Poèmes pour le dimanche et pour l'amitié (2)
Poèmes pour le dimanche et pour l'amitié (2)
En ce dimanche 20 février, veille de l'anniversaire de ce que j'appelle l'assassinat de Michel (Missak) Manouchian, j'ai choisi de rendre hommage à l'auteur de la lettre, bouleversante, à Mélinée et ce poème de moi que je publie ici, poème dédié à la mémoire de Paul Celan, sonne en écho en quelque sorte à cet hommage au grand résistant.
Pour mémoire
à Paul Celan in memoriam
De la race des hommes
De combien de crimes
Suis-je l’héritier
De combien de crimes
Qui m’ont permis d’arriver
Héritier du sang
Jusqu’à vous
De la race des hommes
De combien de crimes
De combien d’horreurs
Et de collaborations
Suis-je issu
Indigne du poème
Au-delà des hommes
Dont les mots habitent les morts
De combien de crimes
Suis-je l’héritier
Indigne de ces mots au delà
De ces mots creusés torturés
Pour mémoire du crime
Guy Allix, Correspondances, recueil écrit avec Marie-Josée Christien
publié chez Les Éditions Sauvages, 2011
***
Le 21 février 1944, Missak Manouchian était assassiné, oui, je dis assassiné, avec ses camarades résistants.
Quelques heures auparavant, il avait écrit une lettre sublime de courage et d'amour à la femme aimée, Mélinée. Lettre qui a inspiré l'un des meilleurs textes de Louis Aragon dans Le roman inachevé et que l'on peut écouter sur un lien YouTube en fin de page.
Poète d'origine arménienne, rescapé du génocide et immigré en France, pays de "préférence", dès 1925 à 19 ans. Il s'engage dans les années trente comme antifasciste et comme communiste. Il participe au Comité de secours pour l'Arménie, à l'Union populaire franco-arménienne et au syndicat de la Main d'Oeuvre Immigrée (le MOI). Il entre en Résistance, comme ses camarades communistes, dès la rupture du Pacte germano-soviétique en 1941.
Missak Manouchian est un Français de choix, un Français de courage, un Français de sueur, un Français de valeurs partagées avec ce pays, comme l'ont été et comme peuvent l'être les d'immigrés. Un Français de sang versé pour ce pays dont tant aujourd'hui, dans la haine, la bêtise et la manipulation de l'histoire, sont indignes, tant ils le déshonorent.
« Vous avez hérité la nationalité française, nous l'avons méritée » (Phrase de Missak Manouchian à son "procès")
Missak Manouchian mérite par son combat, par son courage et par son histoire une place au Panthéon et c'est pourquoi je me permets de relayer une pétition à ce sujet sur Change, pétition que beaucoup d'entre vous voudront bien signer, j'espère. Manouchian au Panthéon - et avec tous ses camarades de l'armée de l'honneur -, ça aurait de la gueule et ce serait chargé de sens ! Car cela retrouverait pleinement les valeurs fondamentales de ce pays, quand bien même la France n'y fut pas toujours fidèle loin s'en faut, aveuglée par "Le poison de la corruption et de l'ignorance", par "le monstre/ Qui, comme la sangsue ou le ver rongeur,/ Boit le sang de nos bras qui peinent sans arrêt.", comme c'était le cas lorsque Manouchian fut assassiné.
Michel Manouchian, c'est aussi et surtout une certaine idée de la Liberté, une liberté qui oblige et exige, celle de la Résistance, bien loin de la conception puérile et primaire partagée par certains de nos jours.
Oui, il nous faut écouter ce message d'un grand résistant pour... résister justement aujourd'hui à la haine et aux mensonges de celles et ceux qui manipulent l'Histoire et détournent l'identité de ce pays. Pour résister à cette peste brune qui contamine même un parti dit Républicain où la Candidate à l'élection présidentielle ose évoquer des "Français de papier". Honte !
Rappelons simplement ici, pour mieux situer mon propos, que la stèle de Manouchian à Marseille a déjà été plusieurs fois profanée par des groupes d'extrême-droite et reconverte de croix gammées ou d'inscriptions telles que "terroriste venu d’URSS pour déstabiliser la France", reprenant le mot des nazis, "terroriste", dans la monstrueuse affiche rouge. On voit clairement de quel côté sont ces vandales qui n'auraient certainement pas résisté eux-mêmes mais auraient collaboré pleinement avec l'horreur nazie.
Je publie ici deux poèmes de Manouchian. Le premier, "Restons éveillés", se situe exactement dans la ligne de mon propos.
Oui, restons éveillés !
Dans le second le mot "miroir" me renvoie à une anecdote rapportée par Mélinée. Un jour Missak dit à celle qui n'était encore qu'une amie : "Tu veux que je te montre la femme que j'aime ?" Mélinée lui répond "Oui". Et Missak fouille alors dans une poche et sort un petit miroir qu'il lui tend. Mélinée est surprise : "Mais ce n'est pas une photo !". Et Missak lui répond "Mais regarde bien ce miroir, tu vas y voir la femme que j'aime" (je rapporte l'anecdote de mémoire...).
Restons éveillés
aux travailleurs immigrés
Quand je vois vos visages bronzés
Fouettés sans cesse par le vent et la pluie
Et de vos yeux les songes fluides, la flamme sublime
Votre âme coule dans mon âme. Comment ne pas vous chanter...
Vous êtes venus au monde dans d'humbles chaumières
Les champs immenses ont rempli vos coeurs d'incoercibles désirs
Les montagnes vous ont appris à être fiers, indomptables,
la terre maternelle a rempli vos artères de sa sève féconde.
Mais emportés par la fureur sauvage du simounn
Comme des fleurs arrachées aux buissons qui les portent
Et qui se dispersent au gré du vent
Vous avez tendu votre toile vers tous les rivages de la vie.
Attention, Camarades !... L'ennemi est toujours le monstre
Qui, comme la sangsue ou le ver rongeur,
Boit le sang de nos bras qui peinent sans arrêt.
Telle une hyène prête a tout dévorer.
Sous le masque de la foi il verse à ses victimes
Le poison de la corruption et de l'ignorance
Et, semeur de mensonges et de haines raciales,
Il attire des foules les passions criminelles.
Que les flambeaux de la conscience éclairent vos esprits !
Que le sommeil et la lassitude ne voilent point nos âmes !
A tout moment l'ennemi change de couleur et de forme
Et nous jette sans arrêt dans sa gueule inassouvie.
Poème repris dans La Résistance et ses poètes, par Pierre Seghers, éditions Marabout, 1974
Le miroir et moi
Dans tes yeux de la fatigue et sur ton front tant de rides,
Parmi tes cheveux les blancs, vois, tant de blancs camarade…
Ainsi me parle souvent l'investigateur miroir
Toutes les fois que, muet, je me découvre seul en lui.
Tous les jours de mon enfance et les jours de ma jeunesse
Je – cœur parfois tout disjoint – les brimais pour l'holocauste
Sur l'autel des vanités tyranniques de ce temps,
Naïf – tenant pour abri l'espoir tant de fois promis.
Comme un forçat supplicié, comme un esclave qu'on brime
J'ai grandi nu sous le fouet de la gêne et de l'insulte,
Me battant contre la mort, vivre étant le seul problème…
Quel guetteur têtu je fus des lueurs et des mirages !
Mais l'amertume que j'ai bue aux coupes du besoin
S'est faite – fer devenue – que révolte, qu'énergie :
Se propageant avec fureur mon attente depuis
Enfouie jusqu'au profond du chant m'est cri élémentaire.
Et qu'importe, peu m'importe :
Que le temps aille semant sa neige sur mes cheveux !
Cours fertile qui s'élargit et qui s'approfondit
Au cœur de toute humanité très maternellement.
Et nous discutons dans un face-à-face, à "contre-temps",
Moi naïvement songeur, lui ironique et lucide;
Le temps ? Qu'importe ce blanc qu'il pose sur les cheveux :
Mon âme comme un fleuve est riche de nouveaux courants.
Michel Manouchian, in La poésie armenienne,
Anthologie des origines à nos jours
Réalisée sous la direction de Rouben Mélik
Les Editeurs Français Réunis
Cette pétition vise à demander l'entrée de Missak Manouchian au Panthéon (dépouille ou cénotaphe, selon la volonté de la famille). Après Jean Moulin, Geneviève de Gaulle-Antonioz, Germaine Tillion, Jean Zay, Pierre Brossolette, l'entrée au #Panthéon de Joséphine Baker conforte la place que doit y occuper la Résistance, dans toutes ses composantes.
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