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Guy Allix, poète
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1 février 2022

Brassens : l'homme libre

Brassens l'homme libre

 

J'avais 18 ans et... j'étais amoureux loin de ma ville natale. J'avais mes premiers grands copains d'abord. Mes cheveux poussaient. Je devenais quelque peu anar... Un jour d'octobre 1971, j'ai écouté, vraiment, un 33 tours de Georges Brassens, emprunté sans doute le matin même à un ami. Et ce fut MA révolution. Brassens n'avait pas d'enfant. De mon côté je n'avais pas de père. Parfait ce serait celui-là. Oh, ne pensez pas que je suis allé cogner à son huis sous l'orage. Je n'aurais jamais osé. Du reste Brassens ne m'aurait sans doute pas adopté comme moi je l'avais adopté. Mais ça ne fait rien, j'ose dire que j'ai vécu avec lui, depuis. Avec lui, c'est-à-dire avec son univers, avec sa pensée, avec sa poésie, avec sa musique, avec ce cœur qui ne peut avoir cessé de battre définitivement le 29 octobre 1981, dix ans après notre rencontre. Il fut donc, sans le savoir, mon papa, mon guide et mon premier poète. Bon, il me faut avouer quand même que je suis loin d'être un original : des fils et filles de Brassens, il y en a bien plus qu'en Normandie il y a de pommes, surtout peut-être dans ma génération. Et bien sûr je me mis à lire aussi les poètes et à... écrire dès ce mois d'octobre. Et j'osais même, véritable sacrilège tant j'étais maladroit, caresser les cordes d'une guitare, empruntée elle-aussi le matin même à un ami. Ma pauvre petite maman m'aurait bien rêvé notaire... Mais voilà, c'était décidé : à cause de Brassens ou grâce à lui – au lecteur d'en décider -, à cause aussi des poètes qu'il a chantés, je serai chevelu, poète ! Et j'ai continué d'écrire. Certes mon écriture, passée aussi par d'autres poètes : Verlaine, Rimbaud, Breton, Char, Eluard, Prévert, Follain, Celan etc. est très éloignée de celle du papa mais je lui dois tout. Et j'ai continué aussi de le chanter. Et de le lire ! car Brassens c'est un auteur-compositeur qui se lit. J'ai continué aussi de suivre ses pas dans ses chemins de liberté.

Brassens est, tout d'abord, à la fois un homme de paradoxes apparents et un homme d'une extrême rigueur. C'est en cela qu'il est un maître pour moi, même si, bien sûr, il refuserait ce titre de « maître » en libertaire qu'il est resté jusqu'à la fin de ses jours. La rigueur, c'est-à-dire cet « accord parfait entre l'être et le faire et le dire » que réclamait aussi un Henry Miller. Oui, Brassens s'est toujours tenu dans sa vie au plus vrai de cette morale libertaire qu'il revendiquait, au plus près de son dire et de sa pensée. Et j'aime profondément cette rigueur qui est courage aussi car elle expose, car elle oblige. J'avais besoin d'un guide comme cela à vingt ans et j'en ai toujours besoin aujourd'hui.

Le poète sétois a pu surprendre parfois, on a pu l'accuser de contradictions quand il ne s'agissait que de salutaires remises en questions. Qu'il a lui-même chantées. Il aurait pu se tenir dans un certain confort de certitudes avec, par exemple, cette haine affichée du clergé et des flics dans ses articles du Libertaire qui sont parfois d'une grande violence, il faut bien en convenir. Mais voilà il ose un jour « La messe au pendu » où il rend hommage à ce curé qui déclare « mort à toute peine de mort » et dit une grand messe à « celui qui dansait en l'air ». Il ose aussi un autre jour écrire « L'épave » et rendre hommage au flic qui le couvre de sa pèlerine. Mais voilà le mécréant reste mécréant et « anticlérical fanatique » et l'anar reste anti-flic. Il tolère les hommes mais dénoncera toute sa vie les institutions et les pouvoirs. Il gardera ses convictions fondamentales et ses amitiés libertaires. On a pu lui reprocher sa « timidité » en 68 quand il « faisait des calculs » mais quoi ? Il aurait fallu qu'il se renie, qu'il renie ses convictions libertaires en s'imposant comme maître à penser de toute une génération (la mienne) ! Un non-sens.« Anarchiste de salon » ? Sûrement pas. « Anarchiste sceptique » plutôt, comme j'ose l'affirmer dans Je suis... Georges Brassens. Et le scepticisme n'enlève aucune force aux convictions profondes venues dès l'enfance, on en a la preuve avec les « Stances à un cambrioleur ». Ou encore dans « Le vieux Normand » où il affirme ce respect profond de la liberté et de la responsabilité de l'autre en refusant de jouer les maîtres : «  A toi seul de trancher s'il vaut mieux dire « amen » ou « merde à Dieu ».

Dans cette morale libertaire de Brassens, il y a un aspect peu connu qu'il a caché comme tout ce qui était intime conformément à l'esprit des « trompettes de la renommée » : son immense générosité. Certes on sait comment il a acheté pour Jeanne et Marcel la maison de l'impasse Florimont, maison où il a installé l'électricité et l'eau. Mais bien d'autres anecdotes pourraient être rapportées. En 1961, le poète va à l'enterrement de son ami Armand Robin qu'il a rencontré à la fédération anarchiste après guerre. Il s'étonne auprès des amis communs du fait qu'Armand ne lui adressait plus aucun signe depuis des années. Et là on lui rappelle qu'il avait prêté une grosse somme d'argent au poète breton pour acheter un bien. Lui ne s'en souvient même pas ! Robin ne lui faisait plus signe car il avait honte, comme tout pauvre qui se respecte, de ne pouvoir rendre la dette. Et Brassens d'expliquer qu'il n'en avait rien à faire de cet argent et qu'il voulait simplement revoir son ami. Le « mauvais sujet repenti » a une morale de fer et une générosité de diamant.

On entend aussi souvent murmurer qu'il fut... misogyne. Il est vrai qu'il a égratigné quelques femmes comme tous nous avons pu le faire. Mais enfin égratigner ou moquer une femme n'est pas renier tout le sexe opposé. Il a chanté merveilleusement les femmes. La femme aimée d'abord certes, cette Puppchen qu'il a respectée au point de la cacher délicatement aux yeux du grand public. Jeanne ensuite, femme aimée elle aussi et qu'il a tant su remercier. Mais aussi toutes le femmes. Qui pourra nier que « Le Blason », sublime poème sur... le sexe de la femme, est un merveilleux hommage à toutes les femmes ? Et « La non-demande en mariage », qui est un grand poème d'amour, fait peut-être plus pour la liberté des femmes que de longs discours féministes ! Enfin il a su défendre les femmes le plus humiliées et les plus méprisées avec cette fameuse « Complainte des filles de joie ».

Lui-même s'était voulu poète après sa rencontre avec son professeur Alphonse Bonnafé mais le même professeur ne l'a pas encouragé sur cette voie. Plusieurs de mes collègues poètes font aussi la fine bouche à ce sujet : « non, il n'est pas poète, seule la musique lui permet de faire passer ses textes ». Et pourtant, pendant très longtemps, les « oreilles de lavabo », parallèlement, n'ont pas voulu reconnaître sa musique. Certes, Brassens puise davantage chez les maîtres du passé que chez les sirènes de la modernité. Il est même souvent foutrement moyenâgeux et le revendique. Mais enfin ses textes, s'ils sont magnifiquement portés par les mélodies, passent aussi sans elles, se disent et se lisent. Lisez « Le Blason » et écoutez-le quand il est simplement dit ! Lisez et écoutez « Bonhomme » quand il est simplement dit ! Ce sont bien là des poèmes qui chantent en eux-mêmes. Et Brassens se lira dans de nombreuses anthologies du XXe siècle quand bien des poètes reconnus de son époque seront au purgatoire ou en enfer. C'est un classique à sa manière, un poète qui a énormément lu. Quant à sa musique !!! Les « oreilles de lavabo », qui confondent musique, orchestration et arrangement, n'osent plus guère donner de la voix. Les mélodies sont là, portant parfaitement les textes de l'auteur ou d'autres poètes. Certes, elles se donnent sobrement, laissant entendre le texte, mais les très nombreuses reprises et adaptations montrent aujourd'hui toute leur richesse. Ecoutez donc les superbes adaptations de Michel Sadanowski en guitare classique ! Ecoutez Moustache et sa troupe jouer Brassens en Jazz ! Le poète est un remarquable mélodiste, en dépit de l'interdiction qui lui a été faite par Maman Elvira de s'inscrire au conservatoire.

Oui, son œuvre reste là, inclassable, loin des routes balisées, car il semble échapper à toutes les étiquettes, à toutes les modes, à tous les diktats. En cela il est, là encore, le plus libertaire des libertaires. Il a refusé d'être un maître, n'a pas voulu délivrer de messages mais il a simplement donné à voir le plus grand des biens : la liberté !

Guy Allix (article paru dans la revue Libr'arbitres, n° 36, décembre 2021) 

 

 

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