Poèmes pour l'amitié (12)
Nicole Laurent-Catrice
En ce jeudimanche... - Oui, jamais très ponctuel ! - je donne la parole à l'amie Nicole Laurent-Catrice car elle la mérite bien, la parole, tant elle l'utilise sans l'user et ce avec cette belle justesse et cette générosité rare. Aussi, je tiens à ne pas être trop bavard pour présenter les poèmes de Nicole, par ailleurs grande lectrice de Angèle Vannier dont je reparlerai bientôt, car ce serait sacrilège, comme un écho dissonant et vain. Et je place mon poème, "Le Nord", après les siens comme un simple signe de complicité avec celle qui connaît si bien aussi cette région de mon enfance. En fin de page, on trouvera une présentation de Nicole sur Wikipedia et un autre lien vers la chanson "Le viol de Lucrèce" composée à partir d'un de ses poèmes.
Poèmes de Nicole Laurent-Catrice
à Angèle Vannier
à Gilles Fournel
Ce fut cette année-là que les pommes pourrirent
avant que d'être mûres.
Ce fut cette année-là
que les oiseaux perdus reprirent leurs vieux nids
que les chats efflanqués vinrent pleurer aux portes
et que les étourneaux
semèrent la fièvre dans les près.
Ce fut cette année-là
Qu'une enfant au visage fut brûlée
qu'un jeune homme mourut une nuit de Noël.
Ce fut cette année-là que l'astre de la nuit obscurcit le ciel
que les corbeaux blanchirent en plein vol
et que le lait noircit dans les marmites.
Ce fut cette année-là
que la malheur fondit sur la femme emmurée
que les lacs déversèrent leurs tourbillons de boue
sur des hameaux entiers.
Ce fut cette année-là
que l'homme foudroyé
tomba au milieu de l'office.
Ce fut cette année-là ou l'autre ou l'autre encore
que moururent tant de poètes
que nous ne guérirons de notre orphelinage.
Ce fut cette année-là
et c'est cette année-ci et c'est cette année-ci.
***
à Angèle pour la dernière fois
Nous avions encore tant à te dire
maintenant tu sais...
Le langage a cesssé d'être trahison
le silence, barrière.
Nous vieillirons ensemble désormais.
Les bandes magnétiques, le téléphone,
les ondes n'ont plus cours.
Tu nous laisses tes mots pour célébrer
c'est nous qui sommes ta voix
dans cette distance à n'en plus finir
d'un coup abolie.
Dans la nuit plus profonde que la nuit
tu vois la lumière
la clef de l'énigme t'est donnée
et, le miroir, tourné.
Les aveugles c'est nous désormais.
Ce cœur usé de tant d'éphémère
ce cœur d'intensité
a cessé de battre à l'horloge du temps
car seule pouvait combler sa quête
l'éternité.
Le verbe t'avait prise pour prêtresse
Tu as rallié la demeure du feu
centre où s'accomplit
dans l'immobilité soudaine des astres
le grand œuvre de chair.
© Nicole Laurent -Catrice, La Sans Visage, éd. Ere 1996
***
Le Nord
à Pierre Dhainaut
à Denis Gambiez
1
Douai le beffroi carillonne
A ma mémoire
La Scarpe tisse ses repères
Pecquencourt Vred Marchiennes
Très loin au bout de ces noms
La mer vers le Nord...
...Rêve d'enfance
2
La terre se faisait noire
Comme ma peur
La terre recouvrait la terre
Et saignait des briques rouges
3
Ce pays se sculptait avec la sueur. Le travail des hommes l'habitait tout entier.
4
Seuls les terrils
Parfois immenses
Limitaient le regard d'enfant
La terre y reprenait ses droits
L'arbre recouvert renaissait
S'enracinait dans cette écorce noire
5
C'était ce pays de froid dans le dos Qui tout entier travaillait à la chaleur
6
Champs ouverts entre deux villes
Entre deux corons
La terre assiégée donnait encore
Du coeur au ventre
7
C'est là que j'ai appris l'humilité, que j'ai appris à m'enfoncer dans la terre.
8
L'hiver il fallait chercher le feu
Grapiller
Au bas du terril
Le feu était parfois déterré
A coups de pied
Gaillettes froides comme des glaçons
Gaillettes perdues au milieu des pierres
Arêtes vives qui brisaient
Les mains et le dos de l'enfant
9
Au loin le soir
La lueur rouge de la sidérurgie
La terre pouvait-elle fondre
Comme la lave sous nos pas ?
10
Ce pays donnait le Nord
La peau y trouvait sens
Aux pavés des chemins
Se dessinait le tremblement de vivre
11
La terre sûrement portait en elle
Des tas de secrets
Et l'histoire du monde nous réchauffait
12
Les gens se cachaient pour donner
Ils recouvraient la peine d'un sourire
Et portaient comme un vêtement
Le rire et la joie
13
La seule richesse était noire
Elle sortait en hurlant
Comme du ventre de la mère
14
Les filles se donnaient tôt comme la terre
Elles avaient le temps aux trousses
Et permettaient l'amour qui cherche au plus profond
Elles offraient la chaleur pour une rose
15
C'est leur beauté sans doute
Et le grain de leur peau nue
Qui permettait au mineur
D'affronter la nuit
16
Les garçons les regardaient
Et forgeaient leurs rêves
Sur l'image devinée de leur corps
Pour s'abîmer sur un ventre inventé
Tout chaud de la tendresse retrouvée
17
La corne d'une péniche
Déchirait le ciel
Un pont se levait
Laissait passer un rêve
18
Plus loin encore
On travaillait pour la chaleur
Qui recouvre la peau
19
C'était le pays où je n'étais pas
Où je ne savais que n'être
Aujourd'hui j'ai perdu sa lumière
J'ai perdu le Nord et mon enfance
© Guy Allix, Lèvres de peu suivi de Le Nord, éd. Rougerie, 1993
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre. Nicole Laurent-Catrice est une écrivaine française, née en 1937 dans le nord de la France. Après une enfance en Anjou puis à Paris, elle vit aujourd'hui [Quand ?] en Bretagne depuis 1970. Hispaniste, elle étudie quelque temps la langue bretonne pour des raisons culturelles et personnelles.
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© Photo de Nicole Laurent-Catrice par Yvon Kervinio