Entretien avec Sylvie Bénard
Guy ALLIX
Des mots comme des ombres
« Se nourrir d'errance! Alimenter le juste doute »
Frêle, sensible, Guy AlIix construit, à coup de mots, une œuvre poétique qui lui ressemble. Interrogeant sans cesse la réalité, sa parole la dépasse même si le poète écrit que « cela finira par de la terre I Même ton cri. »
Depuis l'âge de dix-huit ans, Guy Allix a fait le choix de l'écriture poétique. D'abord par goût pour certaines chansons, celles de Brassens, Brel, par exemple. « Quand j 'ai commencé à écrire, je voulais tout simplement faire comme eux ; et j'ai donc commencé par écrire surtout des chansons », confie l'auteur de Solitudes. La rencontre avec les grands textes littéraires dont ceux de René Char et de Paul Eluard, mais aussi Rimbaud, Verlaine s'est faite plus tard, son enfance ne lui ayant pas accordé l'accès aux livres « mes armoires étaient vides, comme celles d'Annie Ernaux », dit-il. Pour autant, son écriture est singulière et celui qui a travaillé sur l'œuvre de Jean Follain n'en subit pas l'influence. « Dans une œuvre, on reconnaît une voix. Je suis attaché la singularité. » Guy Allix, en écrivant « Tout ce qu'il faut taire pour dire », nous livre une poésie nécessairement exigeante, resserrée, qui se construit sur un fil tendu. La parole devient parfois coulante ! Aux commissures les lèvres « Comme pour guérir le creux. » livre-t-il dans Mouvance mes mots. Sans s'opposer, apparaissent toujours, comme lieu de tension jamais résolue, un dehors et un dedans ; une surface, « une peau qui vient de loin » et un creux comme il l'écrit si souvent.
Le corps et le sang
Guy Allix développe progressivement une poésie du corps, du mouvement comme une blessure qui n'en finit pas de suinter. Il n'écrit pas sur le corps mais à partir de son corps, d'un "ventre de questions". Le corps est à la fois vie et mort : « celle qui m'a mise au monde m'a aussi tué », écrit Le Clézio qui connaît la poésie de Guy Allix. L'expérience fondamentale est celle de la mort. « J 'ai toujours considéré que la pensée commençait à la mort. La mort nous inscrit dans une espèce de minéralité - la terre, l'argile - ou de liquidité - le sang, la sueur, le sperme - qui noie l'homme, qui le noie jusqu 'au silence »
Le corps, c'est une forme déracinée, arrachée à une autre vie que la mémoire enracine. « La mémoire bat des rythmes /Sur nous comme des tenailles ». Même s'il le nie, il s'inscrit nécessairement dans une mémoire, celle de son histoire. « d'une enfance plutôt sombre », comme il l'évoque avec beaucoup de pudeur et de respect pour les artisans de cette misère. Une même parole se perpétue de recueil en recueil. « Aujourd'hui, de quoi parlons-nous ? De corps, d'amour, de mort, de sang, de sueur.. Je suis un mystique sans Dieu. L 'art religieux m'interpelle; la prière me parle en ce qu'elle dit notre précarité. »
Le juste doute
Guy Allix se méfie des certitudes. L'auteur de Fragments des fuites répète : « Se nourrir d'errance, alimenter le juste doute ». « Mon écriture est vagabondage ; on se doit d'affronter 1'errance, d'éviter l'enracinement. Le déracinement est douleur mais chance aussi et je l'assume » Il parle alors de son écriture sur la corde raide. « Sitôt que je nomme la chose, sitôt que je nomme l'être aimé même, ce qui est nommé meurt. Les mots n'inscrivent que des ombres. Et c'est là que naît pour moi la poésie. Dans ce malentendu originel et définitif qui se retrouve aussi bien dans l'expérience fondatrice et effarante de la mort. J'écris parce que je ne sais pas. Mais dire « je ne sais pas » nous confronte à l'impossible. Comment affronter ce paradoxe d'un savoir du non savoir ? Comment le dire même quand l'interlocuteur ne pourra prendre en charge cette déception ? Le poème, lui, affronte le paradoxe et le singulier et je sais que, si j'en parle, je ne fais que passer à côté du paradoxe et du singulier, ,et que cette parole qui se prolonge tente désespérément de renouer les fils et les morceaux ». Guy Allix a résolument choisi l'écriture poétique comme seule possibilité de dire l'impossible, la déroute, l'effarement.
L'impossible vérité
Depuis vingt ans, le poète creuse toujours au même endroit, tord les mots et leur donne forme, habité par la douleur qu'il nomme « séparation » ; avec une conscience aiguë de l'inéluctable, de « l'irrémédiable ». Guy Allix se tient comme un vassal de l'écriture, du langage. C'est ainsi qu'il faut appréhender le mot « mouvance », c'est-à-dire « dans son sens originel. Médiéval » précise-t-il. « L'humilité est indissociable du travail d'écriture, c'est un préalable, la condition même de l'expérience poétique. » L'émotion est un élément moteur dans la pratique de son écriture : « ensuite, c'est tout le travail sur le langage qui attend le poète ; c’est un travail d’artisan ». « consens à ce que les mots te taraudent et t’agrippent » écrit-il dans le Déraciné.
Guy Allix, même si la vérité est impossible, si tout s’achève dans l’ensevelissement, dans la terre, ne renonce pas. Car « il y a des jours pourtant où les mots coïncident » (Fragments des fuites). C’est dans l’amour – que le poète considère comme « peut-être le plus grand mythe de l’espèce humaine » - que nous apprenons l’impossible sans pour autant nous départir de ce sentiment. « Quelquefois, je me dis que les plus belles histoires d’amour sont celles que l’on a évitées. Il faudrait peut-être savoir passer à côté d’une femme, graver son nom et son parfum au fond de notre corps et partir très loin pour l’aimer dans son absence même. Lui donner alors quelque chose comme un poème ou une œuvre d’art, quelque chose qu’elle ne recevrait jamais et qui pourtant contiendrait notre amour même. Mais voilà, on s’arrête et on étreint et on a(b)îme et on se consume dans cette souffrance. » Guy Allix ne cesse de parler de cet apprentissage de l’impossible ; « même tes fleurs étaient crispées », lance le poète dans Mouvance mes mots.
Osons une comparaison, pour comprendre le cheminement de Guy Allix, entre le poème et la femme rêvée, évitée », qui permet de nourrir un sentiment d’amour, une énergie vitale qui chemine vers un accomplissement progressif de l’œuvre poétique. C’est bien dans la séparation, celle d’avec les mots et ce qu’ils nomment, qu’écrit le poète pour une impossible harmonie sans cesse recherchée. « Solitude », « déracinement », « mouvance », « fragments » ; autant de mots qui tentent de dire cette irrémédiable séparation. Une lucidité qui n’est en rien tragique et livre des poèmes qui transcenderont leur auteur.
Sylvie Bénard, Livre /échange n° 12