lire. Après soins, il reste une brisure au dos entre ton nom et le titre, un de ces abîmes proches que ne cessent d'indiquer, de frôler, tes poèmes. Tout serait dans cette crispation suprême, orgasme mortel et rétraction du monde, selon la doctrine stoïque : tout en un point et il n'y a plus qu'à exploser.
Le souffle même, qui m'est si cher, et j'apprécie en ami qu'il figure dans le poème que tu me donnes, le souffle, tu le fais obéir à cette loi de systole. Mais le travail de la syntaxe, je le devine sans en pouvoir encore rendre compte. C'est ta syntaxe d'abord qui est fragments. Liaisons qui ne se raturent pas. Phrases selon des modèles non vus. L'arbre chomskyen semble un buisson grotesque dans un jardin de notaire.
Mais on finit sur trois alexandrins. Est-ce pour redoubler les six syllabes de "Le nom enténébré" ?"
Jean-Louis Backès, Lettre à l'auteur, 1988
"Ce fut un grand bonheur pour moi de vous découvrir. Certes d'une part dans la généreuse analyse que vous faites des autres poètes, telle votre entrée à travers une porte fermée dans l'univers de Guillevic mais d'autre part et surtout par vos propres poèmes. Je n'avais lu de vous auparavant que les beaux (mais peu nombreux) poèmes parus dans les cahiers que Marcel Jullian m'envoyait fidèlement mais c'est une œuvre d'une toute autre ampleur que je découvre, vous remerciant de vos dédicaces, heureux (comme vous le devinez) de couper les pages.
Ampleur n'est pas un très bon mot car votre œuvre me paraît plutôt définie par le lien entre la rigueur, la brièveté, la concision d'une part et l'émotion poétique d'autre part.
Je lis toujours plusieurs fois les poètes et je découvre de nouvelles beautés à chaque lecture. Telle est l'aventure que je vis pour mes derniers jours de vacances en vous relisant."
Professeur Jean Bernard, lettre à l'auteur, septembre 1990
"Depuis L'éveil des forges (éditions de l'athanor, 1976) nous savons que pour Guy Allix "jamais tout ne sera dit". Un seul vers, au bas de la page, introduit Mouvance mes mots, recueil préfacé par Hubert Juin. Quelques mots écrasés par un blanc lourd de sens. Une sentence qui révèle l'importance de ce qui restera à dire malgré :
"Cela finira par de la terre, même ton cri."
Du cri à l'écrit, une même absence traverse ces pages : celle d'un dieu transcendant. Pour Allix, il n'y a de transparence ni des êtres, ni du langage. Son écriture se situe dans une zone médiane, dans un entre-deux. Comme l'a souligné Jean-Yves Debreuille, cette poésie est ballottée entre le noyau et l'enveloppe, entre le dedans et le dehors. Elle affronte les contradictions, se méfie des certitudes des ubiquités.
Et ce sont les notions de point d'appui, d'affirmation qui sont démenties par ce langage découpé, elliptique. La vérité se dérobe et nous voici condamnés à porter des masques. Des masques qui griment les rapports, qui claquent des dents quand s'ajoute à nos plaies l'impossible guérison.
Nous voici contraints de voyager de signe en signe, d'écho en écho dans un chaos qu'il s'agit d'ordonner à travers une écriture qui ne peut être que fragmentaire.
L'utilisation du distique, la forme courte ne sont pas, chez Guy Allix, une raréfaction de la pensée. Mais elles correspondent à la densité, à la tension du projet.
Si pour certains l'écriture permet d'effectuer une percée dans leur nom (projet explicite de Sollers dans "Paradis" par exemple), Guy Allix oppose l'imprononçable du nom. Il décline une origine confuse, une identité précaire. Nommer laisse si peu de traces :
"A regarder les mots sous la terre
Le sang s'étonne
Et grave plus loin les nervures
Seul ton nom trace ici de rien ton passage"
Un lieu existe pourtant qui ne s'économise pas.
L'intimité. Le désir se frayent un passage, entre rédemption et perdition. Lourde chute et salut des corps à travers l'instant :
"Un instant au monde
Comme à la fenêtre du désir
S'ébattre la rumeur
Qui court au loin
Mourir ce flot qui couche
Dans les syllabes de ton ventre
Cette poésie n'apaise pas les conflits, se méfie des certitudes, d'un imaginaire occultant le réel. Elle redoute le chant, l'emphase. L'écriture, pour Guy Allix, est à ce prix de sueur et d'os rongés, dans l'équilibre instable entre soi et les autres :
"Toujours le monde t'affole et te crispe et te noie"
Pascal Boulanger, "Arc en Seine" n° 2
"Merci de m'avoir envoyé votre beau Mouvance mes mots qui m'atteint à l'essentiel. Il est assez rare que la poésie actuelle m'émeuve, me paraisse originale. J'ai découvert avec vous quelque chose de fort et de vrai, l'expression admirablement juste du lieu de l'amour - tel que je le comprends, ce "ventre qui devient la scène et le souvenir" - de la mort et des mots. Vous avez des phrases que j'aimerais avoir écrites, comme "agripper la forme sur l'abîme, chaque instant le dernier poème". Continuez à écrire des textes aussi beaux, denses, obtenus, je le sens, au prix de l'exigence la plus douloureuse."
Annie Ernaux, lettre à l'auteur, 1992
"Lieu de souffle, "fragments de chair", "livre écartelé", ce recueil abrite une écriture dense et nue, un cri durci en mots. "Lèvres de peu" avivées par les braises de la Parole.
Vécu comme un élan, un appel toujours plus exigeant, le poème est cet arrachement en l'obscur de la terre et du corps. Tout l'être vacille à l'instant de la parole: "Seule une forme que j'attends/ S'insinue vient me tremble".
En les mots sont les mêmes qui disent la "glaise de ton ventre", "le ventre de la terre", le cheminement du poème. "Dans la nuit de ton ventre un cri s'enfle de terre. Un cri est déjà prêt". Nœuds de souffles et de forces, éclat fugace et déchirure "Ton poème tendu de questions" erre aux lisières des failles et des ruptures.
Ce que quête Guy Allix n'est pas apaisement ou sérénité, lui qui accentue les vertiges au risque de l'abîme. "Risquer : la seule demeure à jamais des mots". Consumé par un feu intérieur, porté par une ardeur, une véhémence amoureuse, il écrit dans le sentiment de l'urgence et du manque. Tendu dans une fuite éperdue à travers soi vers cet ailleurs, le poème toujours à venir. "Le souffle qui se dérobe/.../Le monde toujours à l'instant de n'être plus".
Mais comment écrire sans "s'éperdre", s'abandonner dans "la faiblesse et le dénuement". Comme dans l'étreinte, il faut consentir à se quitter, à s'égarer. Peu à peu s'effacent les limites du corps. "J'écris sans moi/ souvent je sens me prendre/ Les mots par le corps/Jusqu'au délire de n'être là".
Pour chaque poème, "retrouver la grande patience de la parole", n'opposer aucun obstacle au feu , devenir cet être fragile et nu qui n'a de demeure que dans le précaire.
En filigrane, dans les poèmes de Guy Allix, exigence et humilité mais transparaît aussi la tendresse lorsqu'il parle de l'aimée ou du pays intime et profond, ce Nord que l'errant a un jour habité de tout son corps. "C'était ce pays de froid dans le dos qui tout entier travaillait à la chaleur".
L'amour, la tendresse vécus dans la fragilité, à l'orée des blessures et toujours intensément. "Tandis que la mort assiège" car si l'amour est "argile patiente", c'est aussi "Oser ses fruits au bord du vide".
Ainsi Guy Allix de poème en poème mène sa parole à travers corps et silence et éveille en celui qui consent à cheminer avec lui le temps d'un recueil, toujours plus de soif."
Sylvie Schellenberger, "Froissart" n° 67 Septembre 1993
"Oui, les poètes osent rêver la vie, rêver le temps, passer par le vrai chemin du monde, fait de tendresse et d'ardeur. Il y a dans ces brèves, une détermination, une force, la leçon d'une souffrance, le poids du silence, un livre comme un bûcher. J'aime cela. »
J.M.G Le Clézio, lettre à lauteur
Enfant des corons, Normand d'adoption, spécialiste de Jean Follain, à 40 ans Guy Allix tisse une œuvre poétique fluide et réfractaire à la fois. Mouvance des mots, aimantation pour le souffle oriental, "imprononçable silence", il y a là comme les traces d'un sans-lieu, les fragiles indices d'une solitude de briques rouges. On suit, somnambule, la mystérieuse ordonnance d'une prière païenne sur les rives de glaise: "Le vent murmure ta sueur / Quelque part entre les os et la peau / Ton impatience de vivre / Dans ce pays si loin de toi" Dans sa préface, Pierre Dhainaut insiste sur l'exigence minimale, le risque absolu, "l'argile féconde et patiente" qui nourrit le souffle d'Allix.
Patrice Delbourg, "L'Evénement du jeudi", 5 août 1993
" "J'ai perdu le Nord et mon enfance", écrit Guy Allix au terme de l'extraordinaire recueil qu'il donne à lire chez Rougerie. Mais cette perte, cet égarement forcent le poète à culminer - c'est le plus beau des paradoxes - par une humilité qui trouve ses racines précisément dans ce qui est perdu : "C'est là que j'ai appris l'humilité, que j'ai appris à m'enfoncer dans la terre". "Le Nord" éclaire donc en 19 pages toute la pauvreté avouée dans la première partie du livre. Guy Allix ne surplombe rien. Il écrit à hauteur de terre; il écrit avec la main qui tremble, avec les arbres frissonnants. Il écrit d'une main écorchée; il écrit peu, il écrit avec le peu."
Un grand poète s'impose dès les premières pages. Sa parole est enracinée dans la nôtre. C'est là sans doute, la marque principale de sa fragilité fondatrice. Car, dès lors qu'il s'agit de nommer la stupeur, il s'établit entre le poème et nous une connivence. La connivence, ce n'est pas l'évidence, ce n'est pas l'acclamation des forces communes, moins encore l'embrigadement idéologique ou esthétique. mais on trouve bien, chez Allix, l'éloge d'un silence, d'une impossibilité de parler devant l'essentiel, qui la fonde. Pour citer Bourbon-Busset: "L'absolu n'est pas dans l'immense, mais dans l'intense". Le travail du poète dépose alors l'intensité - et la ténuité - sur la page. Pour Guy Allix, il s'agit de ramener sans cesse la parole aux frontières silencieuses qui, tout à la fois la définissent et la menacent. C'est la raison pour laquelle , sans doute, le poète a construit son recueil comme de la musique. Des images reviennent, des sentiments affleurent, se répondent, et le livre se donne ainsi avec une exquise harmonie, parce que l'égarement et la perte qu'il ne cesse d'exprimer enfantent aussi la certitude du partage.
Campé devant les arbres, seul sur la terre, battu par les vents, le poète se sent traversé par ce qu'il voit. Son corps et la nature entretiennent entre eux des rapports bien plus que métaphoriques. Ils sont étonnamment fusionnés. Le poème de Guy Allix - poème toujours très bref, toujours très harmonieux, sans coup de gueule, sans effet gratuit - revient à cette fusion éprouvée par le corps. si le texte est court, c'est précisément parce qu'il tente une réconciliation avec le monde du silence. Ainsi sommes-nous: entre la certitude d'appartenir à la Nature et l'incapacité d'assumer son mutisme, nous tremblons. Les poèmes de Guy Allix tremblent avec nous, d'avoir perdu le temps de la fusion. Ils tremblent du chagrin de parler. Ils tremblent de la force de parler. Ils tremblent d'être là, de le savoir et de le dire..."
Lucien Noullez, "Le journal des Poètes", décembre 1993
... Il y a chez Guy Allix une exigence de rigueur qui le pousse au plus près du corps et de la langue. l'un épousant étroitement l'autre. Des sensations -caresse ou brûlure- aux mots justes pour les dire, le poète prend le temps aux tripes" pour dire désespérément une identité qui ne cesse de le fuir dans les méandres" d'"une parole vaine". Ecorché vif, Allix brûle de tous ces mots qui l'emportent dans ses errances pour mieux le briser au bord de ses dérives et de ses rêves fous. Peu de poètes savent (se) dire avec une telle maîtrise langagière l'irréparable solitude (comme) corps entre deux eaux" mais aussi ces trouées d'azur trop rares dans le ciel la vie d'un regard qui dit son nom "... le geste de la prière". On appréciera ces fragments de poésie à la sensualité crépitante des étoiles d'un feu de raison sauvage" qui tisse « au dedans » le flux du sang, le flux des mots.
Joseph Paul Schneider. Luxemburger Wort. 5juin 1997
Merci pour ces poèmes de Solitudes que je viens de recevoir et que je commence à lire avec émotion — car votre poésie me semble parfois jaillir comme d'une blessure le sang. Votre voix est amour et douleur.
Georges-Emmanuel Clancier, lettre à l'auteur
Avec Patience, ferveur, en espérant « retenir la vie/ par le son de quelques mots/ qui fusent dans le soir », Guy Allix poursuit son chemin poétique. « quelque part entre silence et fureur », confirmant son talent pour « rapprocher les mots de la terre » et devenant, au fil des ans, du côté de Jean Follain, mais aussi du regretté Guillevic, un grand. Ce qui est remarquable dans ce style concis, modelé, tendre, arraché parfois, c'est la justesse des images, rares mais toujours au plus proche de la cible, c'est le souffle, qui pourrait être lyrique (ô bon vieux temps de La Tête des songes) mais se retrouve maîtrisé, dominé. Comme « l'haleine rentrée d'un mot. ».
Jean-Luc Maxence. Les Cahiers du Sens. 1997
Pour exprimer la douleur d'être, la fragilité de l'existence. Guy Allix a préféré à la révolte la sérénité, le recours àune écriture fluide qui n'en est pas moins intense. Les poèmes contenus dans Le déraciné, qu'ils soient en vers ou en prose sous forme d'aphorismes, se caractérisent par leur concision, leur densité, un vocabulaire volontairement répétitif qui constitue en quelque sorte le thème directeur de la pensée du poète: la voix, les mots, la vie se mêlent traduisant l'appréhension du monde. Aussi l'unité de cette poésie se trouve-t-elle peut-être dans ce poème qui contient tous les autres l'alliance du corps et du verbe, une fusion intime avec une vie qui ne ménage personne : "Je retourne mon nom vers mon visage/ Dans l’ici de ce corps martelé comme un mot /J 'ai noté des conciliabules à peine audibles ".
Mais chez Guy Allix la présence du silence, la tentation d'y recourir demeure toujours présente, expliquant plutôt que justifiant la brièveté de ses poèmes qui conduisent vers le non-dire. Ce sera dans la dernière partie, suite d'aphorismes, que l'on notera la progression de l'écriture vers une sorte de blancheur presque imperceptible. " Toujours au bord de ne rien parler. Pas même /'haleine rentrée d'un mot "
Face à une existence précaire. Guy Allix sait que toute protestation est vaine, que seuls les mots, la femme. l'amour qu'elle porte en elle et qui devient source d'apaisement, valent la peine d'être dits. Dès lors, la poésie de Guy Allix se charge de tendresse, d'un lyrisme retenu, pudique, mais néanmoins perceptible: "Dans l'étreinte de ce lieu perdu que tu sais / La vigueur exige la patience de I 'amour / L 'urgence du souffle / La plus juste faiblesse "
La poésie apparaît alors comme une tentative pour côtoyer le silence, pour dire aussi par le biais des mots essentiels le lieu où toute vie serait source d'émerveillement possible. Si les mots sont menacés, il n'en reste pas moins que leur capacité de métamorphose demeure fondamentale : " Il suffit parfois d'un mot pour que tu habites le monde " déclare Guy Allix à juste titre.
Max Alhau, La Sape n° 48-49, 1998
Comme ce paysage de roche et d'eau pure, glacée, vos poèmes sont dépouillés, alliant dureté et transparence - ils ont la beauté de l'austère. Vous prenez le langage comme un matériau àla fois immatériel, sonore, obscur, et vous le travaillez comme on taille le silex faisant surgir des lueurs, donnant aux mots tranchant et reflets, et vous traquez, quêtez le « son pur » - impossible, infiniment désiré, comme les jardiniers-alchimistes tournent autour de la rose noire. Et vous avez ce vers si sobre, si juste, où se concentre votre écriture, et qui résonne au creux de vos poèmes
« tout ce qu'il faut taire pour dire ».
Encore merci pour ce très beau recueil.
Sylvie Germain, lettre à l'auteur
Ces mots de Solitudes fulgurent avec toute la force de la sensation. Sans doute pour cela, faut-il « ne pas savoir les mots », les faire surgir du corps et de la douleur, Ce recueil est très beau et la préface de Noël l'accompagne de façon juste. »
Annie Ernaux. Lettre à l'auteur
Né dans le Nord de la France. Guy Allix a vécu une enfance difficile près des terrils et de la misère. Il s’est établi dans la Manche en 1975. Professeur de lettres, il a mené de nombreuses expériences autour de la poésie au collège Lavalley de Saint-Lô, au lycée de Carentan puis à l’IUFM de Saint-Lô. Il est un spécialiste de la poésie de Jean Follain et a publié son œuvre aux éditions Rougerie.
Dans son dernier livre, Solitudes, on découvre en 139 pages la quintessence de sa poésie. Il y dit sa douleur d’écrire la douleur, l’épuisement, la blessure, “cette plaie dans la béance du monde «Ecrire quand ce n’est plus possible. Sur cette déchirure. Dans l’horreur de l’absence! Ecrire ces mots qui usent comme l’amour. Qui épuisent le sang. » La douleur au ventre, avec des mots simples et fragiles, toujours prêts à se déchirer et à s’effacer. Allix décrit ce silence blanc qui préside à son inspiration. «Il n’y a rien que cette plaie plus vive. Ces mots blessés dans la nuit et qui travaillent à la plus Juste perte/Cette petite flamme qui expire au creux du corps ».
Sa saison à lui, c’est l’hiver saison de « l’inadmissible lucidité » ‘. Déraciné, en exil sur cette terre, le poète éprouve ce manque au plus profond de son être. Même l’amour n’est pas pour lui synonyme d’apaisement, car il est séparation et absence.
Dans sa préface, Bernard Noël insiste sur “la volonté du désespoir, qui n’est pas le renoncement qu’on veut nous faire croire, mais tout au contraire l’énergie fondamentale du poème.» Un désespoir qui engendre la solitude et qui persiste d.ans la déchirure ultime de chaque instant.
B. SOURDIN. Ouest-France, le 8 février 2000
Merci de m'avoir envoyé ces Solitudes : il y a une voix qui est la tienne, que l'on reconnaît tout de suite, que ta n'as pas cessé depuis que je te lis de poursuivre ou d'approfondir. de « déchirure » en « déchirure » et tu parles justement de « l'encre tenace sur les parois » qui témoigne constamment de la « terreur lucide ». On ne sort pas indemne de ta lecture, elle rudoie. Mais sa rudesse même est nécessaire en ces temps de restauration poétique molle. Tu tiens bon, cela m'est précieux.. »
Pierre Dhainaut. Lettre à l'auteur
«Aujourd‘hui la mort ». Tels sont les premiers mots de ce recueil, qui continue :
S inscrire, imprimer ce souffle au plus blanc de cette permanence, dans cette fragilité de papier où se tisse la voix..
Cet incipit inusuel donne le ton d’une entreprise complexe, courageuse, tragique même, puisqu’il s’agit de lutter contre le poids et le mystère des choses. La solitude dont souffre Guy Allix n’est pas essentiellement de nature sociale. mais plus grave car induite par les divergences entre le moi phénoménal, le besoin d’affirmation et les ambiguïtés de l’expression.
Sa perception de l’être est d’abord matérielle (mais nullement matérialiste, ce qui impliquerait une philosophie a priori). On relèvera qu’il insiste sur le rôle de la peau et qu’il a dédié l’un de ses textes au peintre anglais Bacon. Il considère d’autre part l’Univers comme en déclin:
Une peau lucide et tendre tendue de souffle
L image précaire qui te soumet
Où s‘effrite lassé le nom des choses
Où s‘abîme infiniment le monde.
Si l’on compare cet ouvrage avec Les lèvres de peu, dont on avait rendu compte dans ces pages (n°68-69, printemps 1994). on constatera qu’Allix n’a pas modifié son orientation générale, mais en accentue peut-être le pessimisme au point de parvenir à une sorte de nudité, d’humilité devant une vie qu’il ne peut ni rationaliser ni même exprimer pleinement. Ainsi s’explique la tension parfois dramatique d’un livre à la fois sincère et troublant.
Georges Sédir, Phréatique n°94, automne 2000
C'est dans un style plus effacé, plus blanc que Guy Allix poursuit son œuvre. Très peu de mots, très peu de vers sur chaque page de Quelque part entre silence et fureur (traduction en italien de Giuseppe Baldassarre et Eliana Terzuoli). Au creux de sa poésie, Guy Allix fouille lui aussi son désastre intime et en toute humilité, mais avec la pugnacité de l'écorché, explore "la belle misère d'exister". Il faut pour cela avoir le courage d'affronter sa douleur, la sonder. "Laisse-toi couler comme un vieux linge défait dans le gouffre murmurant des plaies" livre le poète dès l'ouverture. C'est au plus profond de cette souffrance, au plus près du sang que peut-être la vie atteint son intensité, au point limite qui exacerbe et le silence et la fureur. "C'est là où passe la vie / Au bout des paupières engluées de défaite / Sur l'instant de chavirer". La mort est là qui ne dit pas le nom de celui qu'elle enserre, elle pousse le sang à la révolte, à la colère, elle lance le poète dans l'errance à travers les mots quand peut-être la solution serait à jamais de se taire. À moins qu'un souffle, encore, parvienne à l'emporter, et rende possible, une nouvelle fois, "des conciliabules à peine audibles" que Guy Allix est là pour capter.
Dominique Nédellec, Livre échange n° 19
Introduit par un texte étrange de Bernard Noël, lequel, à force de parler de failles, de cassures, d'arêtes, perd lumière au fil des mots, ce nouveau recueil de Guy Allix ne cesse de nous rappeler que le poète rêve d'écrire sur le manque et l'absence " Dans la lumière d'un tremblement figé ". Les poèmes de Guy Allix sont beaux et brefs ainsi que des bouquets de musique tendue lancés dans l'œil du monde Tout est devenu tragique, et la douleur sourde est évoquée avec discrétion.
" Comme un regard à jamais blessé de lumière/ Et qui s'enfonce dans la terre lourde". Le désespoir, plus que surmonté, est ici maîtrisé comme la colère et la rage habitent parfois le poing rebelle. Tout s'effrite, même les mots et le flot des cris plus ou moins facilement étouffe « àl'épreuve de la mort ».
Il y a bien chez Guy Allix " la tentation d'espérer" : " sourire dans la nuit à n'y pas croire, quand une main aimante te retient au bord du gouffre".. La fragilité de Guy Allix est dans cette " tendresse qui perdure " et devient alors sa force, son rayonnement fraternel. Cette humilité est rare dans notre poésie contemporaine. C'est le signe d'une haute qualité dans la pudeur de l'aveu. Lucide, Guy Allix ? Oui Tel un sorcier immobile devant « le cercle des sens » à n’en pas douter.
Jean-Luc Maxence. Les Cahiers du sens 2000
L’œuvre poétique de Guy Allix se construit quelque part entre silence et fureur, elle est portée par un souffle insolite et sûr de lui brûlant les mots, et bridée par le refus de l’effusion lyrique : de là des poèmes brefs, archipels ou simples îlots dans l’écume des pages, qui disent la souffrance et la difficulté d’être, qui disent la patience de la terre et la beauté d’une rose dans sa fragilité même, la trace irréfutable d’exister et l’effacement. Pas de lamentation dans cette œuvre construite face à la mort,, au contraire une énergie qui sourd du corps, un cri dont l’onde de choc accompagne la dureté des syllabes.
Aux éditions Rougerie, ces vingt dernières années, Guy Allix a publié des poèmes hantés par les questions de la nuit, d’autres illuminés par le sourire de l’amour, des poèmes où la cendre côtoie la semaison, des poèmes de sang et de sève.
Gérard Poulouin, Le Mois à Caen (octobre 2003)
J’ai lu les deux recueils que vous m’avez offerts. Et j’ai perçu, vous donnez à percevoir de l‘intérieur une tension entre la pré-science de la mort et l’intensité du désir, une tension qui est notre secret commun. C’est pour cela entre autre que votre poésie nous parle. D’un poème à l’autre, mort et désir se font miroir. Et c’est bien cela. D’une part : « cette nuit en toi qui t’aveugle, Qui coule et qui assiège la blancheur hagarde. »
Et « l’aveu du peu de soi
S’écoule blessé entre les lèvres »
Et d’autre part (l’autre pente de la même crête où vous vous tenez) !
« Tout au bord de toujours vivre
exposé au souffle »
Oui « tout ce qu’il faut taire pour dire ».
Jean-Philippe Domecq, lettre à l'auteur
Une fois le corps épuisé, l'espoir malmené, le sentiment blessé... Que reste-t-il au poète ? Et bien les mots. Face au vide, au rien, les mots que l'on «affronte à mains nues» demeurent les seuls à faire sens ; ils deviennent l'urgence. Alors «la voix retrouve un chemin inaudible», s'éloigne de «l'heure d'inexister». Le dernier recueil du poète Guy Allix, Le Poème est mon seul courage, prend ce chemin pour fuir peu à peu l'effacement, le silence, ces peurs ancrées dans la voix du poète. D'une meurtrissure intime, de la plaie, creusée à force d'être triturée, naît le chant sincère du poète, une parole juste, pure et forcément bouleversante. Le poème est ce qui demeure, le recueil des instants évanouis, «seul sillon à la trace de vivre». Le poème sera le dernier souffle et au-delà encore... Guy Allix esquisse ainsi une poésie sobre, exigeante, resserrée sur le vital. «À mesure que je suis plus démuni, la poésie me devient plus essentielle.»
Nathalie Colleville, Livre/échange, mai 2004
Noir désespoir que celui de Guy Allix et employer un pléonasme est tout simplement fait pour souligner le mur qui se dresse devant l’auteur de Le poème est mon seul courage. En témoignent ces vers
« Au nom même d’aimer, tout au bord de l’abîme » « ... un attendant l’épreuve ultime... l’irréparable ou tu plonges déjà... t’assoit dans la déchirure, toujours à l’instant du pire... si peu de toi arrive à l’heure... pas la moindre coïncidence a horizon.. ».
Pourtant un sursaut d’énergie, une plausible délivrance par le biais du poème
« J’aurais voulu te donner un mot
Un seul mot ventre ouvert
Un seul mot pour caresse »
ou encore...
« A donner simplement
Dans la courbe du monde
Vivre pourtant ».
Et sila déchirure parcourt toutes ces pages d’écoute (écoute au sens où l’auteur s’adresse à un tu qui lui es un autre soi, miroir sans doute tendu, mais voix vive qui saigne toutes les illusions), nous comprenons et louons avec le poète sa dernière invite au sursaut « malgré la douleur et les livres » (Claude Royet-Journoud).
« Il n’y avait rien. Rien que le poème. À jamais »
Quant aux deux feuillets du « livre de défaite » qui clôt l’ouvrage, qu’en dire sinon que ces aphorismes fouettent le sang, réveillonnent avec le territoire du souffle et défenestrent toutes les évidences.
A mesure que je suis plus démuni, la poésie me devient plus essentielle».
« Un peu de temps et que s’effeuillent les mots dans la voix qui le souffle ».
« Etreinte, éternité », dis-tu poète, et tu inscris ainsi le feu de la lettre au plus profond du vertige».
Marc Syren, Elan, Décembre 2004
« Écrire, c’est fossoyer la nuit jusqu’à percer le petit jour. » C’est sur ces mots de Sylvie Germain que s’ouvre le dernier recueil de Guy Allix, Survivre et mourir. Jour et nuit, vie et mort : les contraires s’appellent, se répondent, pour dialoguer sans fin. Le dernier opus de Guy Allix est sûrement le plus épuré, le plus dense aussi, et aussi le plus noir. Et pourtant : à peine le lecteur a-t-il écrit le mot « noir », que, comme pris de remords, il s’en veut de l’avoir choisi. Comme si la noirceur n’était que de passage, que d’impression, fugace, momentanée, pour devenir, une fois le livre refermé, quelque chose d’étrangement lumineux, une clarté souterraine, nouvelle.
Quelque chose clair, en écho renversé à un grand devancier.
« Je ne sais pas écrire de poèmes d’amour » : ainsi commence un des poèmes du recueil. Et ce même poème se clôt sur ce vers : « Entre des mots de mort. »
Il ne faut jamais vraiment croire les poètes quand ils avouent leurs insuffisances : Allix ne veut chanter l’amour que sur le mode de l’union entre la mort et l’amour. Tristan est-il autre chose qu’un beau conte d’amour et de mort ? Allix écrit sur la mort, qui est au bout du chemin : elle est là depuis le début, sans se cacher, sans déguiser son jeu. La chose est entendue : la fin est dans le commencement. On dirait du Beckett. C’en est.
Allix écrit sur la mort, car le plus important est de ne pas se taire. Les mots, simples, tranquilles, n’ont rien d’un thrène désespéré : au contraire, le poète, par la force du dire, fait concurrence à l’opacité brutale, massive, minérale de la mort à venir. Le poète rythme la mort, mais son poème est une danse vivante, entraînante, entêtante.
Écrire, finalement, c’est survivre. Ou mieux : sur-vivre. Vivre plus haut, plus dru, plus vrai. Paradoxe saisissant : tous ces signes noirs sur le blanc de la feuille, qui égrènent le mot à mot du mot mourir, finalement, au bout du compte, inversent le sens du titre. Mourir et survivre.
La mort n’est pas le dernier mot du Poème. Elle est le premier mot de l’écriture, elle est entre chaque ligne, entre chaque mot, mais elle n’a pas le dernier mot.
Le dernier mot est à la voix, à la main crispée qui écrit, au cri qui vient rayer la feuille, à la trace laissée par l’encre, fût-elle sang, larme, boue.
Par une étonnante alchimie, le terrain reste à la Parole, comme on le dit pour signifier une victoire militaire. Admirable est le dialogue, dans ce recueil, entre la parole et le silence : avec un art consommé des espaces, Guy Allix unit, sépare et rassemble le noir de l’encre et le blanc du papier. La Parole s’offre « en archipel », au sens propre que Char a choisi : ruptures de lignes, mots isolés, décalages subtils, italiques hardis. La forme fait sens, à dessein, et dessine cet arraisonnement que le texte fait de la mort : les mots, les pauvres mots, sont tout petits, mais ils sont grands de cette petitesse même, et, comme le roseau pascalien, ils sont grands de se savoir infimes. Parce que, par leur existence même, ils surplombent cette mort qui vient, aveugle, elle, à ce qu’elle détruira.
Reste le silence. C’est le nom poétique de la parole. L’inflexion chère.
« Faire silence » est un verbe d’action.
Frank Lanot, Livres/échange, 2012
L’auteur pose le problème obsédant : comment vivre notre existence alors que nous avons pleinement conscience de son issue fatale ? Comment vivre en acceptant notre finitude, en sachant qu’un jour tout va s’arrêter pour nous, comment vivre avec cette blessure en chacun de nous ? « Et pourtant cueillir un simple galet sur la plage comme un fruit mûr de l’été. Comme un espoir, une accalmie. Comme un jour de plus après la vie. »
La poésie nous permet de continuer à vivre à travers l’écriture : « Insaisissable instant saisi / Et qui donne / La mesure de l’espace / La mesure de l’amour / Le poème une goutte et le sang ». Le poème, et l’amour qui permet de vivre dans le regard et la mémoire de l’être aimé, bien que les instants d’amour soient aussi éphémères que nos vies.
La poésie de Guy Allix baigne dans un sentiment d’amertume, un mal de vivre qui caractérise notre condition humaine imparfaite. Elle reflète notre aspiration à un idéal probablement inaccessible : « L’effraction toujours au cœur de la langue / Comme l’indice d’une impossible prière / et parfois le prodige d’une lettre / Au solstice du poème / A l’épreuve d’un corps épuisé ». L’auteur sait trouver les mots exprimant notre soif d’absolu qui se manifeste si bien dans le silence du poème.
La tragédie du temps qui passe est une des sources de l’écriture. La foi, c’est avant tout pour Guy Allix, de « croire jusqu’au dernier instant au miracle d’un mot » et au « rêve d’un poème » . C’est le viatique que nous devons emporter pour « survivre ».
« Si ce n’est le sang aux tempes / comme un souffle vain / Si ce n’est la paupière / sur l’épaule d’un jour / Si ce n’est le fruit / comme un œil fatigué / C’est alors le dernier mot / sur le parchemin de vivre »
Eliane Biedermann, Spered Gouez n° 17
Je dois dire que ce livre m’a ouvert au souffle d’une parole puissante et rugueuse dont le rhizome vous pénètre jusqu’à l’os : tu viens de ce cri/ de ce corps dévoré par les mots. Guy Allix porte haut le poème, habite ce cri sans mémoire, le frotte aux parois du réel, aux limites des signes écrits, là où le blanc surgit d’une ombre, aux seuils des solitudes : il n’y a rien parfois / que le froid de la peau seul/ presqu’au vif de la nuit. Nous continuons à traverser ce recueil sous les feux d’une lumière de vent avec des mots éprouvés, frottés à la pierre simple des chemins : A fleur de vivre/ au bord des lèvres/ ces mots humbles/ dans la main donnés/ par la main offerts. Il y a chez Guy Allix la candeur d’une blancheur remuée, un horizon comme une île infiniment/ comme une île tout au bord. On sort de ce recueil apaisé, l’esprit nu car plus perméable au monde sensible, à ce qui palpite derrière le visible dans un autre temps : plus loin que la nuit/ Où tu explores l’abîme/ l’insondable/ la chute. Le poète avance sans bruit porté au centre tumultueux du poème où vient battre le silence de la terre, l’énigme de notre présence, cette douleur parfois vive, inapaisée.
Tu t’enroules dans l’oubli/ Tu déclines le dernier nom/ A l’infini de l’instant passé. Le temps coule dans le jour, l’espace où surgit la beauté va mourir parmi les pierres d’eaux errantes pour rejaillir plus loin : Un jour/ il n’y aura plus de temps/ Et ce sera le temps/ Un jour il n’y aura plus de temps/ Et ce sera le jour. Nous habitons ces textes qui se dénouent au fur et à mesure de leurs surgissements, par un geste, un mouvement de lèvres, une parole jetée au plus près des marges : laisser encore quelques vaines empreintes…/ Même si le souffle est consumé/ Tu restes tout au bord/ tu hésites le dernier pas.
Bruno Geneste, Spered Gouez n° 17
A quoi tient l’aimantation des textes brefs et denses de Guy Allix ? Il y a quelque chose de vivifiant à le lire, tant il se tient « au plus près de la vie », « aux aguets des mots » dans l’humble clarté de l’écriture, simple et ardente, foudroyante de nécessité, où naïveté et lucidité cohabitent. Survivre et mourir ne prend pas sa source de l’eau claire mais de l’éclat noir de la nuit.
C’est avec l’œil et le cœur aux aguets que j’entre dans « Ce silence / A partager / Au plus obscur du jour ». Les mots se tiennent serrés, habitent la gorge, le corps, vibrent d’une tension tragique, imprégnée du feu, dans un silence hors du temps. Son poème précis, concis, sans excédent, rayonne de noirceur où se dévoilent des fulgurances.
Dans une lente remontée non linéaire, Guy Allix, désenchanté, insurgé, s’aventure au bord de lui-même. Discrètement mais impérieusement, il s’extrait avec clairvoyance de ce jeu de dupes où le paraître l’emporte. L’humble lueur du poèmele tient debout et le retient parfois au bord du vide. «Se tenir simplement aux aguets des mots / quand se risque la vie », murmure-t-il, « vouloir le poème comme la seule promesse ». Tourmenté de bout en bout par une « vie in-vécue » qui le déchire, il n’obéit qu’à l’injonction éruptive de l’intensité. Il veut « croire jusqu’au dernier instant au miracle d’un mot ».
Sa voix traverse une méditation anxieuse, impudique, noire et incandescente, chemine vers la mort, thème majeur de son œuvre. Mais la mort, « comme une illusion de vivre », n’a rien d’un thème abstraitement convoqué. Sa blessure, son murmure frôlent ici plus que jamais le silence et la solitude. Dans les moments nus marqués par le tragique, la force errante du vent convoque une parole de frissons et d’autres forces en turbulence. Surgit alors dans un éblouissement une expérience autre de la vie, à la fois physique et métaphysique, dans un rapport sensuel à la terre et à l’humus, où Guy Allix est totalement présent à ce qui est, s’ouvre à l’essentiel, attentif à la respiration et au souffle. « L’arbre (le) recommence ».
Dans le vent les songes la pulsation obstinée de leur houle, « l’écriture comme un regard », le poète se livre humblement, dans une douceur suspendue, au primat du réel, à l’instant de sa présence, dans un équilibre fragile entre l’écoute de soi et la captation du monde, entre le don et la réception, entre le détail et l’essentiel. L’instant est donné dans son intemporalité. Poussé par l’urgence dans sa nudité métaphysique, il se régénère à la vigueur du vent et du souffle. Vent et souffle, au singulier ou au pluriel, sont les mots les plus présents (27 fois) dans le recueil, tout comme terre (24), vie (25), vivre (13)… loin devant mort (12) et mourir (7) comme une lecture trop rapide pourrait le laisser croire, tous mots essentiels d’ici au moment d’« oser le peu pour dire vrai » .
Les saveurs et les douleurs primordiales de la vie se tiennent ici inextricablement enlacées. Dans l’alchimie subtile de son pessimisme naturel passe une énergie qui me réveille et me tient en émoi et en éveil, quand « parfois il y a presqu’une aube / la mémoire comme un rêve à demi-mots ». Survivre et mourir est un livre rare qui mêle la réalité la plus cruelle à l’espoir malgré tout, un livre qui aide à prendre refuge dans ses tremblements et ses replis, un livre qui m’est désormais essentiel.
Marie-Josée Christien, Spered Gouez n° 17
Le poème inaugural donne la tonalité à l’ensemble des écrits de ce nouveau livre de Guy Allix. Il y a, chez ce poète, une réelle volonté de « rebondir », d’aller plus loin, de ne pas s’en tenir à une sombre déréliction. « Tu aimes encore. Tu survis » se dit-il à lui-même et par conséquent, « tu ne peux abdiquer ». Bardé de ces fortes résolutions, le poète s’élance, souffle sur les braises tièdes, ranime les utopies. Il s’interroge toujours et encore sur les traces laissées à travers l’éphémère et l’incertain. Il s’administre des conseils, des mots d’ordre et de désordre, « oser le peu pour dire vrai » dans un monde construit à sa mesure dans le silence et la discrétion. Mystique sans dieu, il n’ose pas prier mais cherche à s’effacer, « partir sans plus de bruit qu’une feuille morte », avec, comme un défi, cette ultime contradiction : « si désespéré que l’on en continue de vivre ». Ce livre fera date car il marque une étape importante dans l’œuvre rare et grave de Guy Allix, œuvre qu’il faut lire et relire pour pouvoir l’apprécier à sa juste mesure.
Georges Cathalo
La formule est grave. Guy Allix n’y va pas par quatre chemins. Il situe son poème, sa quête ultime là même où la mort s’origine, c’est-à-dire plus ou moins dans les contrées obscures du ventre, qu’on porte, qu’on ressent vaguement et qu’on ne contrôle pas. Il rejoue à la limite de l’écœurement la fin, metteur en scène jamais satisfait. Et pour être plus précis, sa fin. C’est aussi lui l’acteur, le héros. Avouer en un dernier souffle cette vie inachevée Guy Allix se positionne déjà au bout. Dans une appréhension anticipée, à la fois anxieuse et lucide du moment du passage terminal. Tout ce qui précède n’est qu’une tentative vaine pour repousser ce transfert final. Il prend cependant une forme, unique, pour supporter cette attente absolue : l’amour. Celui-ci n’est pas une garantie d’une survie paisible, bien au contraire. Les interrogations légitimes sur la mort se doublent de celles sur l’amour, les premières dans les mystères de l’énigme éternelle, les secondes par les affres de la sincérité et de la certitude. Ainsi voisine-t-on le paradoxe Nous rentrerons dans l’ombre / Autrement que par cet amour / Dont nous n’étions jamais sortis L’autre rempart contre cette mort ultime à l’œuvre infiniment c’est l’écriture, le poème qui permet de poser la lutte, la résistance contre la chaos qui envahit doucement le corps et l’âme. Elle tient journal, bilan des comptes de la vie, constat des avancements. J’attends le temps On indique consciemment la procrastination assumée : Remettre à plus tard ce que tu ne feras pas Amour et écriture sont peut-être des parades inutiles mais que faire dans l’expectative totale ? Pauvre Candide, tu attends vainement que ta vie soit achevée pour en finir C’est le risque, mais comment faire autrement ? Guy Allix pose les questions cruciales, il mène sa quête au plus aigu, au plus coupant, au plus vertigineux, une manière extrême de différer le désastre."
Jacmo ("Décharges" n° 151)
Pleurer la chute. Chute solaire, vécue au ralenti… Reste à saisir les instants de feu, les instants de cendre, puis les instants, infinis, où il n’y a rien.
Attraper les minutes de douleur fulgurante, celles où l’on existe encore. La vibration de la vie, le chant des choses, le vif du cœur.
Le poème ou la cendre. La cendre de l’amour ou la vie…
Le recueil de Guy Allix est placé sous l’égide, juste, de Saint Augustin : « Celui qui se perd dans sa passion a moins perdu que celui qui perd sa passion. » Ses poèmes sont aussi une histoire, un parcours. Récit de l’homme qui accepte la chute. Récit du poète qui enchante l’instant suspendu. L’écrivain qui prend le risque de la vie et du temps, lorsque le temps même « s’affaisse comme un linge perdu ». Devenu Icare, le poète ressuscite l’instant amoureux, « l’instant consenti ».
« Il y aura le temps de mémoire
De mensonge parfois
Le temps si court d’exister encore
Et puis viendra peu à peu
Le temps de l’oubli
Infini. »
Ce recueil est l’histoire d’une âme. On l’entoure de silence. Elle vibre, palpite, résiste, « dans la nuit de vivre ». On l’écoute.
Et ne rien ajouter…
« Je ne sais que cette voix qui ne sait pas
Et qui s’insurge
Et qui crie malgré tout
De dépit et de rage. »
…que la voix de Beckett :
« Cette voix qui parle, se sachant mensongère, indifférente à ce qu’elle dit, trop vieille peut-être et trop humiliée pour savoir jamais dire les mots qui la fassent cesser, se sachant inutile, pour rien, qui ne s’écoute pas… en est-elle une ?
Elle n’est pas la mienne, je n’en ai pas, je n’ai pas de voix et je dois parler, c’est tout ce que je sais, c’est autour de cela qu’il faut tourner, c’est à propos de cela qu’il faut parler. »
Gwenaëlle Ledot, http://chronique.litteraire.free.fr/?p=670.
Comme le précise avec raison la quatrième de couverture, « il n’est pas courant que deux poètes unissent leurs voix dans un recueil commun. » Surtout si « unir », comme dans ce livre, est bien l’essentiel : et on comprend dès les premières pages que toute facilité de simple juxtaposition a été écartée, on comprend aussi au fil des poèmes que le titre « Correspondances » acquiert tout son sens, tout son poids.
Aux poèmes de Guy Allix (page de gauche) répondent ceux de Marie-Josée Christien (page de droite et en italique). Les deux voix installent un dialogue fervent dont l’unité et la progression interdisent une lecture décousue : il faut au contraire suivre du premier au dernier poème pour bien s’imprégner des inflexions que la parole de l’un devra à celle de l’autre. Mais le livre « impose » tout naturellement l’attention par le choix d’une écriture ramassée, concise, centrée sur l’urgence de l’essentiel. On perçoit aussi très vite que l’essentiel, dans la tonalité comme dans le fond des poèmes, est un débat entre le clair et l’obscur.
C’est Guy Allix qui, le premier, annonce la couleur, et elle est sombre :
… mourir de ne pas mourir
Comme une blessure sans fin
Qui n’a le temps ni la force
de se murmurer
On reconnaît, dans la lignée de ses précédents recueils, le poète qui se situe « quelque part entre silence et fureur », avec sa vision profondément angoissée de la condition humaine, ses doutes sur lui-même, son pessimisme à l’égard du monde tel qu’il va, à l’égard des pouvoirs et des raisons d’être de la poésie même. Et c’est ce qu’il confie, avec sa sincérité coutumière.
N’y aurait-il, en fin de compte, que ce que je n’ai pas pu donner ? Ces mots perdus.
A cette désespérance que Guy Allix déclinera douloureusement mais sans pathos dans la majeure partie de ses autres poèmes, Marie-Josée Christien répond par de brefs poèmes d’un lyrisme condensé qui sont autant de lampes inlassablement déposées dans le crépuscule et dans la nuit de son interlocuteur :
ton chemin est devant
les larmes
peu importent
les vestiges tailladés de chagrin
Sans faiblir, la confiance de l’une fait écho au désespoir de l’autre. Par exemple, quand Guy Allix écrit :
Quel sera-t-il ce dernier vers
Avant que ne s’effondrent
Les mots eux-mêmes
Et leurs désespérées promesses
Le poème soudain pressé d’en finir
Et de fuir sous moi…
Marie-Josée Christien répond :
il nous reste tout
à écrire
ardemment
La figure de l’antithèse confère donc à ce recueil son architecture :
Lui : Au plus fort de la blessure / Et de l’épuisement. Elle : Chaque jour / reprendre le chemin de l’aube.
Lui : Nous survivons de l’inexistence même / En nul lieu que l’ombre. Elle : L’aube secourable / ranime l’espoir / dans ses lambeaux.
Lui : Puis simplement une dernière fois / Sous le poids de mes maux / Je mourrai. Elle : traces en mémoire / à jamais / tu te relèves.
On ne peut évidemment tout citer : des extraits de poèmes ne sont que des indicateurs, les accumuler ne ferait qu’affaiblir, voire trahir ce que sont les poèmes dans leur totalité. Et surtout, de simples citations ne font que donner à la notion d’antithèse une rigidité qu’elle n’a pas ici. De fait, les poèmes « séparés » par la pagination, s’opposent moins qu’ils ne s’aimantent, s’interpénètrent, se ramifient les uns dans les autres par des fibres secrètes de sympathie.
Alors, ce que l’on retient de ce livre, c’est qu’il est d’abord celui de deux êtres profondément enracinés dans l’exigence de vivre au sommet de soi-même et dans la poésie qui y contribue. Le cheminement du dialogue, s’il ne conduit pas à une « guérison » de celui qui doute toujours et désespère souvent, semble au moins conduire à un soulagement, ne serait-ce que celui d’avoir été entendu, accompagné, compris. Et celle qui a entendu, accompagné, a elle aussi compris l’autre, puisé dans la souffrance de celui-ci la force de graver sa propre vision de la vie.
Le titre « Correspondances » est donc aussi à interpréter comme la rare rencontre élective et fusionnelle de deux intériorités, de deux êtres qui, tout en divergeant, s’accordent parce qu’ils puisent finalement à la même source : celle de la poésie qui, obscure ou lumineuse, nous soulève, nous bouleverse.
Ainsi Marie-Josée Christien n’écrit-elle pas un paradoxe quand elle conclut l’un de ses textes par
tu m’éclaires
d’un poème
où s’écrit le mien
Les deux derniers poèmes du recueil sont d’ailleurs un hommage à la poésie, à la poévie :
D’une voix diaphane et ardente
Un par un fraternels
Nous écrivons le livre
Le chant qui nous fonde
Et qui vient seul au monde
(Guy Allix)
Ce que j’écris
est-ce que je suis
de mieux
(Marie-Josée Christien)
Je laisse le dernier mot à l’écriture limpide de Marie-Josée Christien avant de signaler que « Correspondances » inaugure, aux Editions Sauvages une collection « Dialogue » dans laquelle trois recueils de même inspiration sont annoncés.
Pour en savoir plus sur ces deux poètes qui font beaucoup pour la poésie des autres, on peut consulter leurs sites internet :
- http://mariejoseechristien.monsite-orange.fr
- http://guyallix.art.officelive.com
Jean-François Mathé, revue Friches n° 107
« La vie ne suffit pas à la vie. Jamais ». Avec des « mots qui giclent dans l’urgence », Guy Allix dit une nouvelle fois l’absurdité et la passion de vivre dans son recueil, « Survivre et mourir », paru chez Rougerie.
Le titre du dernier recueil de Guy Allix, « Survivre et mourir », inscrit d’emblée la lecture dans le tragique existentiel. « Je ne sais pas écrire de poèmes d’amour / de poèmes de bonheur / il n’est dans ma bouche / que des mots transis / que des mots crispés sur elle », confie l’auteur d’une poésie sans effusion mais pas sans émotion ni tragique. Une poésie toute de tension, grattant la blessure, celle des hommes conscients de leur finitude et néanmoins assoiffés de communion et de sens, des hommes pour qui « la vie ne suffit pas à la vie. Jamais ».
Ces « mots qui giclent dans l’urgence » en des vers nerveux, abrupts parfois, sont bien ceux d’un enfant de l’absurde que n’aurait pas désavoué Camus, « juste une solitude au monde » que le temps, la mort, le désamour tourmentent. Que faire d’autre que d’« attendre que (sa) vie soit achevée pour en finir » ? Même l’écriture, « ce monde obscur qui grouille sur la page », ne semble guère être d’un vrai secours…
Alors crier ? Peut-être. Avec retenue. Avec des mots. Sans concession. Qui aident paradoxalement à chercher le silence, « la science du vrai » (dire qu’on ne sait jamais) qui est aussi une forme de l’échange : « savoir se taire, c’est simplement reconnaître l’immensité du continent de l’autre ». Vivre et dire le feu qui brûle, consume, anéantit : la vie en somme – qui n’est plus seulement survie dès lors qu’on l’accepte comme passion, dans l’acception presque religieuse du terme.
Il y a de la noblesse en même temps que de l’humilité dans ce désespoir demeuré sans consolation, sans recours. Pas de fioriture ni d’échappatoire : « Toute vie est inachevée. Tout instant est inachevable. »
Michel Baglin, Texture