Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Guy Allix, poète
Guy Allix, poète
Pages
12 mai 2022

Poèmes pour l'amitié (12)

Poèmes pour l'amitié (12)

Nicole Laurent-Catrice

 

En ce jeudimanche... - Oui, jamais très ponctuel ! - je donne la parole à l'amie Nicole Laurent-Catrice car elle la mérite bien, la parole, tant elle l'utilise sans l'user et ce avec cette belle justesse et cette générosité rare. Aussi, je tiens à ne pas être trop bavard pour présenter les poèmes de Nicole, par ailleurs grande lectrice de Angèle Vannier dont je reparlerai bientôt, car ce serait sacrilège, comme un écho dissonant et vain. Et je place mon poème, "Le Nord", après les siens comme un simple signe de complicité avec celle qui connaît si bien aussi cette région de mon enfance. En fin de page, on trouvera une présentation de Nicole sur Wikipedia et un autre lien vers la chanson "Le viol de Lucrèce" composée à partir d'un de ses poèmes.

 

Poèmes de Nicole Laurent-Catrice

Nicole Laurent Catrice (F) Alicante

à Angèle Vannier

à Gilles Fournel

 

Ce fut cette année-là que les pommes pourrirent

avant que d'être mûres.

Ce fut cette année-là

que les oiseaux perdus reprirent leurs vieux nids

que les chats efflanqués vinrent pleurer aux portes

et que les étourneaux

semèrent la fièvre dans les près.

Ce fut cette année-là

Qu'une enfant au visage fut brûlée

qu'un jeune homme mourut une nuit de Noël.

Ce fut cette année-là que l'astre de la nuit obscurcit le ciel

que les corbeaux blanchirent en plein vol

et que le lait noircit dans les marmites.

Ce fut cette année-là

que la malheur fondit sur la femme emmurée

que les lacs déversèrent leurs tourbillons de boue

sur des hameaux entiers.

Ce fut cette année-là

que l'homme foudroyé

tomba au milieu de l'office.

Ce fut cette année-là ou l'autre ou l'autre encore

que moururent tant de poètes

que nous ne guérirons de notre orphelinage.

Ce fut cette année-là

et c'est cette année-ci et c'est cette année-ci.

***

à Angèle pour la dernière fois

 

Nous avions encore tant à te dire

maintenant tu sais...

Le langage a cesssé d'être trahison

le silence, barrière.

Nous vieillirons ensemble désormais.

 

Les bandes magnétiques, le téléphone, 

les ondes n'ont plus cours.

Tu nous laisses tes mots pour célébrer

c'est nous qui sommes ta voix

dans cette distance à n'en plus finir

d'un coup abolie.

 

Dans la nuit plus profonde que la nuit

tu vois la lumière

la clef de l'énigme t'est donnée

et, le miroir, tourné.

Les aveugles c'est nous désormais.

 

Ce cœur usé de tant d'éphémère

ce cœur d'intensité

a cessé de battre à l'horloge du temps

car seule pouvait combler sa quête

l'éternité.

 

Le verbe t'avait prise pour prêtresse

Tu as rallié la demeure du feu

centre où s'accomplit

dans l'immobilité soudaine des astres

le grand œuvre de chair.

 

© Nicole Laurent -Catrice, La Sans Visage, éd. Ere 1996

 

***   

 

Le Nord

 à Pierre Dhainaut

à Denis Gambiez

 

 

1

Douai le beffroi carillonne

A ma mémoire

  

La Scarpe tisse ses repères

Pecquencourt Vred Marchiennes

  

Très loin au bout de ces noms

La mer vers le Nord...

 

...Rêve d'enfance

 

2

La terre se faisait noire

Comme ma peur

 

La terre recouvrait la terre

Et saignait des briques rouges

 

3

Ce pays se sculptait avec la sueur. Le travail des hommes l'habitait tout entier.

 

4

Seuls les terrils

Parfois immenses

Limitaient le regard d'enfant

 

La terre y reprenait ses droits

 

L'arbre recouvert renaissait

S'enracinait dans cette écorce noire

 

5

C'était ce pays de froid dans le dos Qui tout entier travaillait à la chaleur

 

6

Champs ouverts entre deux villes

Entre deux corons

  

La terre assiégée donnait encore

Du coeur au ventre

  

7

C'est là que j'ai appris l'humilité, que j'ai appris à m'enfoncer dans la terre.

  

8

L'hiver il fallait chercher le feu

Grapiller

 

Au bas du terril

Le feu était parfois déterré

A coups de pied

  

Gaillettes froides comme des glaçons

Gaillettes perdues au milieu des pierres

  

Arêtes vives qui brisaient

Les mains et le dos de l'enfant

 

9

Au loin le soir

La lueur rouge de la sidérurgie

 

La terre pouvait-elle fondre

Comme la lave sous nos pas ?

 

10

Ce pays donnait le Nord

La peau y trouvait sens

 

Aux pavés des chemins

Se dessinait le tremblement de vivre

 

11

La terre sûrement portait en elle

Des tas de secrets

 

Et l'histoire du monde nous réchauffait

 

12

Les gens se cachaient pour donner

Ils recouvraient la peine d'un sourire

Et portaient comme un vêtement

Le rire et la joie

 

13

La seule richesse était noire

Elle sortait en hurlant

Comme du ventre de la mère

  

14

Les filles se donnaient tôt comme la terre

Elles avaient le temps aux trousses

Et permettaient l'amour qui cherche au plus profond

  

Elles offraient la chaleur pour une rose

 

15

C'est leur beauté sans doute

Et le grain de leur peau nue

Qui permettait au mineur

D'affronter la nuit

 

16

Les garçons les regardaient

Et forgeaient leurs rêves

Sur l'image devinée de leur corps

  

Pour s'abîmer sur un ventre inventé

Tout chaud de la tendresse retrouvée

 

17

La corne d'une péniche

Déchirait le ciel

  

Un pont se levait

Laissait passer un rêve

 

18

Plus loin encore

On travaillait pour la chaleur

Qui recouvre la peau

 

19

C'était le pays où je n'étais pas

Où je ne savais que n'être

 

Aujourd'hui j'ai perdu sa lumière

J'ai perdu le Nord et mon enfance

  

© Guy Allix, Lèvres de peu suivi de Le Nord, éd. Rougerie, 1993

 

 

Nicole Laurent-Catrice - Wikipédia

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre. Nicole Laurent-Catrice est une écrivaine française, née en 1937 dans le nord de la France. Après une enfance en Anjou puis à Paris, elle vit aujourd'hui [Quand ?] en Bretagne depuis 1970. Hispaniste, elle étudie quelque temps la langue bretonne pour des raisons culturelles et personnelles.

http://wikipedia.org

 

 

LAURENT-CATRICE Nicole photo Yvon Kervinio (31)nb

© Photo de Nicole Laurent-Catrice par Yvon Kervinio

 

Publicité
Commentaires
Guy Allix, poète
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 71 867
Publicité