Poèmes pour l'amitié (10)
Jean Rivet
J'avais ouvert cette chronique régulière avec un ami décédé, Michel Baglin. Aujourd'hui je veux retrouver un autre ami parti lui aussi, il y a déjà treize ans maintenant, en juillet 2010. Il m'a quitté en même temps qu'une toute belle me quittait. Jean, je l'ai rencontré trop tard sûrement, bien trop tard. C'était en 2000, je crois, grâce à un texte de lui qui était anonymé et qu'il avait envoyé pour un prix de poésie dont je présidais le jury : le prix du café-livre de Lassy dans le Calvados. Une rencontre dans un train qui me menait de Caen à Carentan dans la Manche où, hélas, j'"habitais". J'avais emporté la chemise avec les poèmes qui concouraient pour le prix et j'ai été subjugué par ce texte, par sa force et son humilité, son manque évident de fard. Une merveilleuse simplicité qui disait tant. Qui aimait tant !
C'est ce texte que vous lirez plus bas et que Jean a publié au Nouvel Athanor grâce à moi par la suite.
Jean obtint le premier prix bien sûr et je pense que j'aurais fait un scandale s'il en avait été autrement. Nous sommes devenus amis aussitôt lors de la remise du prix. Jean était si bon, si simple, si généreux. Nous nous sommes un temps engueulés tous deux par la suite au sujet d'un triste individu que je prenais pour un ami mais qui n'était qu'un faussaire et qui se donnait pour un "poète professionnel" (sic)... le ridicule ne tue pas. Jean, très lucide, avait raison et j'avais tristement tort, j'en éprouve toujours un vrai remords même si bien sûr nous étions trop amis pour nous brouiller définitivement. Nous nous sommes croisés plusieurs fois ensuite et il m'avait encouragé à venir le voir chez lui, à Frénouville, dans la cabane du jardin où il écrivait. Je lui avais dit que j'irais en vélo et que... je lui ferais la surprise. Jean luttait depuis plusieurs années contre une saloperie de crabe... Une première fois je l'ai appelé à l'entrée de Frénouville. Et là il me répondit qu'il était très fatigué, trop fatigué suite à une chimio... Je l'entends encore : "Tu ne m'en veux pas pas, Guy ?". Comment aurais-je pu lui en vouloir. Je m'en voulais à moi de n'être pas allé plus tôt... Un seconde fois, ce fut Michèle, son aimée, qui me répondit... Jean venait d'être hospitalisé.
Trois jours plus tard, mon ami Gérard m'apprenait le décès de Jean et nous nous retrouvions tous deux au funerarium de Caen. Jean avait voulu le plus grand dépouillement. Nous sommes tous simplement passés devant le cercueil, avons posé notre main dessus quelques secondes et nous sommes sortis avec notre douleur...
La mort la vie
1
La mort toujours à l’affut
Et cela qui bat
Fragile
Vertigineux
Tout au-dessus du vide
Le cri remonte avec la terre
Te convoque à l’urgence
Tu replies tes mains
Au-dedans de l’amour
*
2
Cela vient de si loin
Cela fuse au-dedans
Du non-sens
Tu pars en quête
De ce que tu ne sauras pas
*
3
Seul ce sens-là
Au dépourvu
C’est si peu
Si terrible pourtant
Le nom de vivre
Anthologie pour le Printemps des poètes 2020 Le poème pour seul courage, Le Castor astral, 2020
Jean Rivet
Rue Circulaire premier étage porte droite
quand le chien s'essuyait les pattes sur le tapis
un jour d'amour de terre tendrement mouillée
avec ces flocons sur les arabesques de la fenêtre
Rue Circulaire premier étage le samedi soir
après la fumée des cigarettes ah ces trains que
nous avions aimés ces espoirs cette jeunesse qui
nous prenait à la gorge le samedi soir dans la fumée
des cigarettes dans ces parties de cartes
où le noir sortait souvent
Le samedi soir au lit nous entendions les voisins
du dessus faire l'amour et nous nous demandions
pourquoi il allait falloir abandonner ces quais
de gare ces mots d'amour ce désir qui nous
brûlait et entrer dans les rides laisser
notre enfant l'herbe du plateau d'Avron
les pivoines au soleil couchant les marches
gravies un dimanche après-midi et la lecture
de ces livres dont les pages étaient
marquées à jamais d'une carte hebdomadaire
de métro station Denfert-Rochereau
Jean rivet, Chemin d’automne, Le Nouvel Athanor, 2002
Poème pour enfant de Jean
Elle m’a dit
Je t’aime
Beaucoup
C’est pas assez
A-t-elle ajouté
Et elle a effacé
« Beaucoup ».
Le soleil meurt dans un brin d'herbe, éditions Motus