La force du doute
La force du doute
In Spered Gouez / L'esprit sauvage n° 16
C’est un plaisir renouvelé à l’infini qui accompagne ma relecture de l’œuvre de Guy Allix. C’est d’ailleurs à cette caractéristique essentielle, loin de la glose savante, que je reconnais une œuvre. J’aime découvrir les constantes, les échos, les correspondances que Guy Allix noue à chaque fois qu’il reprend un thème d’élection : solitude, déracinement, doute, déchirure, précarité. Se révèle alors à moi peu à peu l’alphabet personnel sous-jacent que développe le poète de recueil en recueil, qu’une première et unique lecture ne parvient pas à discerner. C’est une approche feuilletée où les sens multiples deviennent repérables, à la manière de strates géologiques. La suite des recueils de Guy Allix n’en forme alors plus qu’un seul, pris dans une « mouvance » (à rapprocher de « Mouvance mes mots » titre emblématique de l’un de ses recueils) indistincte, flottante mais indélébile qui désormais circule dans ma pensée.
Les partitions séparées construisent alors en moi un ensemble en cohérence où se conjuguent tumulte et apaisement, mémoire et errance, incertitude et espérance, inquiétude et quête intérieure. C’est assurément la force suggestive de la relecture qui me permet de m’enfoncer chaque fois un peu plus profondément à la découverte de « ce qui s’égoutte entre les mots »(1), d’aller à la rencontre de l’intensité fragile et sensuelle de cette poésie qui m’aimante l’esprit et les sens. Et ces mots sculptés où l’émotion reste prégnante peuvent alors palpiter intensément en moi, denses, noirs, voluptueux, vibrer longtemps et laisser à jamais leur empreinte, car « seul compte ce qui ne s’attend pas » (1).
Guy Allix s’inscrit dans le cercle infime de ceux que le réel obsède par sa proximité immédiate et en même temps par sa résistance à se laisser dire dans « l’insensée dérobade des mots » (3). Loin de la vanité, des complaisances et des bons sentiments, sa voix se confond humblement avec « ce souffle/ qui se courbe vers la glaise » pour retrouver « un chemin souverain » (4). Guy Allix cherche surtout à « écrire / où (il) ne sai(t) pas » (3).
Il ne tente pas de domestiquer le réel, mais de « modeler la glaise et le feu » (1), d’« écrire /lorsque ce n’est plus possible »(3). Par le poème, alliance de la sensibilité et de l’esprit, il le transforme avec la force du doute qui rayonne intense comme un noyau premier. Tourmenté et lumineux, « à mots perdus dans l’épreuve de vivre » (1), il opte pour la vie, telle qu’elle est donnée et reprise, mais vécue au plus près, dans la tension d’un perpétuel et amer enchantement. C’est une poésie qui transcende, dense et intense, élève à l’infini l’expérience humaine. De ce creuset où il pétrit, travaille, façonne, sculpte et taille, Guy Allix retire une matière secrète, celle des paroles d’avant l’aube.
Dès les premières lignes de Guy Allix, on n’échappe pas à l’appel de la terre, à « l’ardeur et la cendre / sous le pouls du monde » (3). On y reconnaît ses racines profondes, celles de la vie qui coule et creuse, souterraine, généreuse, « simplement la vie vécue » (1) qui nous anime et nous relie. Face à « la patience de la terre » (1), on devient à la fois réceptacle et creuset « des mots lourds d’habitude et de terre » (3). « Dans le rythme lent des jours qui passent » (3), Guy Allix pressent et vérifie le mystère des jaillissements et des origines, quand « le temps reflue jusqu’à sa source » (1), trace l’itinéraire invisible: « tu remontes le pas du rêve / vers une autre mémoire » (1).
Nulle pesanteur dans l’écriture. La transparence et le silence font écho aux ombres et opacités « dans la tendresse d’un seul rêve » (2). Ce qui séduit ici, c’est justement ce qui ne cherche pas à séduire. Guy Allix a l’art de rendre vibrant d’intensité le moindre mot, de « dire le peu qu’il faut pour tout dire » (2). Il entremêle avec une rare tension douceur et âpreté, passe d’un instant de la légèreté à la gravité, de l’ombre à la lumière. Méditatif et grave, il tire sa puissance de la simplicité de l’épure : « Seule la fragilité/ Ce rien pour tout dire /Et l’instant d’un mot qui bat » (4).
C’est là une poésie hautement personnelle, loin des faux-semblants qui nous cernent. Son dépouillement même m’invite avec connivence à « retrouver la grande patience de la parole/ l’ivresse de la pierre » (2), à suivre le long et ardent chemin des sens et de l’esprit, vers la quête impérieuse de l’inachevé. Une quête en guise de viatique que nous avons désormais en partage.
Marie-Josée Christien
1) Le déraciné (Rougerie)
2) Lèvres de peu (Rougerie)
3) Solitudes (Rougerie)
4) Le poème est mon seul courage (Le Nouvel Athanor)
Spered Gouez / L'esprit sauvage n°16
Signe des traces
Couverture : Roger Dautais (artiste de Land Art)
Avis de tempête : Gérard Prémel
Escale : Pradip Choudhuri dossier et entretien préparé par Alain Jégou
Mémoire : Xavier Grall par André Daviaud
Tamm-Kreiz : Guy Allix, entretien avec Marie-Josée Christien. Articles de Marie-Josée Christien, Jean-Luc Steinmetz et Yvon Le Men
Chroniques Sauvages par Yann Faou, Jean-Claude Bailleul, Patrice Perron, Eliane Biedermann, Bruno Geneste, Guy Allix et Marie-Josée Christien
Signe des traces textes de Roger Dautais, Colette Klein, Hervé Lesage, Marilyse Leroux, Maï Ewen, Yann-Varc'h Thorel, Gérard Cléry, Guénane, Serge Lanoë, Philippe Gicquel, Jean-Pierre Boulic, Jacqueline Saint-Jean, Georges Cathalo, Guy Allix, Marie-Josée Christien, Pierre Colin, Jacques Basse, Martine Morillon-Carreau, Isabelle Moign, Robert Nédélec, Jean-François Dubois, Fred Johnson, Robert Momeux, Chantal Couliou, Jean-Louis Bernard.
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