Poèmes pour l'amitié (13)
Angèle Vannier
Le précédent "Poèmes pour l'amitié" était consacré à l'amie Nicole Laurent-Catrice. Il est assez logique que, cette fois, ce soit Angèle Vannier qui soit à l'honneur. Et il est bon de regarder de temps en temps, et même souvent, dans le rétroviseur pour lire et relire les poètes qui nous ont précédés et ont montré le chemin. Et il se trouve qu'Angèle Vannier sera à l'honneur le week-end prochain à Saint-Brice-en-Coglès (35460), sur le square Jacques Lacarrière juste en face du collège... Angèle Vannier et à l'initiative du Pôle culturel et artistique... Angèle Vannier ! Une exposition permanente sur la poète sera en effet inaugurée samedi 28 mai à 15 h. Et cette exposition doit beaucoup aussi à l'amie Nicole Laurent-Catrice, la plus fidèle, la meilleure, lectrice de la poète !
Je serai bref pour présenter Angèle Vannier. Née en 1917 à Saint-Servan, elle avait écrit très tôt mais c'est à partir de sa cécité, à vingt ans, qu'elle s'est consacrée entièrement à l'écriture poétique. Un oeuvre remarquable, singulière, toujours en recherche et en évolution. Une poésie simplement incandescente ! Tout à la fois surréaliste, mystique, tragique et... très amoureuse. Une certaine expérience de la transe poétique qu'elle traduisait aussi en disant ses textes en public. Elle fut lue et louée par les plus grands de son époque. Ainsi Paul Eluard préfaça L'arbre à feu en 1950.
Mise en musique plusieurs fois, notamment par Philippe-Gérard, elle fut chantée par la grande Edith Piaf qui reçoit pour "Le chevalier de Paris" (texte d'Angèle Vannier, musique de Philippe Gérard) le premier prix de la chanson française. Cette chanson fera le tour du monde, reprise notamment par Yves Montand, Catherine Sauvage et, dans une adaptation assez éloignée du texte d'origine, par Frank Sinatra, Marlene Dietrich et même Bob Dylan. Etc.
Dans le début des années 70, Angèle sera invitée par Jacques Chancel pour une émission "Radioscopie" sur France-Inter et pour l'émission culte "Le grand échiquier" à la télévision. C'est dans ces années-là qu'elle retourne dans la maison de son enfance à Bazouges-la-Pérouse où elle décédera en 1980. Ses derniers recueils de poèmes ont été édités par le grand "petit éditeur" René Rougerie à Limoges et Mortemart.
Je vous donne donc à lire Angèle Vannier et n'ose livrer en même temps un de mes poèmes. Je me permets juste de mettre en lien mon adaptation sur Youtube de "De ma vie". Et j'en profite pour signaler aussi l'excellent dossier de Pascal Boulanger paru dans la très belle revue revue "Triages" chez Tarabuste (septembre 2021). Contributions de Pascal Boulanger, Nicole Laurent-Catrice, Bruno Giffard, Myrdhin, François Rannou, Annabelle François et un certain... Guy Allix.
Place simplement à une grande dame de la poésie !
Poèmes d'Angèle Vannier
LA LAVANDlERE
La lavandière est mon amie
Ses cheveux roux sont des ruisseaux
Ses cheveux mènent à l'amour.
La lavandière est jeune fille
Elle a volé ma chanson d'eau
Pour laver le seuil de l'auberge.
Compagnons des bois et des champs
Vos grimaces pèsent si lourd
Savez-vous le secret des vierges
Qui vont à l'eau laver leur sang
Avant l'alouette ou la caille.
Compagnons de la couche-paille ! ...
C'était un soir fauve et lézard
Le ciel le lit soufflaient dans l'herbe
Avec un vent de chasseur noir.
Compagnons oubliez les gerbes
Portes dorées sur nids calleux
La lavandière a pris mes yeux
Pour laver le masque des mâles
Et voir miracle en ses cheveux
Virer leur face à l'ange pâle.
C'était un soir ni feu ni lieu
Un vrai soir d’avant la parole
Où les enfants comprenaient Dieu.
Les volets ouvraient leurs corolles ...
Lavandière, ô chérie mouillée
Rappelle-toi celle aux yeux clos
Qui faisait germer les visages
Selon sa petite rosée.
Ton ventre porte sa chanson
Comme un poisson dans un nuage
Tu mènes l'homme à la rivière
Sous les ponts de la vieille terre.
Moi je t'écoute de très haut
La blanche hermine du repos
Couvée sous mon aisselle chaude
Fourrure à dormir sans frisson
Fade quand se répète l'aube.
+-, -----~
Lavandière lavant la vie
-Nous suivons le même chemin
Celui de l’eau celui des mains.
La lavandière est mon amie.
Les songes de la lumière et de la brume, éditions Savel, 1947
DE MA VIE
De ma vie je n'ai jamais vu
Plus beau visage que sa voix.
Ses yeux portent l'âme des eaux
Blessées à mort depuis des siècles
Par le silence des grands bois
Son front descend de la lumière
Comme l'Egypte du mystère
Et sa bouche a juste le poids
Le poids terrible du bonheur
Que pouvait supporter mon cœur.
S'il avait fait glisser sa voix
Dans les yeux graves de mes paumes
Nous aurions vu ce vieux royaume
Que l'amour épèle tout bas.
C'est ici qu'il faut parler d'elle
La maison des oiseaux parfaits
La merveille où toutes les ailes
Peuvent s'ouvrir sur leur secret.
J'entends sonner la cloche rouge
De ce rouge extraordinaire
Dont l'ombre saigne sur la terre
La cloche à marier les dieux
Le fruit qu'on mange avec les yeux
Il n'y a pas d'amour heureux
De ma vie je n'ai jamais vu
Plus beau visage que sa voix
Plus beau visage mis à nu
Par le silence de mes doigts.
L’arbre à feu, éditions le Goéland, 1950
CERTES JE SUIS LA FEMME ...
AI-JE jamais été cette jeune fille blanche qui n'ose s’étendre nue au soleil de peur qu’un Oiseau bleu ne vienne pondre entre ses cuisses et lui faire un enfant ailé voué au sacrilège des faiseuses d'anges.
Certes je suis la femme
Mon sexe est une bouche qui ne demande qu'à s'ouvrir pour répondre oui à l'éternelle question de l'homme
Que ne l'ai-je cousue avec une aiguille d'acier et du
fil d'or
Alors
Sous mes yeux à mes pieds ils seraient tous morts
A bout de souffle ,
A force de m'avoir interrogée sans que je daigne leur répondre
Mais sept fois j'ai répondu oui
Septante fois sept fois j'ai répondu oui .
Que j'aille maintenant laver mon corps aux eaux vives
de la rivière
Que le printemps brasse et fait écumer de joie
Que je m'étende sur la berge par-dessus les menthes sauvages
Que je laisse filer le printemps et ses fleurs et l'automne
Sans seulement prêter l'oreille
Au chant des ramiers qu'on croit tendre
Et qui se plument et qui se saignent
Pour une oiselle au beau plumage
Que j'attende sage l'hiver
Et mon ventre repris au veto de sa glace
Droit ne sera donné d'en opérer la fonte
Qu'au rayon du soleil de Dieu
Alors j'accoucherai de l’homme que je n’ai pas été
Il sera roi
Il soumettra tous ceux qui m'ont soumis
Et ils ploieront sous lui
Comme ce roseau-là sous le vent du printemps
Ce même vent qui veut ce soir
S'amuser à colin-maillard
Avec ma tête sans regard.
Avec la permission de Dieu, Seghers 1953
-
PARLER JE NE SAIS OU
Je veux revivre
L'ange muet je veux le mordre au cou
afin qu'il crie et qu'il me nomme
à la face ouverte du vent.
Quelqu'un m'a retirée malgré moi de mon sang
Pour donner ma parole en pâture à ses fauves
Mais le temps brisera ses os dans le miroir qui défendait le fruit perdu
sous l'éternité chaste du feuillage.
Ai-je parlé tout haut jadis du mal d'amour
sur cette terre de lilas blessée par les orages
Ai-je jadis plombé tout le regard de l'homme avec des mots
pour qu'il oublie la chasse à courre
et nous enferme ensemble sous sa tente toute la nuit d'une saison,
Nous avons subvenu derrière le nuage
pendant longtemps à la chanson de nos délires.
L'espace d'un parfum, le nôtre
nous suffisait pour enterrer les morts
et pour mûrir notre dialogue en serre
sous les auspices du vin noir.
Tout s'est détruit
quand ton regard a recouvré sa propre loi
pour accoucher de l'astre mâle
qui frappait ma lèvre d'exil.
Le silence a fait blêmir nos entretiens sur ton visage
Et je n'ai plus que mon fantôme entre les dents pour tout bagage.
Je sais nulle parole encore n’a pu payer la pierre.
Je veux revivre
Je veux chanter à mon amour
le poids du sang
le fruit des vagues.
Je veux mordre cet ange au cou
Je veux parler je ne sais où.
Théâtre blanc, éditions Rougerie, 1970
Angèle Vannier, née le à Saint-Servan (aujourd'hui annexée à Saint-Malo, Ille-et-Vilaine), et morte le à Bazouges-la-Pérouse, est une poétesse française. Angèle Vannier passe sa petite enfance à Bazouges-la-Pérouse chez sa grand-mère, avant de rejoindre ses parents à Rennes à 8 ans, ville où elle fait ses études.
http://wikipedia.org
Yves Leroy