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Guy Allix, poète
Guy Allix, poète
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Préface d'Extraits du temps

Préface

Les rituels tremblants de la lumière

 

 

Préface des extraits du temps de Marie-Josée Christien, aux éditions sauvages, collection Askell. (contact : editionssauvages@orange.fr)

Voir en fin de page 

 

 

 

Quel que soit le mauvais sort qui m’est peut-être réservé, j’ai eu beaucoup de chance dans ma vie puisqu’il m’a été donné de lire, entre autres merveilles, la poésie de Marie-Josée Christien. Le monde de la poésie contemporaine est tellement vaste et éparpillé que j’aurais pu passer à côté mais les fées m’ont finalement pas mal servi même si elles ont su me faire attendre.

 

 Il se trouve que j’ai droit aussi à beaucoup d’honneur puisqu’aujourd’hui Marie-Josée m’invite à préfacer les extraits du temps.

Mais, soudain, je m’aperçois que la charge est finalement redoutable. J’aime les préfaces certes.  Comme Marie-Josée, j’apprécie qu’on me prenne par la main avant d’entrer dans les mots d’un auteur et, j’ose l’avouer, cela me rassure, moi qui me trouve si souvent ignorant, qui ai besoin d’une petite lumière pour ne pas trop m’égarer… Mais, parfois, et même bien souvent je dois le dire, les préfaciers me paraissent des cuistres abominables de suffisance qui s’érigent en juste juge et s’arrogent le droit de décréter que seul le sens qu’ils accordent au texte est pertinent, ne nous laissant plus le droit d’y vagabonder. Est-il utile de parquer ainsi une œuvre quand il faudrait la pratiquer plus simplement ? Est-il nécessaire de décréter « Le » sens et, tenant le lecteur en laisse, d’éviter à ce dernier de se perdre en chemin et de retrouver ainsi le bonheur des maraudes sémantiques ?

Qu’on me comprenne donc bien : je vais y mettre mes mots certes, comme on y met son grain de sel, mais je vais tâcher de garder le lieu grand ouvert et de ne pas peser puisqu’aussi bien la poésie de Marie-Josée ne pèse jamais. Je vais vagabonder moi-même pour laisser le frère lecteur libre et il n’y aura trace dans ces quelques lignes que de cette pérégrination. Je vais essayer, si tant est que cela est possible, d’évoquer cet univers « humblement » et ce dernier mot, ce mot si obscur, me vient, parlant de Marie-Josée, comme une éclaircie.  Et puis, pour me rassurer un peu, il suffit de savoir d’entrée que, comme toute œuvre véritable, ce que j’appellerais le domaine de Marie-Josée est traversé par une infinité de voies et que demain j’emprunterai moi-même sûrement d’autres chemins buissonniers.

Car j’y reviendrai, c’est sûr. C’est que j’aime cette parole-là qui n’a l’air de rien au premier abord sous ses sabots crottés. Les doctes docteurs passent leur chemin, qui se griment d’une moue dédaigneuse et, ainsi que les trois capitaines de la chanson, ne savent pas ce qu’ils perdent. Il leur faut du clinquant et de l’esbroufe, des « jongleries de formule » et « des artifices de syntaxe » quand il n’y a, dans ce recueil par exemple, nul fard et nulle parure mais, plus nécessairement, cette « loi des cœurs » réclamée par un Artaud. C’est que Marie-Josée n’est jamais dupe des petites manières avec lesquelles on tente d’en imposer au lecteur et de le séduire ainsi qu’une alouette. Elle hausse les épaules devant les procédés frivoles des faiseurs et, face à tel cairn, elle affirme que « le plus beau monument… est aussi le plus simple ». Et, tout vrai liseur le sait, il n’y a peut-être rien d’aussi difficile à tenir que cette dernière simplicité.

On pourrait écouter Marie-Josée comme on se repasse, sur une vieille platine ou plus simplement dans sa mémoire, les « voix chères qui se sont tues » et qui ont dit tant de choses que nous n’entendions pas de leur vivant. C’est là une poésie mystérieusement humaine car elle rejoint et affronte cette énigme que nous, qui sommes « nés / pour tomber et saigner », fuyons si maladroitement.  C’est même une poésie proprement foudroyée d’humanité qui sent, plus qu’elle ne saurait savoir, que « Les hommes meurent parfois  / à l’heure où le silence leur murmure  / ce qu’ils sont », qui sent que les hommes qui « parlent de lumière » « oublient leur ombre sur le trottoir ». Une parole qui sent que « questionner reste l’essence  / de notre espèce »  et ici chaque poème est question (combien de points d’interrogation viennent clore/ouvrir ces poèmes ?) quand bien même, parfois, il donne des réponses… qui ne font jamais qu’interroger.

Il y a là, entre autres, cher lecteur, dans cette absence de réponse, comme une blessure, comme la trace d’une chute, d’un abandon, et, avec cela, l’interrogation même sur le pouvoir de la parole, Cette parole qui n’est plus présence mais « absence » alors que « Le monde / est un régulier mouvement / d’oubli ». Très souvent, au fil de ces pages, la négation « ne plus » dit cette dépossession. Ainsi dans ce poème :

« Notre esprit

n’est plus capable de comprendre

l’univers tout entier

 

 

Nous ne parvenons qu’à percevoir

çà et là

des éclairs indéchiffrables

 

 

Existe-t-il une pensée exprimable

en fin de compte ? »

 

 Oui, « ceux qui savaient ne savent plus » et « toute nuit / n’est que l’ombre / d’un dieu perdu ». Mais évoquant cette perte, cet abandon, d’un Eden jadis entrevu tel le « souvenir d’un reflet », Marie-Josée, par ses questions et dans son aveu d’impuissance même, nous met à notre monde qui pour être terrible n’en est pas moins nôtre. Elle nous met au devant de notre glaise. Certes, « simples éclats / du savoir de l’univers / nous ignorons tout » mais cette ignorance n’est rien moins que paradoxale : elle est aussi affirmation, confirmation. Bien loin de ces « disciples de la lumière » qui « n’ont jamais inventé que des ténèbres opaques », elle est cette lucidité dont un autre poète affirmait qu’elle est la « blessure la plus proche du soleil » (René Char). Et, comme en écho, Marie-Josée de rappeler que « la lumière /est née d’une énergie douloureuse. ».

C’est qu’il y a justement ces éclats multiples ou ces reflets auxquels « nous sommes condamnés », parfois aussi indéchiffrables pour le poète qu’une pierre de rosette, mais n’en demeurant pas moins porteurs, justement, d’indicibles promesses qui nous tiennent en haleine. Et en patience…

Ce mot, « patience », Marie-Josée le porte, avec toute son épaisseur, douloureuse elle aussi, en chacun de ses poèmes. Ne louera-t-elle pas les « temps morts » en un autre recueil ? C’est que, là encore, tout est paradoxe et il nous faut affronter l’ombre pour débusquer en son sein quelque lumière. « Tout ce froid / qui hurle noir/ est une source. » écrit Marie-Josée… Et un peu plus loin : « le soir ajoute / un éclair d’ombre ».

Si notre poète (elle n’aime pas, comme moi, le mot « poétesse »…) sait apprécier à sa vraie mesure ces temps éteints, c’est qu’elle sait y décrypter la braise ténue et l’humble lecteur vit alors non une durée diffuse et étale mais un temps bien ardent, subtilement ardent derrière le voile, et qu’il faut savoir étreindre quand bien même il n’est que « ce présent / auquel il nous faut tenir tête. ». Ce présent soudain si lourd, en dépit des apparences, de ces ruptures qui sont aussi bien des concentrés, ce présent si chargé de ces sourdes étincelles chères à un Bachelard qui eût lui aussi aimé cette parole-là.

Ce présent soudain si fort de ces instants lumineux. Et j’y reviens car toute la poésie de Marie-Josée interroge autant la lumière que le temps (ne seraient-ils pas consubstantiels ?). Jusqu’à aller la traquer dans le noir (complet ?) ainsi que la peinture d’un Soulages : « connaître le noir comme lumière ».

Mais j’arrive à terme. Je me suis sûrement encore un peu perdu et c’est tant mieux mais il faut que je laisse mon semblable, mon frère, à son propre vagabondage, à sa juste errance, ainsi que j’ai promis. J’ai bien peur, déjà, d’avoir quelque peu défraîchi ces « extraits du temps », d’avoir fané le parfum que je voulais partager et assombri par trop d’échos quand j’aurais voulu en restituer tout le lustre. C’est qu’il faut savoir se taire, c’est qu’il n’y faut pas un mot de trop :   

« Se taire

afin que nul mot de trop

ne sépare nos bouches

et que nul monde merveilleux

ne tombe en ruine »

Alors ce sont mes mots qui « se dispersent/ comme les reflets de quelqu’un » et je laisse finalement la parole à cette merveille-là, à ce reflet du poème qui va se mirer maintenant « dans les yeux d’un autre ».

A ce dernier reflet, à ce dernier écho, qui laissera, enfin, la parole au poète, cette parole toujours recommencée, comme après « l’ami de l’an mil » (Claude Roy), sur les « tessons/ du temps » : « Ils m'ont appelé l'obscur et j'habitais l'éclat » (Saint-John Perse, Amers)…   « J’aime ce qui m’éblouit puis accentue l’obscur en moi. » (Marie-Josée Christien, Extraits du temps).

 

 

Guy Allix

 

 

Nous espérons tirer notre épingle du jeu/ mais ce n'est pas un jeu": au moment de commencer cette lettre, ces deux vers me reviennent, s'imposent, ils disent fidèlement le double mouvement qui anime constamment les extraits du temps. Tantôt le constat lucide: tout nous accable, la nuit, la mort, est exprimé sans faux-fuyants, comme il convient. Tantôt dans l'élan qui permet au poème de se donner l'espoir, oui, la volonté de ne pas en rester là avec la nostalgie, avec "le dérisoire et l'inutile". Il y a  une grande force, en dépit de tout, qui vous soulève... Je ne connaissais de vous que quelques pages çà et là: merci de m'avoir permis de mieux vous connaître. (Merci également au préfacier d'avoir servi d'intermédiaire).

A vous, de tout cœur

Pierre Dhainaut, lettre à Marie-Josée Christien  

 

Chère amie,

Je vous remercie de m'avoir adressé "Les extraits du temps", poésie de haute tenue qui permet sans doute que le lecteur "éloigné de son âme" s'en rapproche un peu. L'ami Allix dit avec justesse ce qui importe.

Très cordialement

Jean-Pierre Siméon, lettre à Marie-Josée Christien

 

 

 

 

Chère Marie-Josée Christien,

Je suis très touchée par vos poèmes, qui s'ouvrent sur un temps immémorial, un vertige. "Toute nuit / n'est que l'ombre / d'un dieu perdu", est l'une des plus belles choses que j'ai jamais lues.

Bien amicalement.

Annie Ernaux, Lettre à Marie-Josée Christien

 

 

  

Les extraits du temps

 

 

Marie-Josée Christien

 

 

Préface de Guy Allix

 

Collection Askell

éditions Sauvages

 

 

 

122 pages; 13 €

 

 

Réédition en un seul volume des deux opus publiés en 1988 et 1991 aux Editions Interventions à Haute Voix.

 

 

« C’est là une poésie mystérieusement humaine car elle rejoint et affronte cette énigme que nous, qui sommes « nés pour tomber et saigner », fuyons si maladroitement. Ici chaque poème est question quand bien même, parfois, il donne des réponses… qui ne font jamais qu’interroger. »

Guy Allix

 

 

Marie-Josée Christien est poète, critique et collagiste. Elle enseigne dans une école maternelle. Elle est responsable de la revue annuelle Spered Gouez / L’esprit sauvage qu’elle a fondée en 1991. Elle a reçu en 2009 le prix Xavier-Grall pour l’ensemble de son œuvre.

 

 

Commande du recueil

 

 

Les coordonnées postales et un bon de commande   peuvent être demandées à : editionssauvages@orange.fr

 
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