Poèmes pour le dimanche et pour l'amitié (4)
Poèmes pour le dimanche et pour l'amitié (4)
à la résistance du peuple ukrainien contre l'ogre russe
C'est mon ami ficèle Bruno Sourdin qui m'accompagne, avec un poème d'une terrible profondeur, ce dimanche, 11e jour de l'agression russe contre l'Ukraine. Ce poème de Bruno sur les bombes de 1945 me semble d'une pleine actualité.
Comme on le voit, la barbarie est toujours de mise. Elle fut américaine à Hiroshima et Nagasaki en 1945, pendant la guerre du Vietnam et lors de la guerre contre l'Irak en 2003 par exemple. Elle est clairement aujourd'hui russe, du fait d'un dictateur paranoïaque, sanguinaire, délirant, sans aucun scrupule et sans aucune pitié, tout à son souci (à son obsession) de rétablir les frontières de l'empire soviétique. Qu'il puisse y avoir des "causes" à cette agression n'est pas la question car ces "causes" ne sont là que prétextes pour le Goliath qui agresse le petit David ukrainien et qui aurait trouvé d'autres prétextes de toute façon pour une intervention sans aucune mesure et qui ira jusqu'à l'annexion de l'Ukraine, à qui il dénie toute identité. Cela rappelle un autre ogre au XXe siècle. L'Ukraine n'existerait pas mais pourtant le peuple ukrainien existe bien, lui, et le montre assez par sa résistance, sa dignité et son courage ! Faut-il mourir pour... Kiev ? On comprend que la question est d'une difficulté terrible à l'heure ou l'ogre russe menace de la bombe justement... de la terreur atomique : ignoble chantage. Les Ukrainiens, eux, ne se posent pas cette question. Ils meurent pour Kiev et pour l'Ukraine !
Et pour la liberté !
Ils résistent contre l'ignoble ! Comme Missak Manouchian, "invité" dans ces poèmes pour le dimanche, il y a quinze jours, a pu le faire avec ses camarades.
Peu m'importe le "camp", russe ou américain, j'ai d'ailleurs, j'ose le dire, plus de respect pour le peuple russe que pour le peuple américain. Simplement, je reste fidèle à mes principes et je ne transigne pas. Je suis Vassal du poème, non d'un pouvoir quel qu'il soit. Et je hais toutes les volontés impérialistes.
J'ai donc choisi ce texte de Bruno qui, dans les circonstances présentes, nous aide à voir et je mets en ligne, suite à ce texte, ma lecture sur Youtube de "Puisqu'il me faut quitter cette terre".
De mon côté, je joins simplement un poème d'amour de mon côté. Poème certes un peu triste comme souvent chez moi, mais où l'amour, malgré tout, subsiste à la mort de son histoire. Et cette survie de l'amour contre l'ignoble est après tout un bonheur, et même une espérance... Il est si beau d'aimer encore, d'aimer toujours, envers et contre tout.
La dernière urgence
Quand ce sera la dernière fois de nous
Le dernier cœur à corps
La dernière urgence
Et que nous ne saurons pas plus qu’avant
Pas plus qu’après
Quand ce sera déjà après
Et que nous lèverons un peu la tête comme avant
Mais sans plus de foi
Mais sans moins de foi
Sans plus de courage qu’avant
Mais avec ce souffle vain
Une dernière fois
Nous rentrerons dans l’ombre
Dont nous n’étions jamais sortis
Autrement que par cet amour
Quand ce sera la dernière fois de nous
Quand ce ne sera plus que notre amour à jamais
Et à jamais fini
Quand ce sera la dernière fois de toi
De moi qui à jamais t’aimais
Guy Allix, Survivre et mourir (éditions Rougerie, 2011)
Puisqu’il me faut quitter cette terre
Puisqu’il me faut quitter cette terre où je ne reconnais plus rien, ni les rivières ni les arbres ni l’eau ni le vent
Je ne voudrais pas partir sans dire adieu à l’étoile qui me suivait
Adieu à l’air du printemps, au cri des corbeaux oiseaux vagabonds
Adieu à l’esprit du tonnerre et de la fumée, à l’esprit qui souvent proteste
Adieu aux nuages et à l’herbe fraîche
Adieu à la machine à pluie, à l’arc-en-ciel laissé à l’abandon
Adieu à la plus belle nuit de ma vie, à cet étrange sentiment d’éternité
Adieu à la foudre dans le vide obscur
Adieu à mes enfants aux yeux de soleil, société secrète des corps immobiles
Adieu aux galops des chevaux, cliquetis incessants de la pendule
Adieu à ma maison pleine de livres
Adieu aux foules sans noms, têtes de mourants terrifiés
Adieu aux mamans brûlées vives entre les mains de la bombe
Adieu aux visages cloqués et écorchés, muses irradiées accablées de chagrin dans la nuit qui tonne
Adieu aux esprits anéantis avalés par le champignon géant, aux esprits rampant dans leurs excréments
Silhouettes écorchées, restes calcinés des villes, peaux arrachées, décombres en flammes
Adieu au crépuscule de fer
Adieu poème mort
Je ne voudrais pas quitter cette terre sans dire adieu à ma douce mère, frères humains méconnaissables
Adieu hirondelles âmes brillantes et salut aux nouveaux fantômes déjà en marche dans l’inconnu
Bruno Sourdin, in L'air de la route, éditions Gros textes, 2013
On peut retrouver Bruno sur mon anthologie subjective.