Cette nouvelle page, qui sert désormais d'accueil en quelque sorte après mes propres pages, est destinée à donner à lire un seul poème.

 

Le beau poème de Georges Drano a rejoint celui de Denis Emorine dans "les archives"... Nous donnons désormais à lire ce poème... du dernier instant écrit par l'ami Bruno Sourdin. C'est peu de dire qu'on peut écrire après Auschwitz et après Hiroshima pour répondre à Adorno. On doit écrire et témoigner d'un reste d'humanité.  

 

 

Puisqu’il me faut quitter cette terre

 

 

 

 

Puisqu’il me faut quitter cette terre où je ne reconnais plus rien, ni les rivières ni les arbres ni l’eau ni le vent

Je ne voudrais pas partir sans dire adieu à l’étoile qui me suivait

Adieu à l’air du printemps, au cri des corbeaux oiseaux vagabonds

Adieu à l’esprit du tonnerre et de la fumée, à l’esprit qui souvent proteste

Adieu aux nuages et à l’herbe fraîche

Adieu à la machine à pluie, à l’arc-en-ciel laissé à l’abandon

Adieu à la plus belle nuit de ma vie, à cet étrange sentiment d’éternité

Adieu à la foudre dans le vide obscur

Adieu à mes enfants aux yeux de soleil, société secrète des corps immobiles

Adieu aux galops des chevaux, cliquetis incessants de la pendule

Adieu à ma maison pleine de livres

Adieu aux foules sans noms, têtes de mourants terrifiés

Adieu aux mamans brûlées vives entre les mains de la bombe

Adieu aux visages cloqués et écorchés, muses irradiées accablées de chagrin dans la nuit qui tonne

Adieu aux esprits anéantis avalés par le champignon géant, aux esprits rampant dans leurs excréments

Silhouettes écorchées, restes calcinés des villes, peaux arrachées, décombres en flammes

Adieu au crépuscule de fer

Adieu poème mort

Je ne voudrais pas quitter cette terre sans dire adieu à ma douce mère, frères humains méconnaissables

Adieu hirondelles âmes brillantes et salut aux nouveaux fantômes déjà en marche dans l’inconnu

 

 

Bruno Sourdin, in L'air de la route, éditions Gros textes, 2013